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Souvenirs d'un salsero

Comment j’ai appris le Yankadi

Le Yankadi est une danse folklorique africaine, dansée dans le golfe de Guinée et tout particulièrement… en Guinée.

Je l’ai apprise dans des circonstances très particulière, qui seraient cocasses… si elles n’étaient pas tragiques.

A l’époque (en 2010), je travaillais à l’ONU, plus précisément à la CNUCED –  bras armé des Nations Unies en matière d’aide au développement.

J’avais été chargé dans ce cadre, avec quelques collègues, d’une mission de formation destinées aux autorités guinéennes pour l’accueil des investissements étrangers.

Je m’étais dit que j’allais en profiter pour prendre quelques cours de danse africaine le soir.

Je me renseignai donc à mon arrivée à la direction de l’hôtel et effectivement, cette possibilité existait avec un groupe folklorique  local.

Je pris donc rendez-vous  avec eux pour prendre des cours le soir pendant les trois jours que devait durer ma mission

Mais en fait, cela s’est transformé en une semaine complète de cours à temps plein.

En effet, le soir de mon arrivée, les militaire guinéens au pouvoir ont massacré à la mitrailleuse les opposants réunis dans le stade de Conakry, faisant environ 200 morts.

Le dictateur du moment a décrété dans la foulée trois jours de fête nationale pour célébrer je ne sais plus quel événement – en fait un couvre-feu déguisé.

Nous sommes alors restés cloîtrés à l’hôtel, terrifiés à l’idée d’être pris pour cibles nous aussi, pendant que les massacres se poursuivaient le lendemain.

Les rumeurs les plus folles circulaient : l’eau était empoisonnée, la guerre civile allait éclater entre tribus rivales, les blancs allaient tous être arrêtés, etc.

Dans le lobby de l’hôtel – qui faisait aussi fonction de bordel de luxe – les généraux guinéens venaient voir leurs petites amies putes pendant que leurs gardes de corps, aux allures de warlords hyper-testéronés et menaçants façon « blood diamonds », buvaient de l’alcool dans le lobby de l’hôtel, leurs kalachnikovs chargées à côté d’eux, en regardant méchamment tout le monde, et tout particulièrement les Blancs naturellement accusés d’être à la source de tous les maux du pays.

Inutile de vous dire que mes collègues étaient terrifiés.

Mais pas moi.

Non que je sois particulièrement courageux, mais parce que n’ayant rien à faire, j’avais demandé à mes profs de danse de venir me donner des cours tout la journée.

Ils arrivaient donc le matin avec leurs tambours (j’avais un prof, une partenaire et trois joueurs de tambours pour moi tout seul, risquant leur vie pour venir à l’hôtel me donner des cours pour un prix dérisoire).

Toute la journée, pendant une semaine (les communications aériennes étaient interrompues, et il n’y avait pas moyen de rentrer en Europe), j’ai donc dansé au son des tambours africains, dans le cadre radieux de la baie de Konakry, pendant que le pays était mis à feu et à sang, et sans savoir si j’allais être moi-même vivant le lendemain pour continuer ce stage improvisé.

Le soir, je rejoignais, totalement épuisé et la tête vide (le Yankadi est une danse très tonique, alors 8 heures par jours, vous imaginez !!) mes collègues livides de terreur après avoir remâché pendant des heures les dernières rumeurs terrifiantes de la journée.

Au bout d’une semaine, nous avons pu repartir, dans des conditions d’ailleurs un peu ridicules : alors que pendant les premiers jours notre vie était vraiment en danger et que personne ne nous protégeait, nous avons traversé Konakry en casque militaire dans un convoi d’automitrailleuse alors que la ville était redevenue parfaitement paisible.

Voilà comment j’ai appris le Yankadi.

Toute cette histoire est vraie, je n’en n’ai pas inventé une seule virgule.

Fabrice Hatem

 

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