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Petites pochades sans importance

Trois nouveaux amis

Aujourd’hui, j’ai rencontré trois nouveaux amis : Paulo, Bouboulle et Capitaine.

En fait, Paulo, je ne suis pas vraiment sûr qu’il s’appelle comme ça. Mais je trouve que ça lui va bien quand même. Sinon, ça pourrait être Pierrot ou Jeannot. Mais, bon, moi j’ai décidé de l’appeler Paulo.

Par contre, Bouboulle et Capitaine, je suis sûr que c’est bien leur nom. Ca oui. Parce que quand Paulo les appelle comme ça, ils se reconnaissent tout de suite et ils lui sautent dessus avec leurs grosses pattes. Surtout Bouboulle, qui est un peu agité. Capitaine, lui, est plus calme.

J’étais donc en train de prendre un petit verre de Brouilly (vous savez, celui que ma jolie petite serveuse de la rue des Abbesses prend pour un vin italien) à la terrasse du Lux Bar, au coin de la rue Lepic et de la rue Coustou.

Le Lux Bar, c’est celui dont le patron un peu allumé m’a surnommé « le professeur », parce qu’avec ma boule de cheveux en désordre, je ressemble un peu à un savant fou. Mais là, comme je me suis fait couper les cheveux, il ne m’a même pas reconnu.

Donc j’étais en train de boire tranquillement mon Brouilly du matin en pensant que la vie est bien difficile, surtout pour les vieux mâles blancs redevables de l’IFI, quand je vois arriver un clochard unijambiste dans une chaise roulante tirée par deux chiens. Il était assez crado, avec son bout de pantalon vide et tâché traînant par terre, mais il avait une tête assez sympa, avec un bon sourire et une barbe noire assez bien taillée. Il avait dans les mains une grosse boite tuperware ronde avec quelques pièces dedans. Il s’est arrêté devant la terrasse, juste en face de moi.

Merde, que je me suis dit, je vais encore me faire taper par un clodo.

J’étais bien résolu à lui dire d’un air indifférent de passer son chemin.

Mais lui, au début, ne m’a rien dit, il ne m’a même pas regardé.

Par contre, autour de lui, les gens ont vu qu’il était là.

D’abord, le charcutier d’en face est venu apporter un bon morceau de jambon à Bouboulle qui l’a remercié en se jetant sur lui pour essuyer ses deux grosses pattounes bien sales sur son tablier blanc. On voyait clairement les traces de griffes boueuses sur le tissu jusque-là immaculé.
Je me suis dit que le charcutier allait se mettre en colère, parce que si un inspecteur des services sanitaires de la mairie de Paris passait par là, ça serait l’amende à tous les coups.

Mais, non il avait l’air content, et Bouboulle aussi. Il a parlé deux minutes avec Paulo en caressant le petit bouc bien taillé qui orne son menton, et puis il est parti.

Ensuite, le patron du Lux Bar est sorti pour prendre la commande de Paulo. C’était un café expresso. Il l’a amené 3 minutes après, et Paulo a dûment payé. Mais il n’a pu boire que la moitié de son café, parce que Bouboulle s’est précipité sur lui pour lui faire des mamours et a renversé la moitié du café par terre. Paulo n’était pas très content, mais enfin le mal était fait, et Bouboulle en a profité pour lécher la flaque de café.

Ensuite, une voisine est passée sur l’autre trottoir avec son élégant lévrier afghan. Ca a du réveiller la conscience de classe de Bouboulle et de Capitaine, parce qu’ils se sont mis à aboyer très fort. Surtout Bouboulle, qui a l’ait d’être le plus militant des deux. Mais enfin c’était des non-violents au fond, ils se sont contentés de faire un peu de bruit sans même montrer les crocs. Le lévrier afghan, sans doute amolli par sa vie confortable et protégée de chien de petit bourgeois, s’est réfugié dans les jambes de sa maîtresse, ils se sont éloignés tous les deux, et l’incident a été clos. Bouboulle et Capitaine en ont été quittes pour un cours d’éducation civique improvisé par Paulo, qui leur a expliqué que tout le monde avait le droit de passer dans la rue sans être dérangé.

Bouboulle et Capitaine écoutaient attentivement la leçon de morale de Paulo, assis sur leurs pattes de derrière en face de lui, quand est passé le chat roux du papetier. Là, ça s’est beaucoup plus mal passé. Avec un lévrier afghan, encore, il reste un peu de solidarité ethnique, mais avec les chats roux, là, c’est franchement la guerre immémoriale. Donc, j’ai vu le chat commencer à faire le gros dos en feulant, pendant que les deux chiens tiraient tant qu’ils pouvaient sur leur laisse (enfin sur le bout de ficelle qui leur tenait lieu de laisse) dans l’intention visible de lui faire un mauvais sort. Mais Paulo a poursuivi son cours d’éducation civique en expliquant à ses chiens que le propriétaire du chat était un copain et qu’il ne fallait pas l’embêter, et que de toute façon il fallait être poli avec tous les voisins du quartier. Alors, les chiens se sont calmés et le chat est passé. Mais il les a quand même contournés à bonne distance en se glissant sous les tables de la terrasse.

A ce moment, Bouboulle a commencé à entortiller sa laisse avec semble-t-il la ferme intention de monter sur Capitaine. Mais gentiment hein, avec une sorte de douceur, comme tout ce qu’il fait. Alors Capitaine, tout beau chien de chasse qu’il était, et deux fois plus gros que ce petit noireau de Bouboulle, s’est plus ou moins laissé faire, jusqu’à ce que Paulo les arrête en expliquant à Bouboulle que ces choses-là ne se faisait pas en pleine rue et qu’il fallait laisser Capitaine tranquille. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à parler à Paulo.

– C’est un mâle et une femelle ?
– Non c’est deux mâles.

Bon, sur ce coup-là, je n’ai rien ajouté, là, parce que je ne voulais pas être accusé de faire des remarques homophobes. Mais j’ai quand même continué à parler avec Paulo.

D’abord, on a causé des chiens, bien sûr. Paulo m’a expliqué que quand il a recueilli Bouboulle, celui-ci n’était pas très brillant, juste la peau et les os, et couvert de puces. En plus le vétérinaire lui avait coûté très cher. Mais maintenant, Bouboulle était bien requinqué.

En regardant Bouboulle, apparemment nourri et assez propre (plus que son maître en tout cas), je me suis dit que cet animal, effectivement, avait eu de la chance de passer du statut de chien-clochard à celui de chien de clochard. Ce qui, dans le monde des chiens, représente sans doute une ascension sociale importante pour peu que le nouveau maître soit gentil, ce qui était visiblement le cas de Paulo.

J’ai ensuite longuement discuté avec Paulo. Moi, je vis à Montmartre depuis 60 ans, alors les clodos du quartier, je les connais un par un. Parfois, c’est des personnalités très marrantes, surtout les hommes. Comme Paulo justement. Mais lui, je ne l’avais encore jamais vu.

– Vous êtes depuis longtemps dans le quartier ?
– Oui, ça fait 25 ans.
– Ah, ben ça alors !! Je ne vous avais jamais vu.
– Ben moi si, ça fait longtemps que je vous ai repéré avec vos cheveux.

(Merde, que j’ai pensé, pas moyen de passer inaperçu avec cette tignasse. Si les nazis reviennent, je serai tout de suite arrêté).

Ensuite on a discuté business. En fait, quand on écoute parler Paulo, mendiant, pour lui, c’est clairement une profession qualifiée.

– Moi, je bouge beaucoup, Je suis pas comme les roms qui restent toujours au même endroit, je pourrais pas. Alors un coup je suis rue Lepic, un coup place des Abbesses, un coup devant le Moulin-Rouge quand il y a la queue pour les spectacles.

– Ah, bon, et alors, les chiens, ils vous aident à vous déplacer en tirant votre chaise roulante ?

– Oui, mais ils aiment bien faire ça, ce n’est pas pour ça que je les ai pris. J’aime bien les animaux. Capitaine, c’est un vieux copain, ça fait 13 ans qu’on est ensemble. Bouboulle, ça fait seulement 1 an que je l’ai. J’en avais pas besoin en fait, mais il avait l’air tellement malheureux que je l’ai pris avec moi.

– Ils ne se disputent pas trop ?

– Non, ils sont sympas, de temps en temps ils aboient un peu l’un contre l’autre, mais rien de grave.

A ce moment, un couple de bobo est passé près de nous. La femme était vêtue d’un élégant manteau noir en cachemire. Elle portait dans ses mains une jaquette cartonnée à la couverture brillante et multicolore, où était écrit en grandes lettres d’argent : « Une occasion exceptionnelle aux pieds de la Butte ». Sans doute un dossier promotionnel pour la vente à la découpe de l’un des derniers immeubles cradingues de la rue Coustou récemment rénovés. Comme ça, on aura achevé de virer les derniers petits retraités fauchés et les dernières concierges fortes en gueule de Montmartre pour les remplacer entièrement par des yupies.

Ils sont marrants, ces bobos, de vouloir s’installer dans les quartiers populaires !! Comme, ça, Ils ont l’air sympas et cools avec les vieux habitants du coin, mais en fait, c’est quand même un peu à cause d’eux que les chinoises sans papiers de Belleville et les clochards de Montmartre ne trouvent plus à se loger sur place et doivent partir !!!

Mais enfin, la conscience de classe de Bouboulle ne s’élevait visiblement pas à ces hautes considérations de sociologie urbaine. Il a donc sauté joyeusement sur la jolie bobo, qui a eu bien du mal à protéger son manteau en cachemire avec son dossier immobilier. Mais enfin, Bouboulle était si gentil qu’elle l’a caressé et lui a laissé mordiller sa main. Visiblement, la jeune bourgeoise n’avait que faiblesse pour ce voyou des rues, en attendant de le faire décaniller avec son maître en grande banlieue !!!

Bon, il y a eu encore plein d’épisodes, comme lorsque Bouboulle a renversé la boite tuperware de son maitre et que tous les passants se sont précipités pour ramasser les pièces et les rendre à Paulo….

Mais j’appuie sur la touche « avance rapide ». L’heure des adieux approchait, et Paulo est parti le premier. Il m’a d’abord dit au revoir sans rien me demander. Comme il allait partir, je l’ai quand même rappelé pour lui filer 3 euros. Il m’a dit simplement merci, d’un air un peu distrait, comme si de rien n’était. C’est là que j’ai compris que j’avais vraiment affaire à un mendiant super-doué : Il ne mendiait pas, il créait avec ses chiens de la vie et de la gentillesse dans la rue. C’est utile non, comme profession ? Ca mérite bien un salaire, non ? Alors, tous les gens du quartier, moi compris, s’y mettent pour le remercier d’être là avec ses deux braves cabots.

Puis il a commencé à descendre la rue Lepic, sa chaise roulante tirée par ses deux chiens, un peu comme un traîneau des neiges… Je vous jure qu’à ce moment-là j’ai eu une sorte de vision : ce n’était plus une chaise roulante que je voyais s »éloigner, mais un carrosse doré tiré par six cheveux, s’éloignant glorieusement dans un nuage de poussière lumineuse…

Bon, en fait la vision n’a pas duré très longtemps. Bouboulle a effet repéré une grande flaque d’eau dans le caniveau d’à côté et est allé y prendre un bon bain, suivi par Capitaine. Ils s’y sont consciencieusement roulés en éclaboussant tout le monde, et le carrosse s’est arrêté.

Alors, je l’ai dépassé en descendant la rue Lepic vers la Place Blanche. Puis ils m’ont rattrapé, mais ils se sont de nouveau arrêtés devant moi, parce que Bouboulle, pris d’un besoin pressant, a fait un petit pipi sur une voiture de police qui stationnait là.

Encore un sale voyou Mélenchoniste, ce Bouboulle !! Peut-être même carrément un anarchiste !! Et pourtant, je ne sais pas pourquoi, je l’aime bien !!

Ils m’ont bien réchauffé le cœur, ces trois-là !!!

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