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Investissement international : les illusions d’une statistique

Editeur : Le Nouvel Economiste, n°1375, 15 février 2007

Auteur : Fabrice Hatem

nouvelecocom Investissement international : les illusions d’une statistique

Chapô : les dernières statistiques sur l‘orientation des flux d’investissements internationaux, publiées par la Cnuced, semblent a priori rassurantes pour l’Europe. Mais ne nous laissons pas bercer par l’illusion, en sous-estimant l’ampleur des phénomènes de relocalisation en cours et surtout à venir.

Inflation, chômage, délocalisation, sécurité, pouvoir d’achat : il existe aujourd’hui une déconnexion croissante entre l’optimisme des statistiques officielles et l’inquiétude diffuse de l’opinion. Dernier exemple en date : l’évolution des flux mondiaux d’investissements directs (IDE). A priori, les nouvelles sont bonnes : motivées par la croissance de l’économie mondiale, nourries par les liquidités considérables dont disposent les entreprises, les flux d’IDE ont continué leur progression en 2006. Ils ont atteint, cette année, 1230 milliards de dollars, à deux doigts du record historique de 2000, soit 1600 milliards. Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule : ces flux se sont massivement orientés vers les pays développés. Et surtout vers l’Europe : respectivement 65,1 % et 47,9 % du total mondial. Quant à la France, elle tirerait particulièrement bien son épingle du jeu, accueillant davantage d’investissements que la Chine. Une preuve de plus sans doute, que les esprits chagrins, qui nous décrivent un sombre avenir de déclin industriel sur fond de délocalisations, ne sont pas des économistes sérieux, des « experts ».

Investir ne signifie pas forcément accroître les capacités, ni créer des emplois

Las !!! Ces bons résultats ne signifient pas que les investisseurs internationaux créent massivement des capacités de production et des emplois en Europe. Ils veulent surtout dire que les acquisitions internationales d’entreprises ouest-européennes ont fortement progressé pour atteindre un montant record : 744 ,4 milliards de dollars d’après Thomson Financial. Une nouvelle qui n’est pas d’ailleurs forcément mauvaise : elle signifie en effet moins une « vente par appartements » de l’industrie européenne que la constitution de puissants groupes continentaux de dimension mondiale. Plus des trois-quarts de ces flux acquisition est en effet constitué d’opérations intra-européennes. Malgré une progression récente et quelques opérations spectaculaires, comme le rachat d’Arcelor par l’indien Mittal, les acquisitions en provenance des pays émergents ne représentent encore que des montants marginaux.

Mais avec quelles conséquences sur les emplois ? La réalité en ce domaine est moins séduisante. D’après les données publiées par les consultants internationaux comme OCO consulting, l’Asie en développement aurait à elle seule accueilli plus de 40 % des emplois créés à l’étranger par les firmes multinationales au cours des 3 dernières années, contre seulement 12,7 % pour l’Europe de l’ouest. Pour faire simple, on ne crée pratiquement plus de très grandes usines dans l’ouest du vieux continent, dès qu’il est possible de le faire en Asie ou en Europe de l’est.

La concurrence des pays émergents touche aussi les activités à haute valeur ajoutée

Pas si grave, au fond, dirons les optimistes. Si notre attractivité s’est dégradée dans l’industrie traditionnelle, du fait de nos coûts de production relativement élevés, ce fait est « naturellement » compensé par la montée en puissance de nos industries du savoir et de l’innovation. Des domaines où nous possédons, « bien sur », une avance considérable sur le reste du monde. Et de fait, l’Europe de l’ouest reste encore par exemple, l’une des principales régions d’accueil pour les implantations à l’étranger de laboratoires de recherche globaux par les firmes multinationales.

Mais ce scénario de la reconversion spontanée résiste mal à l’analyse. Les pays émergents et en transition réalisent un rattrapage d’une stupéfiante rapidité. 30 % des microprocesseurs aujourd’hui vendus dans le monde ont été conçus en Asie su Sud-est. En Europe, la Hongrie et la république tchèque sont en train de devenir des lieux d’implantation privilégiés des centres de développement globaux des firmes multinationales dans l’automobile, les logiciels ou les composants électroniques. Il y a donc risque de déclin aussi dans les activités à haute technologies.

Oui, mais du fait de la masse même de nos économies, ce déclin ne pourra être, répondront nos optimistes, que très progressif, Le marché constitue, rappellent-ils, le principal motif de d’implantation des firmes. Or, l’Europe de l’ouest est la région du monde dont le PIB, exprimé en milliards de dollars, a le plus progressé entre 2001 et 2005 : + 4642 milliards de dollars pour l’UE à 15, contre 2360 pour les Etats-Unis et 1190 pour la Chine et l’Inde réunies, selon l’OCDE. Les raisons ? Un euro fort. Une masse de départ, qui même avec de petits taux de croissance, produit des progressions impressionnantes en valeur absolue. Même si les nouvelles usines s’implantent surtout en Asie, la taille durablement gigantesque du marché européen nous garantirait donc, par un effet de masse cinétique, contre des basculements trop brutaux.

Le scénario du " détricotage "

L’argument porte et ce scénario, celui du déclin tranquille est sans doute le plus vraisemblable. Mais on ne peut exclure, au moins dans certaines industries particulièrement exposées, des évolutions plus rapides : un scénario de déversement brutal fondé sur un détricotage cumulatif de notre tissu économique. Un exemple ? La filière automobile, qui tient encore bon aujourd’hui en France parce qu’elle s’articule autour de sites d’assemblages puissants, qui drainent autour d’eux de nombreux sous-traitants. Mais, si les constructeurs maintiennent ces sites en activité pour les productions existantes, c’est dans les pays émergents qu’ils investissent aujourd’hui en priorité pour la fabrication de nouveaux modèles. Tout en incitant leurs fournisseurs à s’y délocaliser pour réduire leurs coûts, y compris – et en priorité – pour les équipements destinés aux chaînes de montage ouest-européennes. Et le jour où l’une de chaînes, à l’occasion par exemple de l’arrêt de la fabrication d’un modèle ancien, s’arrêtera définitivement, les effets en cascade sur l’ensemble de la filière seront ravageurs.

Un redressement à portée de la main

La situation est elle pour autant désespérée ? Certainement pas. Du côté des coûts, il suffirait d’un peu de rigueur dans l’évaluation de l’efficacité de la dépense publique pour réduire, à qualité de service inchangée, le poids du prélèvement fiscal, qui constitue l’un des principaux handicaps de notre territoire. De transférer sur les impôts indirects une partie du poids de la protection sociale pour permettre à nos industries de main d’œuvre d’affronter à armes égales la concurrence étrangère. D’encourager les acteurs du système national d’innovation à coopérer davantage pour mieux valoriser notre immense potentiel de recherche – et les pôles de compétitivité mis en place depuis 2005 constituent à cet égard un premier pas réel dans la bonne direction -. D’accroître la sécurité fiscale et juridique des investisseurs pour les inciter à développer leurs projets. Nous pourrons alors, nos énergies libérées, affronter avec davantage de chances de succès les graves menaces qui pèsent sur nos économies.

Fabrice Hatem

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