Catégories
La dictature insidieuse

Le féminisme d’Etat : un détournement de l’action publique ?

Dans mon prochain ouvrage, « La dictature insidieuse – Entre totalitarisme et chaos  », je compte exposer l’idée selon laquelle différents lobbys pseudo-progressistes – et tout particulièrement les féministes – ont infiltré l’appareil d’Etat afin de l’instrumentaliser au profit de leur agenda minoritaire. L’ouvrage d’Anne Revillard « La cause des femmes dans l’Etat » fournit à l’appui de ma thèse un argumentaire d’autant plus incontestable qu’il a été rédigé par un auteur appartenant lui-même à une mouvance féministe militante. Il décrit de manière particulièrement claire la manière dont les mouvements féministes ont su progressivement, en France comme au Canada, mettre en place une forme d’action politique particulièrement efficace articulant féminisme gouvernemental, expertise publique et militantisme associatif pour imposer leur agenda politique.

*

L’ouvrage d’Anne Revillard a pour objet d’analyser les structures et les modes de fonctionnement des institutions publiques dédiées à la cause des femmes à partir des exemples comparés de deux pays, la France et le Québec. Deux chapitres sont tout d’abord consacrés à l’historique de la construction progressive – et quelque peu fluctuante au gré des alternances politique – de ces institutions. L’auteur consacre ensuite un passionnant chapitre à l’analyse de l’articulation entre les trois instances fondamentales du féminisme d’Etat : le féminisme institutionnel, qui utilise son statut d’instance ministérielle pour infuser, de façon transverse (dite « gender mainstream »), l’agenda  féministe dans tous les segments de l’action gouvernementale ; les instances d’expertise (structures consultatives officielles, groupes de recherche universitaire), permettant de donner une légitimité institutionnelle et scientifique à la cause féministe ; enfin, la mouvance associative, qui s’articule doublement avec l’action gouvernementale : d’une part en contribuant à populariser différentes causes auprès de public, s’inscrivant ainsi en soutien à un éventuel projet législatif ou programmatique ; d’autre part, en servant de relai concret à la mise en œuvre de l’action gouvernementale, moyennant l’octroi de généreuses subventions publiques. L’ouvrage présente ensuite différents exemples de domaines d’action, comme l’égalité professionnelle, l’accès à l’information sur les droits ou encore la lutte contre les stéréotypes culturels. Enfin, il soulève d’intéressantes questions sur la nature et les objectifs du féminisme d’Etat, en montrant comment celui-ci, implicitement très focalisé sur les problématiques d’une certaine catégorie de femmes – femmes blanches, en couple hétérosexuel, actives, plutôt diplômées – a du mal à prendre en compte les problématiques d’autres catégories de femme situées à la marge de ce groupe central – femmes migrantes, mères au foyer, femmes voilés, femmes se prostituant, etc. ).               

*

L’ouvrage d’Anne Revillard constitue un travail scientifique de bonne qualité, reposant sur des enquêtes de terrain et des recherches très approfondies, et dont l’objectivité n’est à aucun moment perturbé par les convictions militantes de l’auteur. Il constitue de ce fait un document d’autant plus précieux pour prendre la mesure de l’enracinement du mouvement féministe dans l’appareil d’Etat et de sa capacité croissante d’influence. Une montée en puissance elle-même imputable à trois phénomènes : 1) le background militant de nombreuses responsables administratifs et politiques de ce segment de l’action publique, qui les conduit à utiliser de manière systématique tous les moyens en leur pouvoir pour promouvoir leur agenda, en particulier à travers un appel à la mobilisation transverse des autres ministères au service de la cause des femmes ;  2) la multiplication, au sein même de l’appareil d’Etat, des lieux de production du discours féministe (instances consultatives, groupes de travail parlementaires, institutions de recherche spécialisées), eux-mêmes noyautés par les activistes féministes, et qui vont massivement contribuer à diffuser un discours de dénonciation tous azimut, souvent outrancier, des soi-disant injustices de genres et autres comportements sexistes dont seraient victimes les femme. ; 3) la montée en puissance des associations militantes, qui viennent opportunément appuyer les projets féministes gouvernementaux par leurs activités de propagande et de mobilisation, tout en jouant un rôle important, moyennant l’octroi de subventions importantes, dans la mise en œuvre concrète de l’action publique. On voit bien, à l’occasion de questions d’actualité comme les violences conjugales ou les supposées inégalités salariales, comment ces trois composantes de l’action féministes sont utilisées de manières habillement complémentaire pour faire triompher des agendas radicaux.

Cette habile instrumentalisation de l’appareil d’Etat par les féministes présente trois dangers majeurs :

  • La perte de neutralité de l’Etat et de la justice. A force d’être instrumentalisés au service de l’agenda féministe, les outils d’action de la puissance publique sont détournés de leur objet essentiel voire amenés à violer un certain nombre de principes fondamentaux de l’état de droit. Par exemple, l’utilisation de différents procédures accélérées pour mettre à l’abri les femmes de leurs compagnons violents sont porteuses de plusieurs risques graves d’atteintes aux libertés fondamentales (ordonnances judiciaires d’éloignement prises sans mise en œuvre d’une procédure judiciaire contradictoire respectant les droits de la défense, etc.)
  • L’introduction d’un agenda féministe dans tous les segments de l’action publique, avec des résultats peu probants, voire franchement nuisibles. Que penser, par exemple, de l’idée d’un traitement prioritaire des plaintes pour violence conjugale dans des commissariats déjà surchargés du fait de leurs manque de moyens face à la montée généralisée de la délinquance ? Et comment ne pas craindre aussi, que les outrances du féminisme militant n’introduisent de nouvelles formes de division et de conflits, comme le montrent par exemple les réactions de rejet des milieux conservateurs vis-à-vis du projet d’ABCD de l’égalité, accusé par eux d’introduire l’enseignement de la théorie du genre à l’école ?   
  • La montée en puissance d’une nouvelle forme d’intolérance culturelle. L’idée de la lutte contre les stéréotypes de genres, porte par exemple en elle, sous des dehors plutôt sympathiques, de graves risques de censure et de promotion d’une culture officielle : on commencera par éditer quelques brochures vantant l’intérêt pour les femmes d’effecteur des études scientifiques, on continuera en fléchant les subventions à la recherche ou à la création artistique vers des œuvres reflétant la doxa féministe, et on finira en boycottant ou en interdisant des œuvres dont le contenu ou l’auteur déplaisent aux zélateurs de ladite doxa.     

Le livre effraye et révolte : il donne un peu l’impression d’une guerre gagnée sans bataille, où les féministes auraient réussi par des manœuvres subreptices à imposer leur agenda politique et leur idéologie jusqu’au cœur de l’appareil d’état à travers l’habile articulation de trois formes d’action : la manipulation du pouvoir d’état, la production d’une vérité institutionnelle pseudo-scientifique et l’intimidation militante. Une articulation délétère qui fait exactement écho à ce que qu’Anna Arendt définissait comme le totalitarisme, mélange de terreur d’état et d’idéologie utopiste. Un mélange qu’aujourd’hui les féministes sont en mesure de nous faire subir, après avoir, presque par surprise, investi tous les points stratégiques de l’action publique en profitant de notre naïveté et de notre manque de vigilance.   

Anne Revillard, La cause des femmes dans l’État. Une comparaison France-Québec, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, coll. « Libres cours », 2016, 265 pages

Nb : cette fiche de lecture s’inscrit dans mon actuel travail de rédaction d’un ouvrage intitulé « La dictature insidieuse – Entre totalitarisme et chaos  », où je tente de mettre à jour les mécanismes par lesquels l’Etat français contemporain réduit peu à peu nos libertés. Pour tester mes hypothèses de travail, je suis en ce moment amené à lire un grand nombre d’ouvrages, récents ou plus anciens, portant sur ces questions. Comme les autres comptes rendus de lecture du même type que je publierai au cours des semaines suivantes, le texte ci-dessous ne porte donc pas directement sur l’ouvrage lui-même, mais sur la manière dont il confirme ou infirme les thèses que je souhaite développer dans mon propre livre, et que je présente au début du compte-rendu sous la forme d’un encadré liminaire, afin de les tester à l’aune de cette nouvelle lecture.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.