Catégories
Nouvelles En vrac

Un amour dans les étoiles

19 mars 2021

Cela l’avait beaucoup attristé, de découvrir qu’il n’était pas le centre de l’univers.

Depuis qu’il était né dans une immense explosion de lumière, il avait toujours cru qu’il était le plus bel astre du monde. Il faut dire que rien autour de lui ne semblait démentir ses illusions. Que valait en effet, le froid scintillement de ces minuscules points argentés éparpillés sur la voûte céleste, en face de son splendide flamboiement ?

Mais un beau jour, une conflagration dantesque avait ébranlé le cosmos, et l’un de ces points minuscules s’était transformé en une immense nébuleuse colorée qui avait bientôt envahi la moitié du ciel.

Soleil avait beau être jeune et inexpérimenté, il ne manquait pas de perspicacité. Et il avait alors compris que chacun de ces petits points d’argent froid ne lui paraissaient minuscules qu’à cause de la distance, et qu’en fait ils représentaient chacun un astre aussi grand, voire beaucoup plus grand que lui. 

Cette découverte l’avait jeté dans un trouble profond. Sa solitude commença alors à lui peser, et il se mit à chercher un peu de compagnie. Mais il ne trouva d’abord que du vide. Juste des millions de gros cailloux insignifiants et sans conversation, qui tournoyaient silencieusement autour de lui dans une orbite monotone.

Cependant, il découvrit un jour, très loin dans le ciel, une grande planète d’une rondeur parfaite. Elle était si belle, avec son atmosphère multicolore semée de grandes tâches rouges et vertes, et si joliment parées d’anneaux fins et scintillants, qu’il tomba immédiatement amoureux d’elle. Il fit miroiter pour elle ses plus beaux rayons pour tenter d’attirer son attention, guettant fébrilement un signe de sa part. Mais jamais, jamais cette planète hautaine et froide ne daigna lui répondre.

Seul et malheureux, il tenta alors d’embrasser une toute petite planète qui depuis quelques temps était apparue tout près de lui. Mais, dans son impatience, il s’approcha trop près d’elle, et il ne réussit qu’à la brûler de façon si atroce que son atmosphère se transforma en une impénétrable nuée ardente.

Attristé par ces déconvenues, Soleil se renferma alors longtemps dans une solitude morose. Mais, un matin, il entendit une petite voix qui lui disait :

– Bonjour, Soleil, je m’appelle Xinghao. Je te trouve très beau. J’aimerais bien être ton amie.

C’était une nouvelle planète qui venait de se former, pas très loin de la pauvre étoile toute brûlée. Il trouva qu’elle n’était pas très jolie, avec son atmosphère un peu terne et sa rondeur imparfaite, beaucoup moins en tout cas que la grande planète multicolore aux délicats anneaux. Il ne daigna donc pas lui répondre. Mais la petite planète insista.

– Soleil, soleil, regarde-moi. Ecoute-moi. Je sais jouer de la musique et dessiner. Et puis je t’aime. Si tu voulais me donner un peu de ta chaleur, nous pourrions créer ensemble plein de jolies plantes et de jolis animaux.

Alors, Soleil la regarda de nouveau. Mais il ne vit pas les beaux dessins qui ornaient sa surface. Il n’entendit pas la jolie musique jouée par le vent dans son atmosphère. Il ne pensait qu’à la grande planète lointaine et silencieuse qui le méprisait. Alors il dit à la petite planète musicienne :

– Tu n’es pas jolie. Je ne t’aime pas. Vas – t’en d’ici, tu m’empêche de parler avec la planète que j’aime, et qui est beaucoup plus belle que toi.

Alors, la petite planète musicienne devint très triste. Elle se mit à pleurer beaucoup, et bientôt ses larmes formèrent dans son sillage une longue chevelure argentée. De désespoir, elle se transforma en une comète glacée et s’enfuit vers une orbite très lointaine pour cacher sa peine.

Soleil, alors resta seul pendant très longtemps. Plusieurs fois, il crut trouver l’âme sœur, mais à chaque fois il fut déçu. Un fois, c’était une planète trop empressée qui se précipitait sur lui sans crier gare, se consumant instantanément dans sa fournaise. Une autre fois, c’était une planète trop chétive pour retenir sa propre atmosphère, et dont il ne subsistait bientôt plus qu’un cadavre desséché. Ou encore, c’était une étoile filante que ne faisait que passer un court instant dans sa vie. 

Mais un jour, une nouvelle compagne arriva sans crier gare. C’était une jolie petite planète un peu fofolle, mais gentille et accueillante, qui s’appelait Xingdong. Elle avait bon cœur et disait toujours un mot de réconfort aux pauvres météorites solitaires qui passaient tristement près d’elle. Et surtout, elle aimait beaucoup les poissons rouges et les fleurs, et montrait toujours fièrement à Soleil les rares êtres vivants un peu malingres dont elle parvenait prendre soin malgré sa terre aride et son atmosphère pauvre en oxygène.

Mais Xingdong était aussi impulsive et imprudente, avec son orbite irrégulière et sa tendance à ne pas assez se méfier de tous les corps célestes, parfois malintentionnés, qui rôdaient autour d’elle. Comme en plus, elle n’avait pas beaucoup de chance, il lui arrivait toujours des catastrophes. Une fois, c’était une météorite qui tombait sur elle et qui tuait toutes ses jolies plantes. Une autre fois, elle se rapprochait avec étourderie trop près de Soleil, brûlant d’un coup tous ses oiseaux. Ou bien, prise d’une colère subite, elle s’éloignait subitement de lui pour bouder, et tous ses poissons mourraient alors dans les mers gelées.

C’est pourquoi Soleil avait toujours peur qu’il n’arrive un malheur à Xingdong et qu’elle ne disparaisse aussi subitement qu’elle était apparue. A chacun de leur rendez- vous, il tremblait de crainte de ne pas la voir poindre comme convenu au firmament, frappée soudain par l’une de ces catastrophes dont elle était coutumière.

Et, un triste jour, ce malheur se produisit : Xingdong ne parut pas au rendez-vous. Soleil attendit une semaine, un mois, un an, mais il ne reçut pas un signe d’elle. La petite planète primesautière était vraiment partie sans laisser d’adresse.

Soleil était très malheureux de la disparition de Xingdong. Il avait peur qu’elle n’ait eut un accident, qu’elle ait rencontré un vilain astéroïde, ou bien qu’elle soit morte de froid après s’être imprudemment aventurée dans une région glacée de l’espace. Il espérait de tout son cœur qu’elle ait rencontré un gentil soleil qui pourrait la réchauffer et lui permettre d’être enfin heureuse et apaisée comme elle le méritait.

Pendant longtemps, il chercha à retrouver de son amie. Tous les matins, il envoyait dans le cosmos un grand jet de lumière en espérant qu’elle l’aperçoive et qu’elle lui réponde. Mais jamais plus elle ne reçut de ses nouvelles. Cela le rendit très, très triste jusqu’à ce qu’il rencontre, enfin, la compagne de sa vie. 

Un beau matin, il vit apparaître dans le ciel une belle planète à l’atmosphère d’un bleu profond, joliment strié de longues traînées blanches. Plus éloignée que Xinghao, moins multicolore que la grande planète lointaine, elle avait aussi une orbite plus régulière que celle de Xingdong.

– Bonjour, Soleil, lui dit Xinglan. Tu ne pourrais pas réchauffer un peu plus mon hémisphère sud, je suis en train de faire grandir une belle forêt tropicale de ce côté. Et puis, le soir, couche-toi un peu plus tôt sur mon hémisphère nord, s’il te plaît, mes animaux là-bas ont un peu trop chaud à cause de toi.

Séduit par l’application de la sage Xinglan, Soleil s’exécuta. Bientôt, il fut très fier de constater que grâce à son aide, la courageuse et industrieuse planète bleue avait réussi à se transformer en un havre de vie et de beauté. Tout en oeuvrant quotidiennement ensemble à embellir les choses, ils entretenaient de longues et plaisantes conversations amoureuses. Soleil enseignait à Xinglan les principes de l’univers et lui faisait découvrir les mystères de la grande galaxie. Xinglan présentait à Soleil les plantes superbes et les animaux gracieux auxquels elle donnait vie grâce à son aide.

– Regarde Xinglan !!! Tu vois ce nuage un peu sombre au milieu de la Constellation d’Orion ? C’est la nébuleuse de la tête de Cheval. C’est une grande bulle de gaz très chaude où des milliers d’étoiles comme moi sont en train de naître !!

– Regarde, Soleil !!! Tu vois cet animal au très long cou, qui vient d’apparaître dans ma grande savane du sud. Je l’ai créé hier, et lui ai donné le nom de girafe. Il est gracieux, non ?

Pendant très longtemps, ils vécurent ainsi ensemble un grand bonheur, nourri par les joies du travail et de l’étude. Mais un jour, Xinglan commença à donner des signes de fatigue. Sa jolie couleur bleue se fana, son atmosphère s’emplit de lourds nuages empoisonnés, ses rivières s’asséchèrent, ses plantes se fanèrent et ses océans se transformèrent en mers mortes. Et malgré tous ses efforts, Soleil ne put finalement l’empêcher de mourir tout à fait.

Il fut alors submergé par une immense tristesse. Désormais enfermé dans le deuil et la solitude, il ruminait sans cesse le souvenir de ses amours disparues.

Et puis, il se sentait de plus vieux, de plus en plus fatigué. Peu à peu, il s’éloigna du centre de la galaxie, où trop de jeunes soleils pleins d’énergie entourés de jolies planètes toutes neuves dansaient sans jamais s’arrêter une infernale sarabande. Ce tapage permanent le fatiguait. En plus, c’était un endroit dangereux, où l’on risquait à tout moment de tomber dans un trou noir. Alors, il se traîna vers des périphéries de plus en plus lointaines, de plus en plus obscures et glacées, là où les vieux soleils épuisés et solitaires se cachent pour mourir.

De temps en temps, il pensait encore à toutes ces planètes qu’il avait aimées, et alors son cœur se serrait. « Xinghao, Xingdong, Xinglan, vous étiez si belles, si aimables, et moi j’étais si jeune autrefois !! Et maintenant vous avez disparu pour toujours !! », disait-il dans un soupir. Mais peu à peu, il commença aussi à perdre la mémoire et à oublier ses anciennes amies. Et il restait désormais immobile et muet pendant de très, très longs moments, dans un ciel de plus en plus obscur que sa lumière déclinante ne parvenait plus à éclairer.

Bientôt, il fut malade, à bout de forces. Son cœur ne battait plus que de manière irrégulière. Il se mit à grossir, à grossir, tandis que son visage boursouflé, autrefois si lumineux, prenait une vilaine teinte terne et rougeâtre.

Et soudain sa vie prit fin. Il explosa dans un aveuglant éclair, détruisant avec lui ce qui subsistait encore de tous les êtres célestes qui l’avaient accompagné dans sa longue aventure.

De la belle planète bleue si courageuse, de la jolie planète malchanceuse, de la triste comète à la chevelure de larmes, il ne restait plus rien désormais, plus aucun souvenir, juste un peu de poussière bientôt dispersée dans le néant de l’univers.

Des milliards et des milliards d’années passèrent ainsi dans le silence et l’oubli.

Et ce, jusqu’à ce qu’un jeune astrophysicien, dans une galaxie très lointaine, fasse une découverte extraordinaire grâce à son télescope ultra-puissant. Alors qu’il observait, par une nuit obscure, le ciel à la recherche d’exo-planètes, il détecta la présence d’un nouveau système solaire. Autour d’un soleil très jeune, irradiant une chaude lumière d’un jaune brillant, gravitaient quelques corps célestes susceptibles d’accueillir la vie : une petite planète au parcours irrégulier, une belle planète d’un bleu profond, et une comète brillante à la longue chevelure de glace.

Eh, oui, les amours de Soleil avaient voyagé pendant tout ce temps à travers l’espace pour resurgir, intacts, dans toute la beauté de leur jeunesse, à des milliards d’années lumières de distance. Comme ils resurgiront, encore et encore, beaucoup plus loin et beaucoup plus tard, chaque fois qu’un jeune astrophysicien au cœur plein d’espoir et d’enthousiasme les observera. En fait, ils resteront toujours vivants, et le cœur de Soleil continuera à battre éternellement pour la sage Xinglan comme pour la fantasque Xingdong.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.