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Autour d'un tango : poème commenté

Volver

gardelpera Editeur : La Salida n°18, avril-mai 2000

Auteur : Fabrice Hatem

Volver (Revenir), de Alfredo Le Pera

Il existe chez les artistes argentins une superstitions : ne pas chanter « Volver » à la veille d’un départ en voyage. Sans doute parce que cette chanson fut la dernière interprétée par Gardel avant son fatal accident d’avion à Medelin, qui l’empêcha, justement de « revenir » en Argentine après un long séjour à l’étranger. En 1935, le succès mondial du tango a en effet ouvert à de nombreux artistes les voies d’une carrière internationale. Francisco Canaro s’est produit en France, au Japon. Enrique Cadicamo partage sa vie entre l’Europe, l’Amérique du sud et els Etats-Unis. Quant à Carlos Gardel, il a rencontré un grand succès à la fin des années 1920 à Paris, où il a notamment tourné plusieurs films, avant de partir en 1934 aux Etats-Unis où il veut poursuivre sa carrière de chanteur et d’acteur.

Il est partout accompagné d’Alfredo Le Pera, devenu depuis 1932 son parolier et scénariste attitré, et avec lequel, après avoir travaillé avec Celedonio Flores et Pascual Contursi, il achèvera de mettre au point la formule du tango -chanson. Cette coopération se fait sous le signe omniprésent du cinéma et de l’international De 1934 à 1934, Gardel tourne 3 films dans les studios de la Paramount français à Joinville : « Esperame », « Une maison sérieuse » et « Melodia de Arrabal » ; puis 4 autres aux Etats-Unis : « Cuesta abajo », « El tango en Broadway », « Tango Bar », et « El dia que me quieras », à l’occasion duquel il enregistre « Volver ». C’est pour ces films que les deux artistes composent ensemble la plupart de leurs tango de l’époque, comme « Melodia de arrabal », « Arrabal amargo », « Sus ojos se cerraron », « Por una cabezza », « Lejana tierra mia », « Rubias de New York », « Gonlondrinas », « Cuesta Abajo », « El dia que me quieras », « Soledad », « Silencio ».

Avec d’autres poètes de l’époque, comme Manzi, Cadicamo ou Blomberg, Le Pera a beaucoup contribué à l’élevation de la qualité littéraire des chansons de tango. Comme eux, il réussit la synthèse entre l’influence de la poésie « cultivée » incarnée par Ruben Dario, Evariste Carriego ou Amado Nievo, et l’évocation, propre à la chanson populaire du début du siècle, des personnages et des lieux traditionnels des villes du Rio de la Plata. Mais sa contribution la plus importante est sans doute d’avoir donné au « Pathos » de l’homme portègne une diffusion internationale, les chansons et les films de Gardel étant désormais diffusés partout dans le monde.

Le poème est empli d’une tension constante entre un environnement extérieur apparemment « normal » et les émotions violentes, incontrôlées, que celui-ci provoque chez le personnage. Il débute par un splendide « fondu-enchaîné » où les lumières lointaines de la ville transportent en pensée le héros – qui dans le film, chante la chanson le regard perdu au loin, sur le pont d’un navire – sur les lieux de sa jeunesse. Le refrain en trois parties (volver, sentir, vivir), marque une montée progressive du sentiment d’amertume et de mal-être, qui conduit à l’explosion d’angoisse de la dernière strophe, avec la répétition obsessionnelle d’un « j’ai peur » très Baudelairien. On retrouve le même climat dans un autre poème de Le Pera, « Soledad », où c’est, cette fois, l’implacable tic-tac du réveil qui plonge, au milieu de la nuit, le héros dans une insomnie hallucinée.

La musique de « Volver » est censée avoir été composée par Carlos Gardel. On doit cependant mentionner que celui-ci ne savait ni écrire ni lire la musique, et que ses connaissances harmoniques étaient des plus sommaires. Son équipe avait mis au point, pour lui, un étrange système de notation composé de lettres et de chiffres, dont il couvrait les touches de son piano à mesure que les mélodies qu’il composait, souvent la nuit, prenaient forme. Certains matins, ses musiciens découvraient de petits papiers blancs glissés entre les touches, qu’ils devaient ensuite déchiffrer avec une minutie d’archéologue. Il est très vraisemblable que ce « déchiffrement » allait très loin et qu’en fait ce sont les musiciens-guitaristes de Gardel qui ont mis au point la version définitive de ses œuvres, et tout particulièrement leur structure harmonique, à partir d’une ligne mélodique effectivement composée par le Mage…

Parmi les très nombreux enregistrements de « Volver » postérieurs à la disparition de Gardel, on peut mentionner notamment un mémorable duo instrumental d’Anibal Troilo et Astor Piazzolla.

Fabrice Hatem

Pour retrouver cet article, cliquer sur lien suivant : http://lasalida.chez.com/, puis la salida n°18, puis Autour d’un tango

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