Catégories
Nouvelles En vrac

J’aimerais tant revoir ma souris

25 octobre 2021

Il y a longtemps, bien longtemps de cela, quand j’avais beaucoup plus de cheveux et un peu moins de bedaine, j’ai vécu une grande histoire d’amour avec une jolie souris.

J’avais en effet rencontré une très agréable danseuse lors d’une milonga sur les quais de Seine, et nous nous étions si bien entendus qu’elle m’avait invité à prendre un verre chez elle.

Elle habitait un petit appartement sombre et délabré en rez-de-chaussée, dans l’arrière-cour d’un vieil immeuble ouvrier à deux pas du quai de Valmy. Ce qui tenait lieu de cuisine occupait un minuscule recoin dans l’entrée, les fenêtres de la chambre à coucher avaient une vue imprenable sur le local à poubelles de la cour, les toilettes et le bac à douche étaient entassés dans un réduit de 2 mètres carrés derrière le lit, les peintures et les plomberies semblaient n’avoir pas été refaites depuis un siècle, et le mobilier complètement hétéroclite et délabré, avec ses tiroirs remplis à la va-comme-je te-pousse, donnait une irrésistible impression de désordre et de dénuement.

Cela avait peut-être été autrefois une loge de concierge. Ou bien un petit atelier d’artisan du faubourg Saint-Denis. Maintenant, avec la patine ou plutôt la poussière du temps, cela faisait plutôt penser à un trou à rats !!!

Mais, bon Dieu, ce que j’ai pu être heureux dans ce trou à rats avec ma souris !!! Et pour cause !!!

J’avais donc commencé à prendre mes habitudes avec ma nouvelle amie. Comme c’était une bonne cuisinière, elle préparait des plats savoureux dans sa minuscule cuisine, que nous mangions sur le coin d’une table boiteuse. Ensuite, nous passions dans la chambre à coucher (celle qui avait vue sur les poubelles) pour bavarder, regarder un film ou nous livrer à d’autres activités avant de nous endormir.

Comme mon amie se levait tôt, elle m’avait demandé, pour la laisser se reposer tranquillement, d’aller dormir sur un canapé dans l’entrée.

Ce canapé, d’ailleurs très confortable, avait une vue imprenable sur le recoin cuisine, avec son réchaud, son frigidaire, son garde-manger et sa boîte à ordures.

Et c’est ainsi que j’ai rencontré ma souris.

La première nuit, alors que je m’étais tranquillement endormi, je fus en effet réveillé vers deux heures du matin par toutes sortes de bruits furtifs : un grattement derrière le frigo, une galopade légère, un petit couinement, un froissement de papiers qui semblait provenir de la poubelle…

Au début, je crus que c’était un gargouillis de tuyauterie, ou bien le ronron du frigidaire. Mais lorsque je sentis subitement quatre petites pattes courir à toute allure sur mon visage, le doute ne fut plus permis : je cohabitais avec une souris, et l’impudente n’avait pas hésité à monter jusque sur mon lit pour chercher sa subsistance, ou bien poussée par la  curiosité pour ce nouveau colocataire.

La première nuit, je dormis très mal, un peu choqué, voire dégoûté par cette découverte. Mais, très vite, l’idée m’a amusé, et j’ai décidé de faire plus ample connaissance avec ma nouvelle amie.

Dès la nuit suivante, je me mis à la guetter, le doigt sur l’interrupteur, prêt à ouvrir la lumière au premier bruit suspect.

Et c’est ainsi que je la découvris. Ouvrant inopinément la lumière, je la vis galoper sur la table branlante avant de disparaître. C’était une jolie petite souris brun clair, qui provoqua immédiatement un moi un sentiment d’affection. Séducteur impénitent, je décidais donc de l’apprivoiser pour conquérir son amitié.

Je disposais donc à proximité de mon lit, nuit après nuit, quelques miettes du repas préparé par l’autre souris – je veux dire par mon amie humaine –afin de gagner sa confiance.

Mon approche fut rapidement couronnée de succès : le premier matin, je constatais que mes présents avaient été acceptés et emportés. Puis, les nuits suivantes, j’eus la surprise d’observer que le petit animal ne s’enfuyait même plus lorsque j’ouvrais la lumière pour l’observer. Elle se rapprochait même de plus en plus de moi à mesure que je disposais les miettes de nourriture à proximité immédiate du canapé. Bref, au bout d’un certain temps, elle prit l’habitude de manger dans ma main, et même de monter sur le lit pour demander un petit supplément.

J’avais donc désormais deux amies dans cette mansarde : ma grande souris dansante de soirée, qui me préparait des délicieux repas avant de m’accueillir dans sa chambre à coucher, et ma petite souris galopante de nuit, qui montait sur mon canapé de l’entrée pour manger les restes du repas que je volais pour elle dans le frigidaire de la grande souris.

Au bout de quelques semaines, j’étais devenu presque plus amoureux de la petite souris que de la grande, et j’attendais avec impatience la fin de la soirée avec celle-ci dans la chambre pour aller rejoindre celle-là dans l’entrée.

Quand j’y pense aujourd’hui, je me rends compte que ce n’était peut-être pas très moral de faire ainsi une infidélité à ma grande souris, jusque sous son toit, pour une petite souris beaucoup moins âgée qu’elle. Mais enfin, que voulez-vous, j’étais jeune à l’époque, je ne pensais pas à mal, et puis j’avais une âme de chat, je courais après toutes les souris…

Mais j’ai été bien puni, parce qu’au bout de quelques temps, ma grande souris s’est lassée de moi.

Elle avait peut-être rencontré un beau renard argenté danseur de tango, ou bien avait découvert mes infidélités nocturnes. Bref, un beau jour, elle me congédia de son trou à rats.

J’en conçus évidement une grande tristesse. Pensez, perdre sa petite poulette, c’est déjà très douloureux, mais perdre ses deux souris en même temps, c’est vraiment insupportable, surtout pour un chaud lapin comme moi.

J’ai donc essayé par tous les moyens de me réconcilier avec ma grande souris dans le secret espoir de revoir la petite, mais rien n’y a fait, j’ai été chassé comme un chien.

Le temps a passé, j’ai peu à peu oublié cette histoire, d’autant que je n’ai pas une mémoire d’éléphant. Mais l’autre jour, alors que je me promenais entre chien et loup dans le quartier du quai de Valmy, ces vieux souvenirs sont revenus en rafale.

Je me suis dirigé vers le vieil immeuble de mes amours passées, dans l’espoir de retrouver mes souris d’antan.

Mais la maison avait disparu, remplacée par immeuble moderne, tout neuf et tout propre,avec digicode, interphone et vidéosurveillance.

J’ai été un peu déçu bien sûr, mais je me suis consolé en pensant que ma grande souris d’antan doit être une vieille dame maintenant. Quant à la petite souris, elle doit être morte depuis belle lurette, et j’en aurais été quitte pour raconter notre jolie histoire d’amour à ses arrières-arrières-arrières petits-enfants. Mais comment dit-on « Je t’aime » en langue souris ?

Alors, je suis parti, le cœur gros de nostalgie. Et devinez devant quoi je suis passé à vingt mètres de là ? Devant une boutique spécialisée dans la chasse aux animaux nuisibles : « Désinsectisation, dératisation, désourisation 24h/24 », écrit en grosses lettres sur la devanture…

Alors, j’ai baissé la tête et j’ai continué mon chemin tristement, comme un chien battu, la queue entre les jambes. Décidément, foi d’animal, ce monde trop aseptisé n’est plus fait pour moi…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.