Catégories
Entre multiculturalisme et patriotisme

Pour survivre, un peuple a avant tout besoin d’une transcendance

27 avril 2021

De quoi, par ces temps troublés, un peuple comme le nôtre (je veux dire le peuple français) a-t-il besoin pour survivre ? Certes, d’une armée puissante, d’une économie prospère, d’une police respectée, d’une industrie compétitive, d’une justice en état de fonctionnement.

Mais toutes ces forces ne sont rien – et d’ailleurs risquent elles-mêmes de se déliter inexorablement comme nous le constatons malheureusement tous les jours- sans l’existence d’une transcendance qui leur servirait de socle.

Une transcendance, c’est une croyance partagée en un principe supérieur (qu’il soit religieux, politique, ou, plus rarement mais cela existe dans certains cas, culturel) qui fait que les individus membres d’un société donnée : 1) agissent selon le même corpus de normes morales et de règles de comportement ;

  1. éprouvent vis-à-vis de leur société d’appartenance un sentiment d’amour qui génère tout naturellement une éthique du devoir et 3) que celle-ci peut les conduire le cas échéant à sacrifier volontairement leur propre bien-être personnel, voire leur vie, au profit des intérêts supérieurs de ce groupe.

La transcendance est également un étrange objet topologique, qui se situe à la fois tout en haut et tout en bas de chacun de nous : tout en haut, lorsque nos regards éblouis s’élèvent vers le ciel à sa recherche ; en tout en bas, lorsqu’elle nous enracine dans un terreau de valeurs partagées. C’est d’ailleurs cette ubiquité paradoxale qui fait tout sa force, en produisant par cette tension verticale des hommes solides, droits et fiers. A l’inverse, un homme privé de transcendance a toutes les chances, le moment venu, de se comporter comme un mollusque dépourvu de colonne vertébrale.

Considéré sous cet angle, le mal français ne tient ni à la délinquance, ni à la gabegie étatique, ni à l’immigration incontrôlée, ni au déclin démographique, ni à l’affaiblissement de nos institutions. Toutes ces plaies ne sont en fait, pour une large part, que la conséquence de cette perte de transcendance qui fait que la France n’est plus désormais, ni chrétienne, ni laïque, ni tellement républicaine, ni même tout simplement fière d’être ce qu’elle est, c’est-à-dire française.

Et, au risque de choquer certains de mes amis identitaires anti-immigration, j’affirme que ce délitement ne provient pas tant d’une cause externe (l’action malfaisante des gauchistes, l’immigration musulmane de masse, etc.) que d’une cause interne, inscrite au plus profond de nous-mêmes : pour des raisons mystérieuses, nous (ou plutôt beaucoup trop d’entre nous) avons simplement cessé d’aimer et d’admirer notre pays, et ce bien avant qu’aucun gauchiste antipatriote, qu’aucun hurluberlu écologiste, qu’aucun.e militant.e LGBT déjanté.e, qu’aucun islamiste radical ne nous aient sommé de le faire. Ces figures destructrices ne sont en fait que le prurit de notre propre renoncement à faire peuple et à voir dans notre pays une entité dotée d’une transcendance, qui en ferait un objet d’amour, d’admiration et de dévouement. Privé de cette force centripète, il est alors logique que le corps social, soumis à toutes sortes d’influences centrifuges, se délite et se fragmente en communautés que plus rien ne réunit, et que, bientôt, tout risque d’opposer.

Pour prouver ce que j’avance, je voudrais m’appuyer, un peu dangereusement comme vous allez le voir, sur mon expérience existentielle personnelle et plus particulièrement sur une sorte de contradiction intime dans mon comportement.

Voilà en quoi consiste cette contradiction : si je vois dans la rue, disons 2 ou 3 voyous non armés agresser une personne que je ne connais pas, j’aurais plutôt tendance à me laisser guider par la peur à et hésiter beaucoup, beaucoup, beaucoup, avant d’intervenir. Par contre si la personne dont il s’agit est visiblement d’origine juive, et victime d’une agression antisémite, j’aurai davantage tendance à me précipiter sans hésitation pour la défendre, même si les agresseurs sont nombreux et armés.

Pourquoi cette différence de comportement ?

Les antisémites auront beau jeu de dire : « vous voyez, le petit moricaud a avoué : les youpins de défendent entre eux, mais en fait ils se fichent de la France ». Manque de chance, quoique d’origine juive, je me sens en fait beaucoup plus français qu’israélite. Alors, quelle est la raison pour laquelle la toute petite part de Juif qui est en moi est capable de me faire réagir beaucoup plus courageusement que la très grande part de Français qui est en moi ?

Quant aux antiracistes, ils se féliciteront peut-être de ma propension à me mobiliser courageusement pour la défense des minorités. Mais, là encore, ils se tromperaient complètement sur mes motivations. J’estime en effet que tout acte de violence revêt à peu près la même gravité quelque que soit l’origine de la personne qui en est victime, et que de plus le racisme anti-français est aujourd’hui en France une réalité désolante contre laquelle il faut lutter avec la même force que contre l’antisémitisme. Donc, aucune rationalité assumée ne me pousserait à défendre un Juif plutôt qu’un membre du groupe majoritaire.

Alors, pourquoi, au fond, serai-plus enclin à risquer ma peau pour défendre une personne d’origine juive que pour défendre un français ordinaire (ce terme n’ayant bien sur aucune connotation péjorative puisque je considère que suis moi-même, à disons 90 %, un français ordinaire). Quelle est cette force mystérieuse qui me pousse à agir ainsi, et qui échappe a priori à toute explication rationnelle ?

En bien, la réponse, après réflexion, m’apparaît limpide : parce que la toute petite part de Juif qui est en moi a appris à révérer, pendant son enfance, une transcendance hébraïque qui était forte et vivante ; et parce que la très grande part de Français qui est en moi n’avait déjà droit, il y a plus de 50 ans, qu’au spectacle d’une transcendance française abîmé et affaiblie.

Précisons ce sujet délicat.

Je suis le produit de deux formatages éducatifs : celui de ma famille et celui de l’école républicaine.

Dans ma famille, nous étions sincèrement (je ne le dis pas par précaution oratoire, mais parce que c’est vrai) pénétrés d’une très grande affection pour la France, très patriotes et très heureux d’être citoyens de ce grand pays. Mais nous étions également mus par un très fort sentiment d’identité juive qui prenait lui-même deux formes bien distinctes : d’une part une immense fierté d’appartenir à un peuple dont l’influence culturelle, scientifique, religieuse, philosophique sur l’histoire du monde était sans commune mesure avec son faible poids démographique ; et d’autre part, une terreur panique d’avoir à affronter un jour une nouvelle crise d’antisémitisme dont la dernière manifestation avait totalement décimé ma famille 15 ans avant ma naissance.

A l’école républicaine, j’ai également appris à aimer l’histoire de mon pays (la France, donc). Mais j’étais confronté dans le préau de ma communale puis de mon lycée à un curieux phénomène qui d’ailleurs m’étonnait et m’attristait : mes petits camarades, au lieu de manifester leur amour de leur pays, passaient leur temps à le dénigrer : nous avions perdu plein de guerres, nous avions été battus à plate couture par les Allemands, les Américains faisaient tout mieux que nous ; et en plus, nous étions nuls en foot (je parle ici des années 1965). Donc pour beaucoup de mes copains, la France, c’était nul. Et je précise qu’à l’époque il n’y avait dans la cour de récré aucun musulman fondamentaliste et aucun africain décolonial militant : c’étaient tous des petits français blancs (plus ou moins) de souche qui parlaient (déjà) de leur propre pays avec un mélange de mépris et d’indifférence.

Le résultat de ce double conditionnement, je m’en rends compte aujourd’hui, a créé dans ma psyché une sorte de dichotomie. En tant que petit Juif, j’étais encouragé à être très fier de ce que j’étais parce que cela me rattachait à une transcendance (de plus terriblement menacée), celle de l’histoire d’un peuple élitaire. En tant que petit Français, j’étais constamment dissuadé par mon environnement (français !!!) de me rattacher à une quelconque transcendance (Même si je me la suis créée moi-même de toutes pièces en vouant un véritable culte à Napoléon et à sa Grande Armée).

Le résultat, c’est que la toute petite part de Juif qui était en moi était préparée à défendre becs et ongles cette transcendance hébraïque admirée et menacée, alors que la part majoritaire de Français qui était en moi, privée de transcendance, était plutôt tentée par une forme d’individualisme égoïste ouvrant in fine la voie à la lâcheté.

Voilà pourquoi, encore aujourd’hui, je n’aurais pas peur (enfin, j’espère) de me faire casser la figure (ou pire) en défendant une dame juive contre des agresseurs éventuels, alors que je passerais plus vraisemblablement mon chemin en rasant les murs (à moins d’un sursaut de courage toujours possible) dans les autres cas. D’un côté, la transcendance a créé le courage et l’altruisme ; de l’autre, l’absence de transcendance a créé l’égoïsme et lâcheté.

Voilà sans doute aussi pourquoi l’Etat d’Israël, autrefois menacé de submersion par des ennemis nombreux, est aujourd’hui dans une forme olympique (en attendant bien sur la prochaine catastrophe qui ne manquera pas, comme toujours, de s’abattre), alors que la France, qui était il y a encore 50 ans une très grande puissance mondiale, est aujourd’hui menacée de délitement.

Parce que dans un cas, le sentiment de transcendance a été cultivé et préservé ; et que dans l’autre, il a été dilapidé et quasiment détruit. Parce que, dans un cas on a appris à être fier de ce que l’on est, alors que, dans l’autre cas, on a plus ou moins appris le contraire. Parce, dans un cas, on est prêt à donner sa peau pour son groupe d’appartenance – sachant que celui-ci fera ensuite de vous un héros – alors que dans l’autre cas, on ne pense qu’à sauver sa peau – sachant que personne ne vous sera reconnaissant d’un éventuel acte de courage.

Cette réflexion m’a conduit à une sorte de révolution copernicienne dans l’analyse des causes du délitement français : selon moi, la France, aujourd’hui, n’est pas menacée de disparition du fait de l’action de méchants gauchistes ou d’islamistes fanatiques. Elle est menacée de disparition parce que, pour des raisons elles-mêmes très obscures (vieillissement démographie ? revers historiques ? déclin culturel ?), le sentiment de transcendance qu’elle pourrait et devrait induire dans l’âme de ses habitants s’est affaibli. Ceci a alors créé un vide métaphysique dans lequel (la nature humaine, ayant, justement, horreur du vide métaphysique) ont pu s’infiltrer et prendre racine d’autres valeurs et d’autres croyances éventuellement hostiles à la France.

L’horizon que nous ouvre alors cette perte de transcendance – c’est-à-dire d’un principe supérieur fédérateur permettant de « faire peuple » – est terrifiant : c’est la perspective de voir coexister, sur le même territoire, des groupes révérant des transcendances différentes, et presque nécessairement conflictuelles. En termes plus crus, c’est une perspective de libanisation et de guerre civile.

Ayant dit cela, j’aimerais bien pouvoir maintenant proposer un remède simple, par exemple en faisant sonner les trompettes du patriotisme cocardier : « il faut apprendre à nouveau à nos enfants à aimer leur pays, etc., etc. ». Le problème, c’est que d’une part nous n’en prenons évidemment pas du tout le chemin (avec par exemple les propos récents, extrêmement dangereux, de notre Président, sur une volonté de « déconstruire » notre histoire) ; et que d’autre part, l’amour d’un pays ne s’apprend pas simplement un rajoutant une heure par semaine d’éducation civique au collège, confiée à des profs marchant sur des œufs et terrifiés à l’idée de heurter tel ou tel groupe d’élèves par leur propos. On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, pas plus qu’on ne transforme en patriote fervent un enfant auquel sa famille n’a pas transmis l’amour du pays dans lequel il vit.

L’autre solution, évidement tentante, consisterait alors à imposer par la contrainte l’amour forcé du pays. C’est ce que firent en leur temps les hussards noirs de la IIIème république (là, je confonds un peu patriotisme et esprit républicain). Mais c’est aussi ce que firent des figures infiniment moins sympathiques, comme les inquisiteurs espagnols ou, au siècle passé, les différentes variantes de commissaires politiques tenant d’imposer par la terreur (finalement sans succès d’ailleurs) leur doxa totalitaire. Donc prudence…

Voilà j’en suis là de mes réflexions, j’aimerais bien ouvrir maintenant un débat avec vous (enfin, avec les rares facebookiens qui auront lu ce post jusqu’au bout) sur le thème : « Comment refaire de la France une figure transcendante, objet d’amour et de culte, et source d’un sens du devoir civique ? » Vaste question, n’est-ce pas ? Mais aussi tellement vitale, et pas seulement pour l’avenir de notre pays, mais aussi, plus prosaïquement, pour la sécurité de chacun d’entre nous !!!! Parce que, sans transcendance, personne ne viendra à votre secours si vous êtes agressé dans la rue !!!

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.