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Entre autoritarisme et chaos

Journal d’un confiné – Faut-il arrêter de vivre par peur de mourir ?

23 Avril 2020

Dès le début du confinement, j’ai exprimé vis-à-vis de cette mesure – certes sans doute inévitable à très court terme, dans la situation d’urgence où nous nous trouvions – les plus extrêmes réserves. Je me trouvais cependant tellement à contre-courant de l’opinion dominante, et risquant de ce fait d‘être accusé de toutes les vilénies morales, que j’ai assez rapidement mis en veilleuse mes critiques les plus ouvertes. Mais le bilan totalement désastreux d’un mois de confinement, dénoncé par des voix de plus en plus nombreuses, m’amène aujourd’hui à réaffirmer mon hostilité, tout en réorganisant et mettant à jour mon argumentaire. Celui-ci s’articule désormais autour de quatre thèmes principaux :

– Le caractère suicidaire de cette mesure sur le plan économique et financier. Avec, au bout d’un mois seulement de confinement, 10 millions de chômeurs, un déficit de la sécu porté à près de 50 milliards d’euros, et un taux d’endettement de l’Etat brutalement augmenté de 15 points pour atteindre 115 % du PIB, nous approchons très rapidement maintenant du point de rupture où notre économie risque de simplement s’effondrer. Tous les éléments de notre existence sont en particulier désormais suspendus, y compris notre système de santé, aux dépenses d’un Etat prodigue proche de la faillite, et dont les ressources sont elles-mêmes dépendantes des décisions de quelques investisseurs sur le marché financier international. Que ceux-ci s’inquiètent, refusent de prêter à des Etats sud-européens à terme insolvables ou exigent une prime de risque plus élevé, et c’est toute l’illusion de l’Etat-Providence qui d’un coup s‘effondrera, plongeant une majorité de la population française dans une détresse d’autant plus épouvantable qu’elle sera inattendue. Et les actuelles négociations européennes sur les coronabonds ne sont en fait en ce sens qu’une tentative désespérée des Etat cigales d’Europe du sud, dont les faiblesses structurelles ont été mises à jour et accentuées par la crise, d’éviter le naufrage annoncé en s’accrochant à la bouée de sauvetage des Etats- fourmis d’Europe du nord mieux protégés par la saine gestion de leurs finances publiques. Tentatives habillées comme toujours du discours séducteur et culpabilisant de l’appel à la solidarité.

– Le caractère insupportable de cette mesure au regard des libertés publiques. A aucun moment de notre histoire, y compris sous l’Ancien régime ou sous l’occupation nazie, un pouvoir politique n’avait osé imposer sur l’ensemble du territoire une interdiction générale d’aller et venir, ainsi qu’une interdiction très large de travailler à de nombreuses catégories de population. Or, comme le soulignait Maxime Tandonnet dans sa tribune d’hier du Figaro, on peut légitimement s’interroger sur la proportionnalité de cette mesure violement coercitive au regard de la réalité de la menace. Est-il légitime de renoncer ainsi au principe suprême de nos démocraties, celui au nom duquel elles ont été fondées, à savoir la protection de l’individu contre l’arbitraire, sous le simple prétexte de freiner la diffusion d’une épidémie ? Epidémie certes dangereuse, mais dont le taux de létalité, intrinsèquement assez faible, peut être fortement réduit par de simples mesures de discipline sanitaire ne portant pas atteinte de manière supportable aux libertés.

– Le coût humain absolument gigantesque du confinement. Nous commençons déjà à avoir eu premier avant-goût de celui-ci avec le drame abominable des Ehpad, où sous prétexte de protéger leur santé, 1 million de nos aînés ont été de fait abandonné à la solitude, au désespoir, et pour beaucoup d’entre eux à une mort atroce sans le soutien des leurs. Demain, nous arrivera le deuxième drame, celui des millions de nos compatriotes dont l’emploi aura été détruit par les conséquences du confinement. Commerçants, hôteliers, restaurateurs, salariés des compagnies aériennes et beaucoup d’autres se retrouveront ainsi en nombre incalculable sur le carreau. Privés, d’une manière ou d’une autre, de la protection d’un Etat failli, ils seront confrontés au désespoir de ne pas pouvoir faire vivre dignement leur famille et, pour beaucoup d’entre eux, à l’absence totale de perspectives d’avenir. Quant à notre régime de retraites par répartition, brutalement privé des ressources de millions de cotisants, il n’est pas sûr non plus qu’il tienne le choc sans casse majeure. C’est donc une crise sociale et humaine sans précédent qui se profile en France à l’horizon de la fin de l’année.

– Son caractère philosophiquement absurde. Comme l’a souligné à plusieurs reprises le philosophe André-Comte-Sponville, cette crise nos interroge aussi sur la hiérarchie de nos valeurs et de nos priorités existentielles. A cet égard, la réponse qui a été d’emblée donnée, sans aucun débat avec quiconque, par notre gouvernement, a été celle d’une priorité absolue à la santé et la vie. Cette priorité affirmée a conduit à confier de facto aux médecins et aux scientifiques un pouvoir exorbitant sur nos existences, dont chaque acte est désormais subordonné à l’exigence de santé telle que définie par eux. Or, on peut légitimement contester cette hiérarchie des valeurs en nous demandant, simplement, pourquoi nous vivons. Vivons-nous pour ne pas mourir ? Non. Certes, nous souhaitons retarder le plus longtemps possible cette issue fatale, mais non savons aussi qu’elle est inéluctable. Notre but est donc d’utiliser le moins mal possible ce reliquat de temps qui nous sépare de la mort, et que l’on appelle la vie. Le moins mal possible, cela peut signifier, selon les goûts de chacun, profiter des plaisirs de l’existence, s’enrichir par son travail, se rendre utile aux autres, ou encore créer de belles choses. C’est là le sens et l’utilité de la liberté dont nous jouissons. Or, en acceptant d’aliéner cette liberté en nous barricadant chez nous comme des reclus sous prétexte de ne pas tomber malades, nous nous privons justement des moyens de donner un sens à notre existence. Nous refusons de vivre par peur de mourir. C’est moralement, philosophiquement, humainement absurde. La survie n’est pas la valeur suprême. La valeur suprême, elle est liée au sens que chacun d’entre nous veut donner à sa vie. Et ce sens, aucun gouvernement n’a le droit de le déterminer à notre place ni de nous priver des moyens de d’accomplir, sous peine de tomber dans la tyrannie.

Pour toutes ces raisons, une levée rapide, sans tentation de retour en arrière et sans conditionnalité, du confinement – accompagnée bien sur de très strictes mesures de protection sanitaire – constitue à mon humble avis le seul choix sensé. Plus exactement, le choix inverse serait tout simplement suicidaire. Et c’est aussi l’opinion, non seulement du président des Etats-Unis, mais également de plusieurs intellectuels bien plus éminents que moi.

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