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La dictature insidieuse

Et ainsi de suite : vers l’instrumentalisation politique de la justice ?

ImageDans mon prochain ouvrage, « La dictature insidieuse », je compte exposer l’idée selon laquelle l‘Etat français est en train de se transformer sournoisement en une entité autoritaire, utilisant les ressources d’un droit de plus en plus répressif pour criminaliser les opposants du pouvoir en place ou simplement les réfractaires aux idées dominantes. C’est la raison pour laquelle je ne suis précipité, dès sa parution, sur le livre de Jean-Luc Mélenchon, « Et ainsi de suite », qui dénonce la persécution politique dont il fait l’objet, ainsi que son parti (LFI), sous toutes sortes de prétextes discutables (détournement de fonds public, rébellion, outrage, provocation, etc.). J’ai effectivement été atterré par le contraste entre la légèreté du dossier judiciaire et la violence des procédures mises en œuvre (notamment les perquisitions-surprises simultanées menées contre une vingtaine de membres de LFI, souvent élus du peuple, comme s’il s’agissait d’une mafia de criminels dangereux). Mais surtout, j’ai été entièrement convaincu par les conséquences terrifiantes qu’en tire l’auteur sur la régression actuelle des libertés publiques en France, avec l’instauration progressive d’un régime répressif reposant sur une accumulation de lois liberticides et l’utilisation systématique de l’arme judiciaire (ce qu’il appelle le « lawfare ») pour réduire au silence ceux que le pouvoir n’a pas envie d’entendre.

L’ouvrage se présente comme un carnet de route estival, dont l’improvisation apparente s’organise en fait autour de trois thèmes : le voyage effectué à l’été 2019 par Jean-Luc Mélenchon en Amérique latine, au cours duquel il a pu rencontrer de nombreuses figures de la gauche sud-américaine, dont l’ancien président brésilien Lula actuellement incarcéré sous des accusations de corruption contestées par ses partisans ; ses souvenirs personnels de militant égrenées à cette occasion au fil des pages ; enfin, le rappel des différentes procédures judiciaires lancés contre lui, où il veut voir la marque d’une instrumentalisation politique de la justice par un pouvoir politique tenté par l’autoritarisme. C’est de ce troisième thème que je parlerai ici.

Soyons clair à ce sujet : je n’aime pas beaucoup la personnalité impulsive, autoritaire et intolérante de Jean-Luc  Mélenchon. Je suis politiquement à l’opposé de presque toutes les propositions de son parti. Je n’approuve pas sans quelques réserves ses actes de rébellion vis-à-vis des représentants de la force publique. J’ai été gêné par l’expression trop virulente de ses haines et de ses ressentiments contre tel ou tel magistrat ou responsable politique, nommément accusés par lui d’être à la botte du pouvoir macronien ou se livrer contre lui à un règlement de compte personnel. Mais je suis néanmoins totalement convaincu par sa mise en garde concernant les risques graves pesant aujourd’hui sur les libertés publiques et individuelles.

Celle-ci s’articule autour de trois thèmes allant du plus particulier au plus général.

L’auteur se livre d’abord à une dénonciation véhémente de la procédure judiciaire montée contre LFI, dans ses motifs comme dans ses formes. Ses motifs, tout d’abord semblent en effet bien minces : utilisation inappropriée du travail des assistants parlementaires des députés européens (comme si l’activité d’un homme politique et de ses équipes pouvait être précisément saucissonnée par tranches) ; irrégularités possibles dans les comptes de campagne présidentiels pourtant déjà dûment approuvés par la commission des comptes – le tout pour des enjeux ne dépassant pas quelques centaines de milliers d’euros.  Rien donc très grave au fond, en tout cas rien qui justifie que des dizaines de policiers et de magistrats, au matin du 16 octobre 2018, viennent faire irruption par surprise dans 10 lieux différents, dont les domiciles privés d’élus du peuple, comme s’il s’agissait d’une bande de dangereux criminels. Jean-Luc 1er a alors beau jeu de détailler les irrégularités de procédure, les abus de droit, le viol systématique du secret de l‘instruction, l’amateurisme des enquêteurs, l’utilisation de moyens de contrainte totalement disproportionnés par rapport aux faits et surtout au profil des personnes incriminées, tout cela formant in fine un faisceau d’indices accablants sur la dégradation de nos libertés publiques. Il y a en effet quelque chose de profondément choquant dans le fait de voir des élus républicains, auxquels on ne peut dénier la noblesse de leur engagement même si on n’approuve pas leur idées, traités comme des bandits et des mafieux. Est-ce là une manière acceptable de traiter des opposants politiques, dans une République qui se réclame sans cesse des principes de droits de l’homme ?

Mais justement, ces principes – et les libertés fondamentales qu’ils garantissent – ne sont-ils pas aujourd’hui menacés en France ? C’est le deuxième thème évoqué par Jean-Luc Mélenchon. Selon celui-ci, le traitement inacceptable dont LFI a été l’objet au matin du 16 octobre 2018 n’est que la conséquence de dérives de plus en plus graves, enclenchés avec mise en place de l’Etat d’urgence au lendemain des attentats de 2015. La lutte nécessaire contre le terrorisme en effet constitué le déclencheur  d’un mouvement de régression massif des libertés publiques et individuelles : extension des possibilités de perquisitions administratives sans autorisation du juge du siège, multiplication des assignation à résidence arbitraires en application d’un simple principe de précaution, restrictions diverses portées au droit de manifestation, possibilité accrues pour la police et les services de renseignement de surveiller les communications privées, extension possible de la durée des gardes à vue, etc. Toutes ces mesures liberticides, présentée au départ comme provisoires, ayant ensuite été inscrite dans la loi, et faisant désormais vivre la France sous le régime de l’Etat d’urgence permanent. Et le plus grave, c’est que cet arsenal répressif, en principe destiné à lutter contre le seul terrorisme, a bientôt été utilisé contre des mouvances politiques aux idées certes parfois radicales, mais ne prônant pas la violence : militants écologistes, syndicalistes de gauche, gilets jaunes qui ont fait l’objet d’une répression particulièrement violente entre la fin de l’année 2018 et le printemps 2019. Une terrifiante dérive vers un Etat autoritaire disposant désormais d’instruments efficaces pour persécuter les opposants un peu véhéments qui lui déplairaient.

Enfin, cette dérive autoritaire de l’Etat français ne serait, selon Mélenchon, que l’expression d’une tendance plus générale à « l’évolution spontanée des gouvernements libéraux en régimes autoritaires ». Et ceci à travers l’utilisation systématique du « lawfare », c’est-à-dire d’un stigmatisation et d’une criminalisation des militants de gauche à travers la mise en oeuvre de procédures judiciaires pénales de droit commun – à l’exemple de Lula incarcéré au Brésil après une condamnation plus que discutable pour corruption.

Non seulement je suis convaincu par la justesse des accusations de  Mélenchon, mais je pense même qu’il ne va pas assez loin dans la dénonciation ce système de guérilla judiciaire qui se met progressivement en place contre nos libertés. Et ce pour trois raisons principales :

–  D’abord parce que la répression dont il parle ne touche pas que les milieux de la gauche radicale, mais aussi les partis patriotes et les intellectuels non conformistes dénonçant les méfaits de l’immigration. Je pense, entre autres, à l’invraisemblable procès fait à Marine le Pen pour avoir diffusé sur Twitter des photos des exactions de Daesh, ou encore à la récente condamnation d’Eric Zemmour pour incitation à la haine après des propos dénonçant ce que tout le monde peut aisément constater tous les jours, à savoir l’islamisation progressive de la France.

–  Ensuite parce que les restrictions croissantes portées aux libertés n’ont pour seul moteur la dynamique sécuritaire enclenchée par l’Etat d’urgence, mais aussi la multiplication des lois morales  et réglementation oppressives par lesquels l’Etat prétend aujourd’hui « améliorer » nos comportements, depuis l’inutile loi contre le harcèlement sexiste jusqu’aux restrictions abusives de vitesse sur les routes, en passant par l’interdiction de la fessée. Ce foisonnement d’interdiction nouvelles, touchant désormais à notre vie privée, voire intime, crée une situation anxiogène où chaque personne risque, à un moment ou à un autre, d’être considéré comme un délinquant simplement parce qu’il se livre à un acte parfaitement banal de se vie quotidienne. Comme simultanément les pouvoirs d’enquête de la police sont étendus, que les possibilités d’arbitraire administratif ont été élargies, et que les droits des  justiciables à une défense équitable ont été réduits, cela signifie qu’avec un peu de mauvaise foi et de persévérance, il est possible de monter contre n’importe quel opposant politique un dossier infâmant, mélangeant accusations absurdes de malversations financières (comme dans le cas du Rassemblement national), outrage aux forces de l’ordre (s’il ose s’élever contre ces dénis de droit comme le fit Jean-Luc 1er à l’occasion de la perquisition d’octobre 2018), accusations imaginaires de détention ou port d’armes (comme dans le cas du gilet jaune Eric Drouet), voire, pour faire bonne mesure, violences domestiques (comme pour le gilet Jaune Jérôme Rodriguez, éborgné par une grenade offensive, qui fut plus tard placé en garde à vue à l’occasion d’un banale dispute avec sa femme avant d’être libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui).

 

–  Enfin, les imprécisions fréquentes de ces différentes lois morales ou antiracistes, en quelque sorte consubstantielles au fait qu’elles touchent désormais à l’intimité des comportements et à la complexité des opinions (à partir de quel moment une banale dispute de couple avec bousculade réciproque devient-elle une « violence domestique » ? Jusqu’à quel moment peut-on critiquer l’islamisme sans être accusé d’islamophobie ?) ouvrent la voie à une terrible insécurité juridique. Comme les conditions d’application des lois ainsi que la définition des délits deviennent de plus en plus flous, on ne sait plus très bien à quel moment commence l’infraction, ce qui accroît terriblement le pouvoir d’arbitraire du juge. Un état des choses rendu encore plus préoccupant par la tendance croissante à la contamination des décisions judiciaires par les convictions politiques  personnelles du juge – comme en témoigne, dans l’actualité récente, le contraste scandaleux, pour des actes d’une gravité équivalente, entre la lourdeur des peines frappant des militants patriotes comme ceux de Génération identitaire protestant contre la porosité des frontières face à l’immigration clandestine et la mansuétude des juges pour les écologistes décrocheurs de portraits présidentiels.

 

Bienvenue donc au royaume de la guérilla juridique contre la démocratie et la liberté d’expression !!!

Jean-Luc Mélenchon, Et ainsi de suite, Un procès politique en France, 185 pages, 2019, Plon, Paris.

Nb : cette fiche de lecture s’inscrit dans mon actuel travail de rédaction d’un ouvrage intitulé « La dictature insidieuse », où je tente de mettre à jour les mécanismes par lesquels l’Etat français contemporain réduit peu à peu nos libertés. Pour tester mes hypothèses de travail, je suis en ce moment amené à lire un grand nombre d’ouvrages, récents ou plus anciens, portant sur ces questions. Comme les autres comptes rendus de lecture du même type que je publierai au cours des semaines suivantes, le texte ci-dessous ne porte donc pas directement sur l’ouvrage lui-même, mais sur la manière dont il confirme ou infirme les thèses que je souhaite développer dans mon propre livre, et que je présente au début du compte-rendu sous la forme d’un encadré liminaire, afin de les tester à l’aune de cette nouvelle lecture).

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