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Petites pochades sans importance

La Bourgogne-sud, c’est super… le temps d’un week-end !!

ImageA la fin de l’été, je vais tous les ans passer quelques jours en Bourgogne du sud, dans le Brionnais, entre Roanne et Paray-le Monial. C’est un pays de vallons et de bocages, surplombant de la vallée de la Loire, où les prairies d’élevage alternent avec les petits bois et les coteaux. Il y a des étangs paisibles, de petites routes bordées de haies sauvages où l’on peut cueillir des mûres pour faire des confitures. On peut aussi passer par-dessus les clôtures et rentrer dans les champs pour compléter la récolte, si on n’a pas peur des vaches.

Après sa retraite, mon beau-père s’était installé là, dans une vieille ferme qu’il avait transformée en galerie d’art. C’est fou, le nombre de bobos qui viennent passer leurs vieux jours dans le coin. Pour éviter de s’ennuyer, ils s’inventent plein d’activités culturelles : théâtre, expositions, concerts, cercles littéraires, stages de poterie… Et puis, ils vont se rendre visite et se félicitent les uns les autres de leurs intelligentes initiatives… Ça fait réseau artistique, et finalement on trouve presqu’autant de choses à faire qu’à Paris, à condition d’aimer la voiture, d’avoir l’esprit ouvert et d’être sociable.

Le soir, j’aime bien m’installer sur la terrasse de la maison. Il y a une jolie vue sur les monts de la Madeleine, de l’autre côté de la Loire. Ça fait rêver aux montagnes du Cantal, qui juste derrière, à une demi-journée de voiture. C’est très beau, enfin un peu moins maintenant, surtout la nuit, parce qu’on a installé une série d’éoliennes géantes sur la ligne de crête. Elles sont si hautes qu’on peut les voir à des dizaines de kilomètres à la ronde. Le jour, ça va encore, mais la nuit elles ont de gros phares rouges qui clignotent : ça gâche la vue et gène pour voir les étoiles. Le sentiment de nature sauvage, mystérieuse, infinie, est anéanti, on a l’impression d’être sur la planète artificielle Kamino dans Star Wars. Mais enfin, il paraît que c’est pour l’écologie, alors…

En arrivant par le car à Marcigny, c’est pratique : il y a un grand supermarché Auchan à deux pas de l’arrêt du bus. Alors, on va faire les courses pour la semaine. C’est immense, pas moins de deux ou trois hectares de rayonnages, avec non seulement des produits alimentaires, mais aussi des journaux, des livres, des vêtements, des ustensiles domestiques… Les prix sont plutôt intéressants, et puis, il y a la qualité : on trouve même des produits locaux genre fromage fermier et entrecôte garantie bœuf Charolais avec certificat de provenance. Comme ça, on a l’impression d’aider les gens du coin. Bon c’est vrai, les 99 % restant du magasin c’est des produits industriels, mais on a fait notre B.A. écolo en achetant un petit fromage de chèvre, alors… Et puis, super bien organisé les rayonnages, on se repère tout de suite, pas la peine de demander à un vendeur. Ça tombe bien d’ailleurs, parce que des vendeurs, chez Auchan, y’en a plus.

Bref, chez Auchan, on fait toutes nos courses. Sauf pour le pain parce qu’il y a une super-bonne petite boulangerie à Marcigny qui fabrique un pain artisanal réputé, le « Marcignau ». Mais, en arrivant au centre de Marcigny, on a une impression bizarre : plus de la moitié des petits commerces sont fermés ou à vendre. La maison de la presse, le quincailler, les épiceries, le magasin de confection de vêtements, tout est fermé… c’est un peu sinistre, y‘a plus que des agences immobilières. On se demande bien ce qui a pu se passer… Heureusement qu’il reste le fameux boulanger, plus un petit Casino et un boucher sur la grand place. On s’était promis d’aller chez lui une fois pour acheter des andouillettes et soutenir le petit commerce, mais finalement on l’a pas fait, Auchan c’est quand même plus simple.

Le dimanche on a voulu inviter des amis de Ligny dans un bon restaurant de village à Mailly, mais on a appris qu’il était fermé. Les patrons ont pris leur retraite l’an dernier. Il paraît que ce qui les a décidé, c’est une inspection des services de l’hygiène qui leur ont demandé de changer leur cuisine de place. Elle était trop près des WC par rapport aux normes, qu’il a dit l’inspecteur. Bon, pendant 5 ou 6 générations, ça avait bien fonctionné comme ça, sans aucune intoxication alimentaire … Le restau était toujours bondé à cause de sa bonne réputation … Solide cuisine bourguignonne au beurre… On venait de Roanne et même de Lyon pour la joue de bœuf et le coq au vin, même si dans les derniers temps, il y avait un peu moins de grandes tablées de fin de semaine, à cause de la baisse des mariages et des baptêmes. Mais les installations n’étaient pas aux normes… Alors, comme ça coûtait trop cher de changer la cuisine de place, les vieux patrons ont préféré arrêter. Et leurs enfants n’ont pas voulu reprendre l’affaire, c’était trop de travail, la vaisselle et la lessive jusqu’à deux heures du matin, les charges, les inspections de l’URSSAFF… Bon, on a encore la ressource de la pizzeria et du traiteur chinois de Charlieu… mais pour la gastronomie du terroir, faut plus y compter…

Notre maison est un peu isolée, mais on a quand même deux voisins. Le premier, c’est un éleveur, juste à côté des étangs de Saint-Martin-du Lac. Il ne se débrouille pas trop mal avec ses 60 vaches plus les veaux, mais enfin, la vie n’est quand même pas facile pour lui. D’abord parce les animaux, ça ne se vend plus aussi bien qu’avant, rapport à la baisse de la consommation de viande et à la concurrence de la viande industrielle importée. Et puis aussi à cause de toutes les emmerdes qui lui tombent dessus, de la sécheresse aux réglementations sanitaires toujours plus strictes… Enfin parce qu’il est tout seul, sa femme est partie, elle ne supportait plus la vie d’agricultrice. Ça nous fait un peu de peine, de le voir vivre comme ça tout seul, en plus ça lui complique la vie de n’avoir personne pour l’aider, s’il tombait malade, ça serait la catastrophe… Alors, on essaye de le convaincre de s’inscrire à l’émission « Le bonheur est dans le pré ». Avec en plus toutes les fermes abandonnées à vendre autour, on a l’impression que la vie s’en va des campagnes, c’est triste…

Heureusement qu’il y a quand même de nouveaux venus. Nos autres voisins, par exemple, c’est des Suisses qui viennent d’acheter une maison sur le chemin de Saint-Julien-de-Jonzy. Des gens très bien qui avaient une grosse situation à Berne. Mais ils ont eu un coup de cœur pour la région et ont décidé de s’y installer pour leur retraite. La maison était déjà bien retapée, mais ils ont mis le paquet pour la rendre encore plus confortable et écolo : plancher chauffant, poêle à bois Godin, aérothermie, tous les trucs super-modernes y sont passés… Ce n’est plus une ferme brionnaise, c’est un vaisseau spatial, leur baraque… Ils ont dû dépenser un fric fou… C’est bien parce qu’au moins, ça fait travailler les artisans locaux…

Y’a d’autres suisses qui se sont installés un peu plus loin, ils veulent créer des activités nouvelles, des trucs écolos, de la vigne bio… c’est sympa comme idée… D’autant que le sol s’y prête bien paraît-il : argilo-calcaire, exactement comme du côté de Beaune…

Ils sont très gentils avec notre voisin agriculteur, les Suisses, très liants, pas du tout collet-monté. C’est super-cool… Mais en même temps, comme ils sont de plus en plus nombreux à s’installer dans la région et qu’ils ont plein d’argent, ils achètent toutes les terres, alors ça fait monter les prix des terrains et des fermes, et les agriculteurs locaux se font éjecter, les jeunes du coin ne peuvent pas s’installer… Alors, ils ne sont pas très contents…

D’autant, que question emplois industriels, c’est pas trop terrible non plus dans le Brionnais depuis que tout le textile a capoté. Bon, Emile Henry, le fabricant de vaisselle en céramique sur la route de Marcigny à Paray, ça va encore, avec des hauts et des bas : il s’est reconverti vers le haut de gamme façon « revival traditionnel » et il exporte dans le monde entier. Il est devenu « céramiste culinaire depuis 1850 », comme dit son site web. Mais le gros problème, c’est Potain à Charlieu. Avant c’était la locomotive du Brionnais, il y avait même une ligne de chemin de fer privée vers l’usine de la Clayette avant qu’elle ne ferme, il y a 5-6 ans. Mais depuis qu’ils ont été rachetés par les américains de Manitowoc, on parle de nouvelles restructurations, de plans sociaux. Et les  gens sont inquiets, parce que, si Potain ferme, c’est la cata pour Charlieu.

Le monsieur qui s’occupe de notre maison, justement c’est un ancien de Potain, un ouvrier très qualifié : il fabriquait des grues à la La Clayette, mais il a été licencié il y a déjà longtemps déjà. Alors, il est allé fabriquer des locomotives au Creusot chez Schneider, mais re-licenciement il y a une dizaine d’années. Ensuite, il a fait de l‘interim et de la sous-traitance, mais il y a avait de moins en moins de travail dans l’industrie. Alors, il s’est mis à s’occuper des résidences secondaires des bobos : il taille les jardins, il répare le chauffe-eau. Ça rapporte bien, mais comme c’est pas des contrats réguliers, il a du mal à obtenir le petit prêt bancaire dont il a besoin pour s’acheter une maison. En, résumé, il s’occupe des maisons des autres, mais lui il n’en n’a pas de maison. Bref, le type, il est très remonté, très en colère, il en veut beaucoup aux socialistes et à Macron, et il voterait surement Front National s’il n’était pas totalement dégoûté de la politique.

Bref, le Brionnais, c’est pas la misère, mais c’est aussi une région où les traditions se meurent, où les paysages sont détruits par une modernité hideuse, où les réglementations et la fiscalité étouffent les petites entreprises et les artisans, où l’économie locale est bousculée par la globalisation, l’irruption des grandes firmes et la concurrence internationale, où les autochtones ont de plus en plus de mal à vivre comme autrefois, sont dépouillés de leur propre terre, et se retranchent dans leur petit coin un peu désert, avec leur petite retraite, leur petite ferme ou leur petite assurance-chômage. Une région dont la vie dépend de décisions prises dans des ministères ou des sièges sociaux de multinationales situés à des centaines, voire des milliers de kilomètres de là, par des gens qui ne connaissent rien à l’histoire et aux réalités de ce coin de France….  C’est un petit bout de notre pays, épuisé, vidé de son sang, dépouillé de sa mémoire, privé de sa langue et sa culture, transformé en fantôme de lui-même ou en aire de loisirs pour néo-ruraux employant les autochtones comme domestiques, assassiné en silence par la mondialisation écolo-diversitaire… Le progrès, qu’on appelle ça…

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