Cela avait commencé de manière très banale.
Un jour qu’il voulait annuler un billet de train, il avait téléphoné à la SNCF. Comme d’habitude, il était tombé non sur un correspondant humain en chair et en os, mais sur un répondeur automatisé.
– Merde !!! S’était-il dit. Je vais encore passer 3 heures au téléphone, sans parvenir finalement à faire annuler mon billet. .
Mais non !!! Pas du tout !!! Il lui avait suffi de répondre aux questions posées de la manière la plus naturelle par sa charmante interlocutrice de synthèse, sans même choisir ses mots, et l’opération avait été immédiatement réalisée.
Les progrès de l’intelligence artificielle étaient désormais tels qu’un ordinateur était capable de dialoguer avec lui et de le comprendre en langage courant !!
Quelle impression étrange !! C’était comme un si une petite part de son humanité lui avait été volé ce jour là. Désormais, la machine était aussi intelligente que lui, aussi capable de maîtriser son langage complexe….
Mais cela n’était rien à côté de ce qui allait suivre.
Petit à petit, il s’aperçut que les publicités murales de la ville se modifiaient à son passage, lui proposant systématiquement les produits ou les voyages dont il rêvait secrètement.
Désormais, à travers l’espionnage de son portable ou de ses connexions internet, la grande machine intelligente qui s’installait peu à peu aux commandes des sociétés humaines était capable de connaître sa pensée et de cartographier ses désirs.
C’était effrayant !!! L’homme allait-il bientôt perdre la maîtrise de son destin, au profit de machines intelligentes et omniscientes le réduisant au statut d’animal domestique, ou pire encore, de bétail ?
Il décida de réagir. Avec quelques amis aussi inquiets que lui, il s’engagea dans une action militante pour la défense de la liberté humaine contre la prise de pouvoir des machines.
Et d’abord, il fallait à tout prix qu’il rende impossible à celles-ci la connaissance de ses propres pensées, tout en acquérant lui-même de nouvelles capacités mentales lui permettant de lutter à armes égales contre la machine.
Il décida alors de faire implanter dans son cerveau une puce électronique permettant de bloquer la transmission virtuelle de ses pensées tout en accédant à des capacités nouvelles.
Au début, ce fut une libération. Du jour au lendemain, les panneaux numériques cessèrent de s’activer à son passage, et il eut le sentiment de pouvoir de nouveau jouir de sa liberté en protégeant son intimité contre l’intrusion des machines. En même temps, il acquit de nouvelles compétences, comme par exemple celle de pouvoir dialoguer en télépathie avec son chat, dont il s’aperçut alors avec stupéfaction qu’il était doté d’une sensibilité, voire d’une intelligence comparable à la sienne.
Mais, se disait-il parfois, si les machines sont capables désormais de traiter les hommes comme de petits animaux domestiques, et si les animaux domestiques eux-mêmes sont finalement des êtres presqu’aussi sensibles que leur maître, que reste-t-il alors de ce que je croyais être mon humanité ?
Et puis, un jour, se produisit la catastrophe, on plutôt le grand basculement.
Alors qu’il déroulait, comme l’accoutumée, de sombres pensées sur la dictature numérique qui progressivement s’instaurait, soumettant l’humanité à la domination des machines intelligentes, une sorte de flash se produisit dans son cerveau.
– Votre pensée n’est pas conforme !!! Evitez désormais les propos complotistes !!! Lui intima la voix de synthèse qui résonnait dans sa boite crânienne.
Et bientôt, chaque fois qu’un désir, une opinion, ou un fantasme non conforme à la doxa en vigueur lui traversait l’esprit, il entendait la voix lui dire :
– Pensée non conforme !!! Fantasme interdit !! Désir suspect !!
Tout cela assorti de l’énoncé des peines qui l’attendaient s’il persistait dans cette voie rebelle.
Sa puce électronique, d’un modèle désormais dépassé, avait en effet été piratée par une intelligence artificielle de nouvelle génération, et transformée en un espion tapi au cœur même de son esprit
Il voulut alors faire enlever sa puce électronique, mais il était trop tard bien sur, car la machine, instantanément informée de ses intentions, lui intima l’ordre de n’en rien faire sous peine des plus graves sanctions.
Alors, peu à peu, pour avoir simplement la paix, il s’habitua à ne plus rêver, penser et désirer que ce qui était autorisé par la machine.
Il était devenu conforme, et une longue période de bonheur tranquille commença alors pour lui.
Jusqu’à ce que le grand algorithme décide un jour que son existence était désormais devenue inutile au regard des ressources planétaires disponibles.
Il fut alors prié par message télépathique de se rendre au centre de liquidation le plus proche, et s’exécuta docilement.
Un peu comme les milliers de cochons, de boeufs et de poulets qu’il avait tranquillement consommés au cours de sa vie, sans même penser qu’il s’agissait d’êtres presqu’aussi aussi doués de sensibilité que lui, et soumis à la même domination impitoyable que celle dont les hommes étaient désormais l’objet de la part des machines intelligentes !!!!