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Le siècle d’or du tango

ferrer Editeur : La Salida n°12, février-mars 1999

Auteur : Fabrice Hatem

Critique du livre : Le siècle d’or du tango, d’Horacio Ferrer

On pouvait attendre d’Horacio Ferrer, qui est à la fois un poète, un intellectuel, et une référence institutionnelle dans le monde du tango, un ouvrage d’une qualité exceptionnelle. Le siècle d’or du tango répond, et au-delà, à cet espoir.

L’intellectuel, auteur de nombreux articles et ouvrages de références, comme « Le livre du tango », organise son livre autour de deux idées simples mais lumineuses. D’une part, l’histoire du tango est selon lui celle d’une universalisation progressive dont il parvient à nous décrire avec un égal bonheur toutes les étapes, depuis la genèse jusqu’à l’époque contemporaine. Au départ, enraciné dans un lieu très précis – les villes du Rio de la Plata, dont il accompagne au cours du siècle les évolutions sociales, politiques, urbaines -, le tango est en effet aujourd’hui adopté – et adapté – un peu partout dans le monde, à travers une démultiplication des sources de création artistique et des lieux de pratique. D’autre part, la vitalité de cet art, « fou qui engloutit tout », et la fascination qu’il exerce s’expliqueraient, selon Horacio Ferrer par le fait qu’il associe quatre formes d’expression – la danse, la musique, la poésie, l’interprétation vocale et instrumentale – dont chacune rentre en résonance avec les autres, participant ainsi à un processus d’enrichissement mutuel. L’auteur nous fait bénéficier dans tous ces domaines, de la critique littérature à la musicologie, d’analyses de qualité exceptionnelle, accompagnées de tableaux synoptiques d’une grande valeur didactique.

Le poète, parolier d’Astor Piazzolla, auteur de plusieurs œuvres majeures comme la « Balada para un loco », sait cependant nous faire oublier qu’il est un érudit à l’esprit brillant. Son livre tout entier, écrit dans une langue à la fois riche et concise, peut en effet être lu comme un long poème d’amour au tango « confidence murmurée faite au vent » et à ses artistes. Construit sous forme kaléidoscopique autour d’une trentaine de textes courts consacrés chacun à un respect de l’histoire du tango (genèse, artistes majeurs, lieux, instruments, etc…), il se lit avec délectation. Et les vers des belles chansons grenées tout au long de l’ouvrage nous apparaissent, non comme des citations disséquées pour les besoins d’une sèche critique littérature, mais comme un dialogue entretenu, au-delà du temps et souvent de la mort, avec d’autres poètes, qui furent souvent pour lui des amis personnels, et dont il explore pour nous les cœurs. La définition qu’il nous offre du tango montre à quel point il a su associer pensée et poésie : « c’est d’abord une façon de marcher qui devient une danse, une façon de parler qui devient un chant, une façon de rêver qui devient poésie, les battements du cœur, l’enclume, les cloches, le baiser et le vent qui deviennent musique ».

Enfin, le fondateur de l’Académie nationale du tango jouit d’une position institutionnelle éminente qui lui permet à la fois de connaître la quasi-totalité de ceux qui font le tango d’aujourd’hui et d’avoir accès à des sources documentaires et iconographiques abondantes et de grande qualité. Il peut ainsi nous offrir un témoignage vivant, vécu par un de ses acteurs majeurs, de la musique portègne, passée, présente et future. C’est sans doute cette autorité incontestable qui conduisit le Président Carlos Menem lui-même à demander à Horacio Ferrer la rédaction du présent ouvrage – version simplifiée et résumée de son Histoire du tango – puis sa traduction en français à l’occasion de son voyage officiel de novembre dernier dans notre pays.

Outre les qualités du texte proprement dit, l’ouvrage se présente également comme un véritable livre d’art. Sa belle couverture en lettres d’or sur fond rouge, la texture et les doux reflets du papier glacé, la qualité des nombreuses illustrations – photos d’époque, partitions musicales, affiches, peinture, etc.- en font un objet agréable à feuilleter et que l’on peut exposer avec fierté dans sa bibliothèque. Quelques fautes de français majeures et des défauts d’impression très visibles -inacceptables pour un livre de cette qualité et de ce prix – viennent cependant tenir l’immense joie du lecteur.

Fabrice Hatem

Le siècle d’or du tango, Horacio Ferrer, 225 pages, traduction Josselyne Santer et Olver Gilberto de Léon, éditions Manrique Zago, 1998.

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