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Tango Judio

nudler Editeur : La Salida n°18, Avril-mai 2000

Auteur : Nardo Zalko

Critique du livre Tango juif, de Julio Nudler

Ils étaient des milliers, ces juifs, qui, au milieu de la masse d’autres émigrants, arrivaient au tournant du XXème siècle dans « le port le plus austral d’Europe », Buenos Aires. Le berceau du tango ressemblait alors à une nouvelle tour de Babel. Là allait être inventée, dans une fusion de toutes ces cultures, une musique nouvelle. Le livre de Julio Nudler, « Tango judio, del ghetto a la milonga » raconte l’apport des juifs à cette aventure collective faite de centaines d’aventures individuelles : des existences commencées au fond de la Russie, en Ukraine, Pologne, ou dans l’Empire Ottoman, puis poursuivies outre-Atlantique, souvent pour échapper aux persécutions, et qui ont contribué à faire du tango cet art sans frontières qui assimile tout sans cesser d’être lui-même.

Le livre de Nudler intègre, dans une composition complexe, l’histoire du tango, celle de l’immigration juive en Argentine, et celle de l’intégration des juifs à la vie du pays. Il montre, par exemples, que le tango a été pour les artistes juifs un moyen d’assimilation dans la société argentine. Il rappelle aussi l’existence du « valesko », cette façon particulière des juifs immigrés d’Europe centrale de parler le castillan, qui a fait naître une sorte d’argot-argentin. Mais l’antisémitisme était également présent en Argentine, même si les protagonistes interrogés par Nudler estiment n’avoir jamais ressenti de discrimination dans le milieu du tanguero. Par contre, les juifs et le tango eurent pour ennemi commun les mouvements fascistes. Une anecdote : dans les années 1950, le grand Osvaldo Pugliese composa un tango, « Judia » (juive), avec des paroles commandées à Santiago Antonio Velaz, qui se voulait un plaidoyer contre le racisme, mais qui finalement ne fut jamais joué.

L’auteur détaille ensuite, à partir d’une riche documentation constituée notamment d’entretiens directs, la vie des tangueros juifs, regroupés selon leur rôle : chefs d’orchestre, interprètes, écrivains, auteurs, éditeurs. Une cinquantaine au total, parmi lesquels on peut citer Raùl Kaplùn, Alberto Soifer, Max Glucksman, Julio Korn, Mario Abramovitch, les 4 Rubinstein. Quelques destinées : celle de Simon Zlotnik, caché par sa mère dans un fossé en 1920 pour échapper aux cosaques, devenu deux décennies plus tard le violoncelliste et l’ami d’Anibla Troilo. Ou l’itinéraire d’Antonio Gutman, d’abord cocher dans le quartier portègne de barracas, et qui, devenu bandonéoniste, forma en 1914 l’Orquestra Tipica Criolla El Rusito (« le petit juif »). Hautement symbolique est également l’aventure de la famille du pianiste Gustavo Beytelman, aujourd’hui installé à Paris. Son père était né rue des Rosiers, d’un tailleur juif parti à pied de Kiev, qui voulut émigrer à New-York, mais que les avatars de la vie conduisirent à s’installer finalement, après Paris, au sud de la province de Santa Fe, où Gustavo vit le jour en 1945. Mais ce livre démontre avant tout que la musique de Buenos Aires a été un lieu de rencontre et de création collective pour des hommes venus de toute la planète.

Nardo Zalko

« Tango judio, del ghetto a la milonga », par Julio Nudler, Edititorial Sundamericana, Buenos-Aires

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