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Entre autoritarisme et chaos

De crise en crise

6 Juin 2020

Grève de la SNCF, Gilets jaunes, réforme des retraites, confinement sanitaire, demain peut-être émeutes raciales « anti-police » : la France est engagée depuis deux ans maintenant dans une succession de crises graves qui affectent profondément son économie, sa démocratie, et plus simplement la possibilité même pour beaucoup de ses habitants de vivre normalement.

Bien que ces différentes crises soient apparemment liées à des causes diverses, mobilisent des publics distincts et prennent des formes hétérogènes, elles ont en commun leur caractère à la fois éruptif et systémique. Comme si nous étions confrontés à une crise globale dont tous les groupes sociaux concernés – agents des services publics, populations marginalisées de la France périphérique, jeunes des banlieues ethniques -, ressentaient, chacun à leur manière, les conséquences délétères.

Mais quelle est la nature profonde de cette crise ? Crise d’autorité, crise de civilisation, crise économique, crise d’identité ?

Sans oser affirmer qu’il existe une cause unique à cette instabilité désormais chronique, je pense tout de même pouvoir citer un dénominateur commun : à savoir la crise d’un Etat-providence qui avait promis le bonheur à chacun d’entre nous, et qui, pour diverses causes, n’a pas été capable de tenir cette promesse – une promesse d’ailleurs utopique dans ses termes mêmes, ce qui ne pouvait conduire qu’à son échec.

Echec financier, quand, à force de multiplier ses domaines d’intervention, l’Etat se trouve dans l’incapacité matérielle d’accorder à chacun suffisamment de moyens pour atteindre les buts fixés – d’où les crises concomitantes de l’hôpital public, de la justice, de l’éducation nationale et de la police.

Echec économique, quand les hausses simultanées de la pression fiscale, de la dépense publique et de la dette finissent par briser les ressorts de la croissance, de l’emploi et de la prospérité en décourageant les entrepreneurs et les investisseurs – ainsi d’ailleurs que bon nombre de salariés surimposés…

Echec social, quand l’Etat prétendant intervenir dans des domaines qui ne devraient pas relever de lui, comme la culture ou les relations au sein de la famille, corsète la créativité et la libre capacité d’auto-organisation des gens par un déferlement de politiques, de normes et de règles arbitraires, intrusives, rigides et inadaptées.

Echec moral, quand l’Etat, prétendant se substituer à l’exercice des solidarités naturelles, détruit au cœur de chacun d’entre nous le sentiment de sa responsabilité envers son prochain, transformant de ce fait le citoyen responsable en individu égoïste et revendicatif soucieux de voir préservée sa petite rente sur l’Etat

Et, devant son échec de plus en plus manifeste à concrétiser son projet de protection universelle, l’Etat réagit alors par la triple crispation du déni de réalité, de l’activisme en trompe-l’œil, et finalement d’une répression croissante contre les marges de plus en plus nombreuses et diverses qui contestent sa légitimité.

Bien entendu, les choses ne risquent pas de s’arranger toutes seules, puisque les tentatives de réformes de cet Etat se heurtent elles-mêmes à l’opposition déterminée des groupes dont les intérêts et les situations acquises pourraient être de ce fait menacés – Ce qui, accessoirement, est en fait le cas de pratiquement chacun d’entre nous, d’où l’existence d’une forme de « solidarité des conservatismes » qui bloque à peu près toute possibilité d’évolution -.

On doit donc s’attendre à ce que ce processus chaotique de désagrégation de l’Etat se poursuive. Un phénomène qui sera de moins en moins masqué par les crispations autoritaristes et les gesticulations démagogiques qui voudraient laisser croire qu’au contraire cet Etat tient toujours debout et en voie d’accomplir le projet follement utopique qu’il s’est fixé.

A terme, cela se terminera nécessairement par un aveu de faillite. Mais quelle forme prendra cet aveu ? Faillite financière souveraine ? Hyperinflation ruineuse qui remettra tout à plat ? Démantèlement inavoué des services publics, transformés progressivement en autant de « villages Potemkine » dont seules les apparences seront conservées, à l’exemple de ces universités qui prétendent accueillir tout le monde mais où l’on n’enseigne plus grand chose ? Je ne sais trop.

Par contre, ce que je pressens, c’est qu’il s’accumulera progressivement au sein de notre peuple déçu et trompé une immense souffrance, une immense frustration et finalement une immense rancoeur qui peuvent déboucher sur toutes sortes de situations éruptives et de dérives incontrôlées.

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