Contrairement à son objectif affiché, le néo-féminisme anti-patriarcal contemporain ne libère pas les femmes de l’oppression. Au contraire, il les conduit, par la dissolution de la cellule familiale protectrice, à être exposées à de nouvelles formes d’oppression, liée à la fois à l’économie de marché et à l’interventionnisme d’Etat.
Je m’explique : une collectivité humaine est liée par une très grande diversité de liens sociaux : pouvoir politique, échanges marchands, communautés locales (quartier, village..), allégeances religieuses ou personnelles, famille, clan, tribu.
Le sens des grandes révolutions libérales qui ont donné naissance aux démocraties représentatives moderne est d’avoir privilégié deux de ces liens collectifs par rapport aux autres : l’Etat (à travers la notion de citoyenneté) et le marché (à travers la liberté du commerce et de l’industrie).
En ce sens, et contrairement aux représentations dominantes qui ont longtemps structuré le débat politique dans les démocraties modernes, l’Etat et le marché ne sont pas antinomiques : ce sont au contraire les deux pôles complémentaires d’un système socio-politique qui tend par ailleurs à nier ou à réduire l’importance des autres formes de liens sociaux.
Cette négation des corps intermédiaires a pris une forme particulièrement violente et brutale avec révolution française (lutte anti-religieuse, abolition des corporations et de l’ordre aristocratique). Mais elle est en germe dans l’essence même de toute démocratie représentative libérale. Aujourd’hui, dans majorité des pays d’Europe occidentale, l’identité des personnes se résume en effet assez largement à leur statut de citoyen et à celui de producteur-consommateur.
L’affaiblissement des autres formes de liens sociaux s’est fait selon des rythmes et des modalités différentes : déchristianisation, déclin de la civilisation paysanne et désertification de la France rurale, disparition des petits collectifs de travail artisanaux au profit des grandes entreprises oligopolistiques, destruction de la sociabilité de quartier par l’urbanisation démentielle des grandes métropoles, affaiblissement de la famille élargie au profit de la famille mononucléaire, etc.
Si la famille mononucléaire s’est également affaiblie (hausse des taux de divorce, désinstitutionalisation du mariage, etc.), elle reste tout de même aujourd’hui l’institution la plus forte et la plus vivace face à la domination désormais écrasante du duopole Etat-Marché dans la vie collective.
Elle constitue de ce fait pour les personnes un espace d’autonomie aux multiples dimensions : autonomie économique par l’autoproduction de biens non marchands échappant à l’impôt ; autonomie culturelle par la transmission des valeurs parentales aux enfants ; autonomie affective par le libre choix du conjoint, etc.
Et c’est là qu’intervient le néo-féminisme, qui réduit cette cellule familiale au lieu d’exercice d’une domination patriarcale qu’il faut évidemment détruire. Mais en cherchant à liquider la famille traditionnelle, les néo-féministe ne libèrent en aucune façon les femmes (ni les hommes d’ailleurs). Elles les exposent simplement à une oppression accrue de l’Etat et du marché en le dépouillant des protections associées à leur appartenance à une cellule familiale autonome.
Quelques exemples de ces nouvelles formes d’asservissement :
– En dénigrant comme indigne le statut de femme au foyer (c’est-à-dire de producteur de biens et services hors marché), elles poussent les deux membres du couple à adopter le statut de travailleur salarié, soumis donc à une exploitation capitaliste, à des migrations pendulaires épuisantes, à un stress au travail et à un arbitraire hiérarchique dont les avantages sont profondément discutables ;
– En détruisant par la même occasion le rôle de la famille comme cellule de production de biens et services non marchands, elle ouvre aux entreprises de nouvelles opportunités de marché et de profits (plats cuisinés, vêtements, garde d’enfants, travail domestique) tout en exposant ces nouvelles activités marchandes à la prédation fiscale de l’Etat.
– En réduisant le rapport homme-femme à celui d’une domination exercée par un bourreau sur sa victime, elle pollue la qualité affective des rapports de couple, qui, n’en déplaise aux féministes staliniennes, est tout de même fondé sur l’amour et l’attirance réciproque entre deux êtres complémentaires ;
– En judiciarisant systématiquement les différents aspects de la vie familiale (lutte contre les violences de couple, pénalisation de la violence éducative, etc.) elle légitime, comme dans n’importe quel régime totalitaire, l’intrusion de l’Etat au cœur même de la vie personnelle des gens.
Au bout du compte, la cellule familiale se trouve ainsi fragilisée, au nom des excellents principes du féminisme émancipateur, sous ses différents aspects : économique, culturel, affectif… Et la situation des femmes ne s’en trouve au fond pas tant améliorée que cela : deux ou trois heures de métro par jour pour obéir à son chef, gagner un salaire de misère dépensé en impôts et en produits surgelés, et abandonner les enfants (si son travail lui laisse le temps d’en avoir) à la garde d’une inconnue dans une crèche… Bref, devenir un parfait producteur-consommateur-contribuable aux ordres des capitalistes et des technocrates, avec éventuellement pour horizon suprême de devenir soi-même un petit chef dans ce système… Vraiment, vraiment, je ne vois pas où est la libération…