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Je ne suis plus rien

Ce matin, je me suis regardé dans la glace, avec mes cheveux dégarnis et mon petit ventre. C’est clair, je ne suis plus rien, juste un petit vieux dont aucune femme ne voudra plus avec mes 65 ans passés. Et, puis, j’ai perdu toutes mes économies, et maintenant j’en suis réduit à aller vivre chez ma vieille mère. Rien qu’une sous-merde, un pauvre type, voilà ce que je suis devenu.

Faut dire que j’ai été con, aussi, vraiment trop con. Comme depuis ma retraite je ne voyais plus personne et que je n’avais plus rien à faire, je passais mes journées sur Internet et sur Facebook, à répondre par des commentaires idiots à des post tout aussi stupides. Et puis, je fréquentais aussi des sites de rencontre, en espérant que, peut-être, une femme s’intéresserait un peu à moi et que je pourrais me remettre en couple. Parce que ça me manquait vraiment, de n’avoir personne à mes côtés dans mon petit pavillon de banlieue.

C’est comme ça que j’ai rencontré Natacha. Enfin, celui qui prétendait être Natacha. C’était une jolie ukrainienne, ou moldave plutôt. Elle n’était pas très jeune, 30 ou 35 ans peut-être, mais tout de même beaucoup plus jeune que moi. Elle a répondu à l’un de mes messages sur un site de rencontre, et nous avons commencé à discuter. Elle avait une vie difficile, dans un petit village perdu de son pays. Elle avait envie de venir vivre en Europe. Elle avait l’air de s’intéresser à moi, alors je lui ai raconté ma vie. Avant, j’étais boulanger. Pendant 45 ans, je me suis levé à 4 heures du matin tous les jours pour que mes clients aient des brioches et des croissants chauds à leur petit-déjeuner. J’aimais bien mon métier, mais au bout de plusieurs dizaines années, j’étais usé, alors j’ai vendu ma boulangerie et j’ai pris ma retraite. Ah oui, aussi, j’ai été marié, mais ma femme est morte d’un cancer il y cinq ans. Nous avons eu trois enfants ensemble, mais ils sont partis très loin et je ne les vois presque plus. J’en avais vraiment assez de cette solitude. Cela me faisait trop de peine quand je pensais que ma femme était morte et que mes enfants ne me téléphonaient presque jamais, même pour mon anniversaire…

Avec Natacha, au début, ça a été formidable. Elle répondait à tous mes messages, elle avait l’air de me comprendre, de s’intéresser à ce que je disais. ça me changeait, forcément, parce que depuis des années, je n’avais plus personne pour m’écouter. Elle me disait que j’étais un type vraiment gentil, exactement le genre d’homme qu’elle appréciait, et puis elle m’envoyait des photos d’elle. On parlait pendant des heures et des heures sur Facebook. Cela m’a bien remonté le moral, de voir que quelqu’un pouvais encore m’aimer. Alors, forcément, j’avais envie de faire moi aussi quelque chose pour elle.

Justement, elle voulait venir en France pour changer de vie. Alors, petit à petit, on a commencé à parler mariage. Elle avait l’air intéressée par l’idée. Je ne lui ai pas raconté d’histoires, je ne lui ai pas fait croire que j’étais beau ou riche. Je lui ai dit que j’habitais dans une banlieue pas très jolie, que je boitais un peu depuis mon accident, que je ne roulais pas sur l’or avec ma petite retraite et mes petites économies. Et puis mes photos parlaient d’elles-mêmes, je n’étais pas Alain Delon, hein. Mais elle disait que l’essentiel c’est de s’aimer sincèrement et de se comprendre, que le côté matériel ou physique n’avait pas d’importance.

Pendant tous ces mois où j’ai parlé avec Natacha, je me suis senti beaucoup mieux. J’avais l’impression de rajeunir, je me suis même mis à refaire un peu de sport pour perdre ma bedaine. Ça me faisait tant de bien de savoir que, là-bas, très loin, dans un village perdu, une jolie femme pensait à moi. Tout à coup, le monde autour de moi est devenu plus beau, moins triste, moins oppressant.    

Et puis, un jour sa maman est tombée malade. Enfin, c’est ce qu’elle m’a dit. Elle n’avait pas d’argent pour l’hôpital, c’était urgent, alors je lui en ai envoyé. C’est comme ça que ça a commencé. Elle s’est mise à me demander de l’argent de plus en plus souvent, une fois pour sa mère, une fois pour sa sœur, une fois pour réparer le toit de sa maison, une fois pour l’aider à payer son loyer …. Au début, j’étais content de l’aider, je me sentais utile et généreux. Mais petit à petit, j’ai vu mes économies baisser, je me suis un peu inquiété. Une fois, je lui ai refusé, j’ai dit que je ne pouvais pas donner plus, mais alors elle s’est mise en colère, elle a commencé à me faire des reproches, elle m’a dit que je l’avais déçu. Alors, comme j’avais peur qu’elle me quitte, j’ai envoyé l’argent et ça s’est un peu calmé.    

Finalement, on a décidé qu’elle allait venir en France pour essayer de vivre ensemble, et puis peut-être se marier. Mais elle n‘avait pas d’argent pour prendre l’avion. J’ai proposé de lui acheter le billet, mais elle m’a dit que c’était plus simple pour elle de le faire sur place. Seulement, elle avait besoin pour cela de mes codes bancaires, alors, je les lui ai donnés. Tous, même ceux de mon livret d’épargne où j’avais mis mes 40 ans d’économies…

Deux jours après, en me réveillant un matin, j’ai consulté mes comptes sur Internet. Ils avaient été complètement vidés. Il ne restait pas un sou, rien… J’ai d’abord cru à une erreur de la banque, je ne suis pas trop inquiété, et j’ai été voir mon conseiller du Crédit lyonnais. Et là, j’ai commencé à comprendre. Mon argent avait été entièrement viré sur un compte biélorusse, ou roumain, je ne sais plus très bien. Je n’avais plus un sou. J’étais totalement effondré, blanc comme un linge, avec mon cœur qui battait très fort dans ma poitrine, comme ça, poum poum poum, poum poum poum. Alors mon banquier m’a posé quelques questions. Au début, je ne voulais pas lui déballer ma vie, mais il a très vite compris. Cela ne devait pas être la première fois qu’il voyait des petits vieux dans mon genre se faire plumer par des brouteurs. Il m’a expliqué leur manière de procéder pour escroquer leurs victimes, ça collait bien avec mon histoire. Il m’a même raconté le cas d’une cliente, un petite retraitée qui avait perdu toutes ses économies parce qu’elle croyait que David Halliday était tombé amoureux d’elle et voulait l’épouser. J’avais l’impression d’avoir un marteau – pilon dans la tête, mes jambes étaient comme du coton, à un moment je me suis senti mal, j’ai cru que j’allais faire une crise cardiaque….

Alors, je suis retourné chez moi en vitesse pour envoyer un message à Natacha, mais les e-mails étaient tous renvoyés, elle ne répondait pas… J’ai essayé plusieurs jours, pratiquement sans m’arrêter, du matin au soir. Mais rien à faire, son compte avait été supprimé… Alors je me suis mis à hurler de rage, et puis à pleurer à gros bouillons. Comme un gosse que je n’étais plus depuis longtemps…

Ce n’étais pas d’avoir perdu tout mon argent qui ne faisait le plus mal, j’avais encore ma mère, ma petite retraite, quelques actions. Non, ce qui me détruisait complètement, c’était d’avoir été trompé comme ça dans mes sentiments : Ah, la salope, elle s’était bien foutue de ma gueule !!! Mais au fond, peut-être qu’elle n’existait même pas cette fille, toutes ces photos, son village de Roumanie, sa vieille mère, c’était peut-être du flan !! Peut-être même que c’était un mec qui m’envoyait les messages…

C’est cette idée-là qui a fini de m’achever, quand j’ai réalisé que, pendant tous ces mois, je m’étais simplement illusionné tout seul devant mon écran, en croyant que quelqu’un pouvait encore m’aimer. Et ces salopards ont profité de mon besoin d’affection pour me dépouiller complètement. Mais ce qu’ils m’ont volé de pire, c’est mon dernier rêve d’amour, mon dernier sentiment d’exister pour quelqu’un. Et, en plus, non seulement j’ai tout perdu, non seulement j’ai été trompé, non seulement je me retrouve bien plus seul qu’avant, mais je passe aussi pour un couillon aux yeux de tout le monde. Comme avec ce flic qui m’a regardé en ricanant quand je suis allé porter plainte, l’air de me dire : «  Mais regarde-toi, avec ton petit ventre et la chemise tachée, tu pensais vraiment qu’une jolie ukrainienne allait tomber amoureuse de toi ? »

Vraiment, tout ça ne donne envie de mourir, de disparaître de ce monde aux yeux duquel je ne suis plus qu’un petit vieux malpropre et fauché. Et j’ai le cœur serré en pensant à ce jour tellement lointain où j’avais rencontré ma femme à un bal du 14 juillet. On était tellement jeunes alors, je n’avais pas un sou, mais elle m’avait quand même aimé et fait confiance, et puis ensuite on a eu trois beaux enfants ensemble. Ah !! S’ils pouvaient m’appeler maintenant, mes enfants, juste un seul, ça me ferait vraiment du bien… Mais je n’oserai jamais leur dire ce qui m’est arrivé, j’aurais trop peur du ridicule…

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