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Entre autoritarisme et chaos

On ne fait pas de dictature sans casser d’œufs

29 mars 2021

Il y a une douzaine d’années environ, je fus témoin à Santiago de Cuba d’une scène de brutalité policière dont le souvenir me hante encore aujourd’hui dans sa mesquine banalité. J’avais pris un congé sabbatique afin de m’initier à la culture populaire cubaine, et j’habitais alors dans l’une des rues les plus charmantes du vieux Santiago : la rue Padre Pico, où j’apprenais à danser le Son au bas des escaliers de Tivoli, juste à côté de la maison où Compay Segundo connut son premier grand chagrin d’amour, immortalisé par lui dans la chanson Macusa.

Un soir que je rentrais chez moi après un cours de Son ou de Rumba, je remarquai un attroupement près d’une maison voisine : des habitants du quartier étaient regroupés en arc de cercle autour de quelques policiers (ne me demandez pas exactement lesquels : à Cuba, il y a presque autant de types de polices différentes que d’infractions prévues par le code pénal cubain, c’est-à-dire approximativement une infinité).

En m’approchant, je constatai que ces policiers d’appartenance indéterminée, debout près de l’entrée de la maison, étaient en train de se livrer à une curieuse cérémonie : ils détruisaient des dizaines de palettes d’œufs en les fracassant sur le trottoir puis en les écrasant pour plus de sécurité avec leurs bottes. Et les habitants du quartier, consternés, les regardaient faire dans un silence de mort dont on ne pouvait douter qu’il exprimait une réprobation secrète. Car les œufs, à Santiago de Cuba, sont une denrée très rare pour la plupart des habitants (sauf pour les touristes et les membres de la nomenklatura locale, bien sûr).

Renseignements pris, j’appris qu’un trafic d’œufs au marché noir (sans doute ceux que je dégustais le matin à mon copieux petit-déjeuner) venait d’être démantelé, et que les policiers appliquaient la sanction habituelle dans ce cas de fragrant délit : la destruction immédiate et publique de la marchandise, sans préjuger bien sûr des sanctions beaucoup plus graves auxquelles pouvaient ensuite s’attendre les contrevenants une fois déférés au tribunal.

Pour bien comprendre le caractère odieux de cette scène, il faut savoir qu’à l‘époque – comme c’est d’ailleurs en permanence le cas dans ce pays depuis des décennies – les cubains crevaient littéralement de faim. Et voilà que la police communiste, dans une sorte de défi odieux, détruisait publiquement sous leurs yeux cette si précieuse et si rare nourriture, comme si elle voulait signifier au peuple assemblé : « vous ne pouvez rien contre notre domination !!! Si vous essayez d’enfreindre les règles que nous vous imposons, nous pouvons fracasser vos vies comme nous sommes en train de fracasser ces œufs : pensez-y bien lorsque vous aurez faim ce soir, nous pouvons faire ce que nous voulons de vous, y compris vous empêcher de manger !!! »

Une fois passée ma première réaction de révolte, je me mis à réfléchir sur le sens profond de cette scène d’oppression. Et j’en conclus, de manière assez évidente d’ailleurs, que je venais d’assister à une manifestation parmi d’autres de la décomposition – à un stade avancée – d’une utopie totalitaire.

Une utopie totalitaire, c’est un peu comme le supplice du pal, ça commence bien et ça finit mal. Au début, les révolutionnaires vous promettent que moyennant l’élimination de quelques gêneurs et l’application de quelques règles simples dont la philosophie de base consiste à rendre l’Etat entièrement maître de la vie des gens, le paradis sur terre est pratiquement à portée de main.

Puis les difficultés commencent : les fameuses règles simples se révèlent pratiquement inapplicables en l’état, alors on commence à les compliquer dans un processus sans fin donnant naissance à une bureaucratie kafkaïenne (ou orwellienne, c’est selon vos goûts littéraires). Malgré cela (ou plutôt à cause de cela), toute l’économie administrée se désorganise progressivement : les agriculteurs arrêtent de produire les aliments qu’ils sont obligés de vendre à perte à l’Etat ; les ouvriers se préoccupent davantage de chaparder le matériel de leur usine que de travailler pour un salaire de misère ; les innombrables bureaucrates sous-payés pratiquent un absentéisme massif dont leurs chefs sont les premiers à donner l’exemple. Tous passent le plus clair de leur temps à chercher de la nourriture au marché noir, à troquer entre eux quelques biens misérables où à gagner de quoi survivre par un travail clandestin, tandis que l’économie officielle se désintègre. C’est ainsi qu’on voit à Cuba des professeurs d’université devenir grooms dans des hôtels pour touristes, où leurs pourboires atteignent des montants 100 fois supérieurs à leurs ridicules salaires ; ou des responsables de la maintenance technique de l’aéroport de Santiago de Cuba déserter leur poste de travail pour aller donner des cours de salsa ou organiser des visites guidées pour touristes. D’autres préfèrent quitter le pays en épousant un(e) touriste de passage ou en confectionnant un radeau de fortune pour gagner la Floride.

Sans surprise, l’Etat totalitaire réagit en criminalisant tous ces comportements d’évitement ; qu’importe si ceux-ci ne sont que l’inévitable conséquence d’un légitime réflexe de fuite face à des règles officielles paralysantes. Qu’importe si le marché noir ou le travail au noir constituent pour la population la condition même d’une survie que ne peut plus garantir le système étatisé. Celui-ci n’acceptera jamais de reconnaître sa propre faillite, et mènera une guerre terroriste contre toute forme d’organisation sociale autonome. Et ce afin de maintenir, même au prix d’une misère et d’une disette généralisées, sa domination sur la société.

Processus mortifère d’où découle, fort logiquement, la scène des œufs détruits en public à Santiago de Cuba.

Or, ce qui m’inquiète beaucoup pour la France, c’est que j’ai le sentiment de plus en plus net que nos dirigeants, au fond, ne rêvent que de suivre l’exemple cubain.

Je ne veux pas dire pas là que nous soyons dirigés par des communistes. Non, au fond il n’y a pas besoin d’être communiste pour mener la France dans les parages du désastre cubain. Il suffit d’être étatiste, c’est-à-dire de croire que l’Etat, dans sa bienveillante omniscience, détient les solutions à tous les problèmes de la société française. A partir de ce postulat faux et pourtant si communément partagé dans notre culture politique hexagonale, des dérives aux mécanismes exactement similaires à ceux observés à Cuba – même si elles n’atteignent pas le même degré de gravité – peuvent s’enclencher dans notre pays. Culture, industrie, travail, logement : les exemples de cette situation sont en effet légion.

Prenons l’exemple du logement. Voilà des dizaines d’années que l’Etat nous annonce qu’il va enfin prendre les mesures adéquates pour « résoudre » la supposée « crise » du logement en France (notons d’ailleurs que l’évocation d’une « crise » – qu’elle soit immobilière, sanitaire ou environnementale – constitue le recours rhétorique habituel pour justifier aux yeux d’une population apeurée une nouvelle poussée de l’étatisme liberticide ; à croire que les soi-disant « crises » sont souvent inventées de toutes pièces pour permettre d’augmenter les impôts, de multiplier les interdictions et d’accroître le nombre de fonctionnaires).

Mais en quoi consistent finalement ces mesures de la soi-disant « politique du logement » ? Eh, bien, dans une bonne logique collectiviste, à renforcer les règlements compliquant la vie des malheureux propriétaires bailleurs, à accroître la pression fiscale sur ces mêmes bailleurs, à réduire la rentabilité de leur investissement locatif par des dispositifs d’encadrement des loyers, à rendre quasiment impossible l’éviction des locataires mauvais payeurs et même des squatteurs, tout en pratiquant une collectivisation rampante du parc immobilier par le soutien au développement du soi-disant « logement social ». Dernière marotte en date de nos gouvernants, l’écologie justifie quant à elle d’imposer aux propriétaires des travaux de rénovation énergétique ruineux tout interdisant purement et simplement – nouvelle trouvaille loufoque – de louer des millions de logements dont les caractéristiques d’isolation n’ont pas l’heur de plaire à nos fonctionnaires soudainement convertis à l’écologie répressive. Au fond, ce qui les gêne, c’est qu’il y ait encore des salauds de propriétaires qui osent essayer de se procurer un petit revenu en louant leur bien !! Collectivisme, quand tu nous tiens !!!

Le résultat, bien sûr, ne se fait pas attendre. Le marché immobilier est complètement perturbé par les interventions intempestives de l’Etat : les propriétaires sont découragés de mettre leur bien en location par la baisse de la rentabilité, les risques d’impayés divers et une réglementation envahissante. Cela ne fait que renforcer une pénurie de logements, qui, à son tour conduit naturellement à une hausse des loyers tandis que le nombre de logements vides monte en flèche. De son côté, une partie importante du parc HLM se transforme, immigration de masse aidant, en ghettos ethniques insalubres, véritable bouillon de culture de pathologies sociales, et dont les classes moyennes autochtones sont progressivement évincées. Bref, la politique du logement de l’Etat conduit simplement… à aggraver considérablement la crise du logement !!!

Moyennant quoi, au lieu de reconnaître l’ineptie de ses interventions et de réduire impôts et réglementations pour permettre au marché de fonctionner correctement, l’Etat français réagit exactement comme l’Etat cubain face à la pénurie alimentaire : il durcit encore les règles de toutes sortes et augmente encore les impôts. Il plafonne les loyers en prétendant ainsi aider les locataires, tout en oubliant au passage de se rappeler qu’il encaisse sous forme d’impôt plus de 30 % des loyers payés par ceux-ci, constituant ainsi par sa voracité fiscale la première cause de la hausse des prix du logement. Invraisemblable cerise sur le gâteau de cette folie interventionniste, il s’apprête à interdire purement et simplement à la location des MILLIONS de logements sous prétexte qu’ils sont mal isolés. Etrange méthode pour réduire la pénurie immobilière contre laquelle il prétend lutter !!!!

Bien sûr, les propriétaires bailleurs réagissent alors, un peu comme les cubains, par des comportements d’évitement : en contournant l’encadrement des loyers, en trichant un peu sur les diagnostics énergétiques, en louant en meublé ou sur AirBnB. Faute d’argent du fait de la faible rentabilité locative après impôts, ils ne réalisent pas les travaux de rénovation exigés par l’Etat, etc. Et celui-ci, sûr, réagit à son tour, exactement comme à Cuba, en criminalisant les propriétaires, en multipliant les contrôles, les procès et les amendes, en taxant les logements vides, en menaçant même dans certain cas les propriétaires de réquisition voire d’expropriation (mesure qui constitue en fait l’idéal ultime de cette politique de collectivisation). Tout cela accroissant encore la rareté et la cherté des logements en France, comme celle des œufs à Cuba.

Mais que nos étatistes français prennent garde !!! Parce que justement, en ce moment, à Cuba, la révolte gronde…. [�7lى

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