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Recherche : l’attraction asiatique

Editeur : le nouvel Economiste, n°1319

Auteur : Fabrice Hatem

Recherche : l’attraction asiatique

nouvelecocom L’édition 2005 du World Investment Report, publié le 28 septembre dernier par la Cnuced, met une nouvelle fois en lumière les progrès spectaculaires réalisés par les pays asiatiques en matière d’attraction des investissements internationaux (IDE). Au niveau global, la reprise des flux internationaux d’IDE, intervenue en 2004 après trois années de récession, a en effet surtout profité à l’Asie où les flux entrants ont progressé de 45 % pour atteindre 137 milliards de dollars – pour près de la moitié en Chine. Cette progression contraste avec une nouvelle baisse, pour la troisième année consécutive, des flux à destination d’Europe, et ce malgré les bonnes performances des pays de l’est. Grâce à la poussée asiatique, la part des pays en développement dans les entrées d’IDE a ainsi retrouvé, avec 36 %, le niveau record qu’il avait atteint en 1997.

Le rapport de cette année met également en lumière la rapidité du rattrapage technologique asiatique dopé, par la présence d’un nombre croissant de centres de recherche-développement (R&D) implantés par les firmes multinationales. Celles-ci, qui réalisent à elles seules la moitié de l’effort mondial de recherche, ont en effet commencé depuis une quinzaine d’années à internationaliser leur activité de R&D pour plusieurs raisons : adapter les produits aux marchés locaux, capter les compétences et les capacités d’innovations, réduire les coûts de la recherche. Un mouvement facilité par ailleurs par la fragmentation croissante des processus d’innovation. Résultat : alors que les entreprises ne réalisaient en 1993 que 10 % de leur effort de R&D à l’étranger, ce chiffre atteignait 16 % en 2002. Les multinationales étrangères jouent de ce fait un rôle croissant dans l’effort global de R&D des pays d’accueil : plus de la moitié de la dépense privée, par exemple, en Irlande, Singapour ou en Hongrie.

Un mouvement qui se fait encore pour l’essentiel à l’intérieur des pays de l’OCDE. Mais qui profite aussi, de manière croissante à une poignée de pays en développement d’Asie – Chine et Inde en tête – et d’Europe de l’est. La part de l’Asie dans les dépenses de R&D à l’étranger des firmes US est ainsi passée de 3,4 à 10 % entre 1994 et 2002, tandis que celle de l’Europe déclinait de 69,6 % à 58,8 %. Le mouvement semble s’accélérer : entre 2002 et 2004, la moitié des projets internationaux de R&D dans le monde se serait ainsi localisée, selon la Cnuced, dans les pays en développement. Il devrait se poursuivre : un sondage réalisé par le même organisme place la Chine et l’Inde, aux côtés des Etats-Unis, en tête des destinations privilégiées des investissements de R&D des multinationales pour les prochaines années.

Et ces laboratoires asiatiques ne sont pas seulement, comme il y a encore quelques années de simples centres d’adaptation de produits. Il s’agit, de plus en plus, de « vrais » centres de recherche, chargés de concevoir des innovations destinées au marché mondial. Les centres de R&D de Motorola en Chine, de Microsoft et de General Electric en Inde, de Toyota au Thaïlande, font partie du « noyau dur » du réseau mondial d’innovation de ces entreprises. Des laboratoires pharmaceutiques comme Pfizer, Eli Lily, Astra Zeneca, réalisent une part croissante de leurs tests cliniques en Inde. 30 % des nouveaux circuits intégrés sont désormais conçus en Asie du sud-est. Il faut dire que cette région offre des conditions attractives : des marchés en croissance rapide ; un environnement local favorable à l’innovation grâce à une bonne collaboration entre les mondes de la recherche et de l’entreprise ; une protection de la propriété intellectuelle un peu mieux assuré que par le passé. Et surtout, une abondance de jeunes chercheurs qualifiés, créatifs et à bas coûts salariaux : la Chine, l’Inde et la Russie représentent ainsi aujourd‘hui le tiers des étudiants mondiaux en sciences et techniques. Confrontés à la pénurie de jeune chercheurs dans leur pays d’origine (notamment en Europe), désireuses de réduire leurs coûts de RD, il est naturel que les multinationales s’intéressent de plus en plus à ces destinations.

Tout cela induit un phénomène de rattrapage accéléré dans les pays d’accueil. La part de l’Inde et de la Chine dans les dépenses mondiales de R&D est ainsi passée de 2 % à 6 % entre 1991 et 2002. Les pays en développement et d’Europe de l’est ont représenté 17 % des brevets étrangers reçus par l’office américain des brevets en 2001-2003, contre seulement 7 % en 1991-1993. Un mouvement potentiellement profitable à l’Humanité dans son ensemble, dans la mesure où il permet de mieux valoriser le potentiel mondial d’innovation, mais qui suscite également dans les pays développés la crainte d’une nouvelle forme de délocalisation. A cet égard, notre pays n’est pas particulièrement bien placé : la position de la France dans l’indice des capacités mondiales d’innovation calculé par la Cnuced s’est dégradée entre 1995 et 2002, notre pays passant de la 12ème à la 16ème place, juste derrière Taiwan. Et il ne se situe aujourd’hui qu’au 7ème rang des priorités d’investissement et en R&D des multinationales, loin derrière la Chine et l’Inde. Une claire tendance au déclin qui rend d’autant plus urgente la mise en œuvre de politiques plus actives de soutien à l’innovation.

Fabrice Hatem

World investment Report 2005, Transnational Corporations and the internationalization of R&D, 336 pages, Nations-Unis, Genève

Pour une étude plus complète sur les flux d’investissements étrangers dans les centres de R&D en Europe, cliquer sur le lien suivant : /2006/06/09/les-investissements-etrangers-en-europe-en-r-d-2002-2005-edition-2006/

Pour des analyses plus complètes sur le thème de l’investissement international en Europe : /2006/07/13/rapport-sur-l-investissement-international-en-europe-2002-2005-edition-2006/

Pour des analyses plus complètes sur le thème de l’attractivité : /2004-12-06/these-de-doctorat-construction-d-un-observatoire-des-investissements-internationaux-2003/

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