Catégories
Nouvelles En vrac

La disparue

Quand ils avaient rendez-vous, Il la guettait, le cœur battant, en haut de la petite ruelle en escaliers qui conduisaient à sa villa.

Lui, venu de Nouvelle-Zélande, avait réussi, à force de travail et de tempérance, à monter une petite entreprise d’import-export dans le sultanat. Mais Elle était dans une situation infiniment plus difficile. Dépourvue de papiers en règle, elle enchaînait les petits boulots, pas toujours mal payés d’ailleurs, mais précaires, qui lui permettaient de nourrir sa famille restée aux Philippines et d’y préparer l’achat d’une belle maison ou d’un commerce. Ils s’étaient rencontrés dans l’un ces bars où les expatriés viennent tromper leur nostalgie du pays et le désoeuvrement de leurs soirées solitaires en compagnie d’autres expatriés – rendant possible, dans ce milieu cosmopolite, des rencontres entre personnes venus de pays et de milieux sociaux si différents que nulle part ailleurs ils n’auraient pu se croiser.

La ville où ils habitaient avait certes été enrichie par les retombées de la manne pétrolière qui depuis un demi-siècle, s’était abattue sur la péninsule arabique. Mais elle n’avait pas été défigurée comme Dubaï ou Doha par une modernité cancéreuse et conservait encore beaucoup du charme et de la nonchalance des vieilles villes arabes d’autrefois. On voyait encore, dans le port, les felouques des pêcheurs décharger chaque matin leur petite cargaison de poisson frais pêché au large, et les rues étroites de la vieille villes bruissaient encore des cris des marchands ambulants et des habitants échangeant les nouvelles du jour d’un fenêtre à l’autre, tandis que les commerçants vantaient leurs produits aux passants à la porte de leurs petites échoppes bourrées de marchandises. Un peu plus loin à l’intérieur des terres, les rues étroites faisaient place aux larges avenues de la ville moderne, avec leurs centre commerciaux bien achalandés en produits importés, mais encore dominée cependant par une architecture coloniale et où les immeubles récents restaient encore rares et de hauteur raisonnable. Une vieille loi datant de l’époque pré-coloniale, mais toujours en vigueur, stipulait en effet qu’aucun des bâtiments de la ville ne devaient s’élever à une plus grande hauteur que celle du palais du sultan, située sur une petite colline arborée qui dominait la ville.

C’est là, en haut d’une petite ruelle, où les escaliers de guingois alternaient avec des montées en pente raide au sol de terre battue, que John avait élu domicile. Certes, sa vieille villa n’était pas du confort le plus moderne, mais il était très fier du petit jardin tropical, peuplé de plantes odoriférantes, qui l’entourait, comme de la superbe vue dont il jouissait, depuis sa véranda, sur la mer, sur la ville et sur les collines arides qui l’entouraient.

Mais, enfin, ayant laissé famille et enfants dans son lointain pays, et par ailleurs fraîchement divorcé, il se sentait parfois un peu seulet dans sa grande villa. Et sa rencontre avec Donglan avait comblé un grand vide dans son existence.

Venue d’une campagne reculée, au mode de vie presqu’archaïque, elle lui avait fait découvrir, au fil de ses confidences, un monde dont lui, l’homme des villes modernes, n’avait pas eu jusque-là la moindre idée concrète. Un monde de proximité avec les plantes et les bêtes, un monde d’amour des récoltes montées en graine, un monde aussi de pauvreté, de disette, et bien souvent de violence.

Elle faisait preuve face aux aléas de la vie d’une forme de courage frôlant la témérité, d’un sens inné du bien et du mal, ainsi que d’une générosité spontanée qui le rendaient muet d’admiration, lui qui avait été habitué par son éducation à toutes les prudences, à tous les compromis et à tous les calculs d’intérêt. Jamais elle ne se laissait insulter par personne, dut-elle affronter à elle seule toute une bande d’énergumènes. Jamais elle n’acceptait de voir une injustice commise en sa présence, dut-elle pour cela défier des gens infiniment plus puissants qu’elle et capables de lui faire beaucoup de mal. Jamais elle ne laissait une amie voire une simple connaissance dans l’embarras – dut-elle pour cela se dépouiller de ses gains de la semaine – ou héberger pendant un mois une personne à la rue dans son minuscule appartement.

Mais cette admiration pour son amie se teintait d’inquiétude et de révolte quand Donglan lui faisait part de tous les dangers qui la guettaient, de toutes les violences et injustices dont elle était victime, de l’angoisse constante qui l’assaillait. Les agressions dont les femmes immigrées, seules et pauvres, étaient les victimes de la part des hommes autochtones. Les changements constants de domicile liés à l’impossibilité pour un sans-papier de signer un bail en bonne et due forme. Les vols, les agressions, les insultes. L’exploitation éhontée dont ces femmes étaient victimes de la part de leurs patrons, même si certaines parvenaient cependant à bien gagner leur vie. Les escroqueries récurrentes commises par des aigrefins leur faisant miroiter l’acquisition de papiers imaginaires, et qui parfois profitaient de leur naïveté pour les dépouiller de toutes leurs économies. L’imprudence de Landong, qui semblait être attirée comme par un aimant par tous les filous, tous les types louches, toutes les situations risquées susceptibles de lui attirer des ennuis qui ne manquaient d’ailleurs jamais d’arriver. Les rafles policières qui l’exposaient en permanence au risque d’être renvoyées dans son pays – la pratique généralisée du bakchich permettant cependant de limiter ce risque, tout en soumettant ces populations marginales à un racket systématique de la part d’une police locale dont elle n’avait pas ailleurs aucune aide à attendre en cas de vol ou d’agression.

Il la guettait donc depuis le haut de la ruelle, le cœur battant, toujours inquiet qu’un incident grave – une agression, une arrestation, une blessure – ne rende sa visite impossible, voire ne mette brutalement fin à la leur relation. Mais, la plupart du temps, il la voyait arriver à l’heure dite, et il se levait pour l’accueillir tandis que sa silhouette délicate mais énergique gravissait les marches à sa rencontre, son fin visage asiatique éclairé d’un gracieux sourire.

Ensuite, il se passait entre eux toutes sortes de choses simples et amicales, chacun essayant de faire de son mieux pour donner un peu de bonheur et de plaisir à l’autre. C’étaient des échanges de nouvelles sur leurs familles et leurs amis. C’étaient les photos des enfants restés au pays, pour lesquels Landong faisait le sacrifice de sa vie, ou de l’appartement de ses rêves qu’elle se préparait enfin à acheter. C’était des confidences mutuelles, parfois tristes quand trop souvent advenait un événement douloureux, parfois emplies d’espoir quand ils discutaient de leurs projets. C’étaient des demandes de conseils sur la conduite à tenir et les décisions à prendre face aux événements de la vie. C’étaient des massages d’ailleurs  fort innocents, lorsqu’ils entreprenaient de se soulager mutuellement de leurs fatigues du jour. C’étaient des cours de langue improvisées, elle apprenant l’anglais sur le tas, lui s’initiant aux premiers rudiments du Phillipin. C’étaient des repas préparés et pris en commun, où alternaient les recettes occidentales et asiatiques. C’étaient des balades dans les rues de la vieille ville et les jardins de la colline. C’étaient des petits échanges de cadeaux à l’occasion des fêtes et des anniversaires. C’étaient de longues discussions dans les cafés et les restaurants. C’étaient de petits concerts ou des spectacles où il invitait parfois son amie. C’était sa joie naïve lorsque, lui annonçant qu’elle avait gagné dix dollars à un jeu de hasard la veille, elle en déduisait sans hésitation que c’était l’annonce du début d’une période de chance, elle qui par ailleurs semblait attirer la malchance comme un aimant. C’était sa vision, empreinte d’une générosité à la fois naïve et lucide, sur les amis qu’elle rencontrait : un vieil homme malheureux de l’abandon de ses enfants ; un autre qui s’était ruiné au jeu et qu’elle avait un jour retrouvé, devenu quasiment mendiant, sur une place de la vieille ville ; un autre qui se livrait, semblait-il,  à toutes sortes de petits trafics suspects ; une bande de musiciens qui ne méprisaient par l’usage du chanvre… Bref, c’était une très jolie relation d’amitié amoureuse, qui malgré tous les aléas et tous les dangers, dura près de 3 ans.

Une relation qui cependant rendait John moins à proprement parler heureux que vivant, immensément vivant. En effet, comment aurait-il pu jouir d’un bonheur sans mélange quand il était le confident des souffrances, des angoisses, des mauvaises nouvelles qui transformaient la vie de Landong en un calvaire quotidien ? Une fois, c’était la crainte d’une expulsion prochaine. La semaine d’après, c’était un vol ou une agression dont avait été victime d’une de ses amies. Puis, c’était une arrestation par la police à l’occasion d’une rafle. Puis, c’était l’expulsion tant redoutée qui se produisait, contraignant Langdong à trouver d’urgence un nouveau logement, ses affaires dispersés aux quatre coins de la ville, et les plantes ou les poissons rouges qu’elle aimait tant abandonnés à leur sort. Tout cela n’était pas gai, et John ressortait la plupart du temps abattu et angoissé de leurs rencontres. Mais aussi tellement, tellement vivant.

Car, pour cet homme tout de même entouré d’un confort tranquille, gratifié de toutes les sécurités imaginables, Landong était comme une sorte de fenêtre ouverte en permanence sur l’océan de la vraie vie : une vie faite d’injustices inacceptables, emplie de violences et de dangers, une vie de souffrance et d’angoisses, mais aussi une vie emplie de générosité, de poésie naïve du quotidien, d’espérance souvent déçue mais toujours renouvelée vers le bonheur. Une vie illuminée aussi par la beauté modeste du sacrifice que Landong faisait de sa vie pour aider sa famille, de son sens inné de la morale et de la justice qui lui donnait, en dépit de toutes les salissures de la vie, une inaltérable dignité. Oui, le fait d’être son confident et son ami avait fait de lui un homme infiniment meilleur, infiniment plus vivant, infiniment plus conscient aussi de l’injustice du monde, même si tout cela s’accompagnait aussi de beaucoup d’amertume, de peur, de tristesse ainsi que d’un sentiment de révolte et de colère devant le sort de son amie. Et aussi de l’angoisse constante de voir cette jolie relation s’arrêter un jour.

Car quelle étaient au fond les chances de survie durable de cette amitié amoureuse, entre deux personnes séparées par la culture, la langue, le statut social, l’âge, les trajectoires existentielles, et que ne rapprochait provisoirement que leur état provisoire d’exilés dans une terre lointaine ? Sans compter qu’à tout moment, Landong pouvait être raflée et expulsée… John était amoureux, il aurait volontiers franchi le pas d’un mariage. Mais c’est elle en fait qui n’en voulait pas. Et de toutes manières, le destin allait en décider autrement.

Un jour de février, Landong vint à leur rendez-vous le visage couvert d’un masque. Une fois rentrée chez lui, elle se précipita dans la salle de bains pour se désinfecter les mains et le pria d’en faire autant avant de porter à son tour un masque. Etonné, John lui demanda la raison de ce comportement. C’était à cause, disait-elle, d’une dangereuse épidémie qui avait commencé à ravager l’Asie, provoquant d’après elle la mort par asphyxie de milliers de personnes.

John éclata alors de rire, considérant d’un air narquois les précautions sanitaires dont Landong semblait vouloir s’entourer. Précautions selon lui disproportionnées avec les faibles dangers de ce qui n’était, selon toute vraisemblance, qu’une grosse grippe.

– Le gouvernement a dit qu’il n’y avait aucun risque et que tout était sous contrôle. D’ailleurs, tous les aéroports internationaux sont ouverts et on n’est même pas obligés de porter le masque, dit-il d’un ton un peu supérieur face à son amie affolée.

– Mais si, je t’assure, John, c’est très très grave, vous ne vous rendez pas compte ici de ce qui se passe, j’ai acheté plein de masques pour les envoyer à ma famille, il faut que tu te protèges…

– Ta ra ta ta, tout ça c’est des histoires de journaliste, fait comme moi, reste calme, il n’y a aucun danger, tu verras…

Mais malheureusement, c’est lui qui se trompait. La pandémie déferla sur le monde, et bientôt, la ville où ils habitaient fut soumise à un sévère couvre-feu.

Ce fut d’abord un confinement d’un mois, subitement annoncé un soir par un message spécial du gouvernement. Immédiatement après l’avoir entendu, John se précipita chez Landong, les bras chargés de provisions et les poches emplies d’argent liquide pour l’aider à tenir le coup, puisqu’elle n’aurait plus aucun moyen de gagner sa vie. Puis ils s’appelèrent tous les jours, pendant un mois, pour se demander des nouvelles et se remonter mutuellement le moral, au cours de longues conversations qui parfois, se prolongeaient jusqu’au milieu de la nuit. Il était si inquiet pour elle, enfermée dans son petit appartement, seule et sans ressources !!!

Mais c’était une femme courageuse, qui visiblement supportait beaucoup mieux l’épreuve que ce qu’il craignait. Il faut dire qu’elle avait été infiniment mieux préparée que lui, par sa longue pratique de la misère, de l’oppression et du malheur, à supporter cette épreuve !!!

Quelle ironie amère !! Ils n’étaient séparés l’un de l’autre que par quelques kilomètres. Mais avec la police qui rôdait en permanence dans les rues à la recherche de contrevenants au confinement, cette petite distance avait soudain pris les proportions d’un infranchissable océan… 

Puis, les restrictions s’allégèrent. Le confinement fut remplacé par un couvre-feu. Les amoureux purent se retrouver en prétextant un déplacement nécessaire à la simple survie. Mais c’était désormais une relation atrophiée. Par la peur constante d’être arrêtés à l’occasion d’une sortie non autorisée. Par la fermeture de tous les lieux de détente où ils aimaient autrefois se retrouver pour prendre un petit café ou écouter un peu de musique (Même le vieux musicien, qu’ils aimaient tant écouter près de l’entrée du fort, avait disparu….) Par l’impossibilité de se promener tranquillement, main dans la main, dans les rues de la vieille ville et les jardins de la colline. Et par l’angoisse du lendemain qui tenaillait ces deux êtres privés de leurs ressources – surtout Landong – par l’impossibilité de travailler. Et John tremblait tous les jours de voir son amie arrêté au cours d’une rafle, internée, puis renvoyée dans son pays.

Et c’est alors qu’arriva la catastrophe.

Quelque part dans le monde, éclata une guerre féroce entre deux contrées voisines. Par le jeu des systèmes d’alliances, tous les pays du monde firent bientôt sommés de choisir leur camp dans un conflit porteur d’un risque de conflagration mondiale. Et le Sultanat choisit le camp opposé de celui dans lequel se rangea le pays de Donglan.

Alors, la chasse aux sans-papiers originaires des Philippines, qui jusque-là était restée au fond relativement bonasse, devint impitoyable. Toutes les amies de Donglan furent, l’une après l’autre arrêtée, internées et chassées du pays. Les propriétaires qui acceptaient encore de les loger, les patrons qui leur donnaient du travail, furent soumis à de lourdes sanctions. A chaque rendez-vous, John craignait désormais de ne pas voir apparaître sa tendre amie. Il lui proposa de la cacher chez lui en attendant des jours meilleurs, de l’épouser pour lui procurer des papiers en règle et même pour fonder une vraie famille. Mais elle refusa obstinément. Peut-être ne l‘aimait-elle pas assez, ou bien le jugeait-elle trop vieux…

Et un jour, elle ne vint pas. Il l’attendit une heure, deux heures en haut de l’escalier désert. Il l’appela au téléphone. Pas de réponse. Il se précipita chez des amis communs, mais il trouva aussi porte close  .des voisins lui dirent qu’ils avaient eux aussi été emmenés par la police. Et quand il réussit finalement, au bout de quelques jours, à obtenir quelques bribes d’information, celles-ci s’avérèrent contradictoires : les uns parlaient d’une maladie brutale, les autres d’une arrestation, d’autres encore d’un départ précipité à l’étranger… Il alla tambouriner à sa porte, mais elle reste close. Il se rendit à l’hôpital de la ville, mais son amie n’y était pas. Il alla même demander des nouvelles au commissariat, mais il s’y heurta à un silence tellement hostile et soupçonneux qu’il estima inutile d’insister. Quant au centre de rétention pour étrangers illégaux, une sorte de camp barbelé situé en périphérie du port, sa porte lui resta désespérément close. Et tous les jours, dans ce qui s’apparentait de plus en plus à un rituel sans espoir, il composait le numéro de téléphone de son amie, pour tomber, toujours, sur la même sonnerie sans réponse.

« Que lui est-il arrivé ? Où est-elle ? » Se demandait-il sans cesse dans ses nuits d’insomnie. A-t-elle été assassinée par un rôdeur ? Est-elle morte de la maladie ou bien hospitalisée ? A-t-elle été arrêtée par la police, internée, expulsée ? Est-elle réfugiée chez un autre ami, cloitrée, séquestrée peut-être ? Est-elle simplement retournée dans son pays aux côtés de ses enfants et de ses vieux parents ?

Cette disparition l’affligea profondément. Donglan incarnait que qu’il avait de meilleur en lui : l’amour de la vie, le courage, la dignité, l’attention à l’autre, la générosité et le don de soi… C’est elle qui lui donnait la force de se surpasser pour essayer d’être digne de ses belles qualités. Sans elle, il retournait à son état d’homme vieillissant, un peu égoïste, un peu amolli par le confort matériel. Mais il était surtout préoccupé de savoir ce qu’elle était devenue. Certains jours d’optimisme, il se rassurait en pensant que son douloureux exil avait pris fin et qu’elle avait retrouvé sa famille. D’autres jours, les pensées les plus noires envahissaient son esprit… 

Et personne à qui parler, à qui confier la peine infinie de ce manque…. Et personne d’autre que lui, non plus pour se soucier de ce qu’elle était devenue… Il passait de longues heures à regarder les débris de ce naufrage : quelques rares photos, deux ou trois objets offerts en cadeau, des bribes de SMS ou d’emails, le cahier où il notait les mots de philippin désormais inutiles qu’elle lui apprenait….

Quelques années passèrent, amenant avec elles la résignation, la vieillesse et l’oubli. D’immenses champs de gaz furent découverts dans le sultanat, apportant avec eux la dévastation de la prospérité. Les vielles felouques furent remplacées par d’énormes supertankers, accostant sur les quais ultra-modernes qui avaient remplacé le vieux port. La vieille ville fut rasée pour laisser la place à d’immenses gratte-ciels. Les charrettes tirées par des ânes furent remplacées par de puissantes voitures de luxe, les petites boutiques d’artisans par des malls clinquants, les entrelacs de vivantes ruelles par des autoroutes urbaines. Un jour, un incendie ravagea la vieille villa de John, réduisant en fumée les derniers souvenirs de son amie. Désormais, il errait solitaire, dans un monde ultra-moderne et inhumain qu’il ne reconnaissait plus.

Mais la providence fut bienveillante avec lui, lui permettant d’échapper à une morne vieillesse par une mort soudaine éclairée d’un ultime espoir. Un jour qu’il errait dans l’une des dernières rues encore intactes de la vieille ville, il crut apercevoir, de dos, la silhouette de son amie disparue tournant au coin d’une allée. Le cœur gonflé d’espoir, il se précipita  à sa poursuite…

– Donglan, Donglan !!!

Oui, c’était bien elle, avec sa taille menue mais élancée, sa démarche énergique, ses cheveux noirs assemblés en une longue queue de cheval. Elle dont il attendait, jour et nuit, le retour, depuis maintenant quinze ans. Elle qu’il venait de retrouver, et qui se retournait maintenant pour le reconnaître et se précipiter dans ses bras. Quel immense bonheur !!!

Mais avant qu’elle ne se retourne, il tomba, foudroyé par une crise cardiaque. Ce fut une grande chance pour lui, car il évita ainsi l’immense déception de se trouver face à une inconnue et au vide vertigineux de sa solitude.

C’est ainsi que disparut le dernier souvenir des amours de Donglan et de John. Enfin, pas tout à fait, parce que dans un village reculé, ou bien dans une petite ville des Philippines, une vieille grand-mère conservera peut être encore pendant quelques années la mémoire du vieux monsieur blanc qui était si gentil avec elle, quand elle était une jeune immigrée dans un lointain pays…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.