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Délocalisations : quand la France se tire une balle dans le pied

Image2015, mauvaise année pour l’emploi industriel. Sur les six premiers mois de l’année 2015, selon des données publiées par Trendeo, la France a fermé 32 usines, contre 21 un an plus tôt. Et le rapport du nombre d’ouverture d’usines par rapport aux fermetures n’a été que de 68 %, loin des 94 % observés en 2011. Preuve de la faible activité de la faible activité de notre industrie. «Les grands groupes ne réinvestissent pas dans l’Hexagone lorsque la conjoncture s’améliore parce qu’ils préfèrent miser sur des zones où la croissance est plus forte. Au contraire des petites entreprises», explique David Cousquer, créateur et gérant du cabinet Trendeo1. A l’exemple de PSA, qui en 2014 a décidé de  délocaliser en Slovaquie la production de la prochaine génération de la citadine C3, jusque là produite à Aulnay – fermé en 2014 – et à Poissy2. Quant à Renault, il vient d’inaugurer début 2016 sa première usine chinoise, à Wuhan3, tout en poursuivant la baisse de ses effectifs en France (de de 70.600 personnes à 48.500 entre 2005 et 20154).

Une tendance lourde. Car cette hémorragie récente d’emplois industriels n’est pas seulement due à la mauvaise conjoncture actuelle. Elle s’inscrit dans une tendance longue. Les effectifs de l’industrie manufacturière française sont en effet passés, selon l’Insee, de 4,1 millions de personnes à 2 en 2014, soit pratiquement une division par 25. Un mouvement certes imputable pour une part à la hausse de la productivité du travail ou à la « tertiarisation » des économies développées, mais aussi à la concurrence étrangère, qui selon la direction du Trésor, pourrait expliquer, malgré les difficultés de quantification, jusqu’à 45% des destructions d’emplois industriels en France entre 1980 et 2007, dont une part significative liée aux délocalisations « stricto sensu » : 10 % à 20 % du total entre 1995 et 20016. Cette désindustrialisation reflète, certes un mouvement commun à toute l’Europe de l’Ouest, mais qui a touché notre pays de manière particulièrement violente. Par exemple, selon les données de l’OCDE, l’emploi dans l’industrie est passé entre 2000 et 2008 de 3,7 à 3,2 millions en France, contre une baisse relativement plus modérée en Allemagne (de 8,1 à 7,7 millions), et une augmentation en Pologne (de 3,1 à 3,3 millions), pays de destination de nombreuses délocalisations durant cette période.

La conséquence de politiques destructrices. Les partisans du « benign neglect » peuvent nous expliquer doctement que cette lente agonie n’est que la conséquence inéluctable, et en partie souhaitable d’évolutions structurelle ayant nom : hausse de la productivité du travail, tertiarisation de l’économie, évolution naturelle de la division internationale du travail conduisant les économies développées à se spécialiser sur les industries de pointe en abandonnant aux pays en développement les industries de main d’œuvre pour lesquels celles-ci sont mieux dotées. Mais cette explication lénifiante conduit à passer sous silence qu’il est aussi largement imputable à la mise en œuvre, en France même d’un ensemble de politique ou de « non-politiques » nullement inéluctables, et dont l’impact sur l’emploi industriel a été profondément défavorable. Pour faire simple, nous avons au cours des dernières décennies largement ouvert notre industrie à la concurrence étrangère, tout en multipliant les handicaps l’empêchant de l’affronter sur des bases équitables. Quelques exemples :

Un euro sur-évalué. Pendant des années, et jusqu’à la mi-2014, l’Euro s’est échangé sur la base largement surévalué de 0,75 euro/dollar (moyenne 2012/2013) avant de baisser fortement pour atteindre le niveau plus raisonnable (au regard des parités du pouvoir d’achat) de 0,92 euro/dollar fin 2015. Ceci a eu des conséquences très négatives pour la compétitivité des producteurs de la zone euro, qui ont du choisir entre voir leurs parts de marché diminuer ou réduire leurs prix et leurs marges. « Dans la durée, un euro fort incite à délocaliser davantage de production vers les pays à monnaie faible, pour réimporter ensuite composants et produits finis (…). Il pénalise l’attractivité de la zone euro pour les touristes internationaux… (…)La persistance d’une monnaie forte, au-dessus de son niveau d’équilibre en « parité de pouvoir d’achat », maintient donc une pression sur les salaires et les emplois en les soumettant à la nécessité d’accroître la productivité et la compétitivité à un niveau parfois inatteignable. »7

L’absence de réaction face au protectionnisme caché de nos concurrents. La Chine, par exemple, mène aujourd’hui en toute impunitéune politique protectionniste déguisée destinée à favoriser ses entreprises nationales et fondée sur toutes sorte d’outils : critères très bas de protection sociale et environnementale, multiplication des enquêtesanticoncurrentielles contre les entreprises étrangères8, incitations insistantes auprès des consommateurs chinois pour qu’ils consomment des produits nationaux. Une politique d’autant plus efficace que l’OMC ne peut pratiquement rien y faire : « depuis qu’elle s’est constituée, l’OMC ne réprime et ne punit de sanctions internationales que le seul protectionnisme douanier stricto sensu. Cela fait la part beaucoup trop belle à Pékin et au Parti Communiste Chinois qui ont, à dire vrai, bâti toute leur stratégie conquérante sur l’injustice du dispositif de l’OMC », explique Antoine Brunet, économiste et président d’AB Marchés9. Quant à UE, elle fait bien sur preuve d’une remarquable discrétion, comme chaque fois qu’il s’agit de protéger ses propres industriels et salariés…

Le contraste est en effet affligeant entre l’absence totale de protection des salariés dans certains pays du tiers-monde et le poids étouffant des charges sociales et réglementaires pesant sur nos entreprises créatrices d’emploi. Par exemple, un rapport publié en 2015 par WIEGO, une organisation dédiée à l’étude et la défense des travailleurs du secteur informel, met en évidence l’exploitation éhontée dont sont victimes les travailleurs à domicile au Bangladesh. Un pays dont le gouvernement, malgré le tragique l’effondrement du Rana Plaza en mai 2013, n’a montré que peu de volonté pour améliorer les conditions de travail de ses citoyens10. Sans que l’Union européenne, bien sur, ne fasse quoi que ce soit pour exiger de ce pays un minimum d’effort en ce domaine, continuant à importer sans restriction des produits fabriqués dans des conditions de travail inhumaines et accélérant ainsi la destruction de ses emplois locaux, régis par des normes plus respectueuses du droit des gens.

Pis encore : non seulement non ne sanctionnons pas les employeurs esclavagistes, mais nous nous ingénions semble-t-il à compliquer la tâche des entrepreneurs créateurs d’emplois dans notre propre pays. Le handicap majeur que représente pour la France la complexité et l’instabilité du droit du travail et le niveau des charges sociales pesant sur les salaires est en effet souligné de longue date par toutes les études internationales. Par exemple, l’European Competitiveness Survey de l’Insead, enquête effectué chaque année auprès d’ancien élèves de l’école dans 27 pays européens, montrait que la France occupait en 2013 le dernier rang en Europe en matière de flexibilité du marché du travail11. Même constat dans le World Competitiveness report 2013 du World Economic Forum, qui classait notre pays au 71ème rang en matière d’efficacité du marché du travail. Cette réglementation du travail prolifique, complexité et instable est ressentie par les chefs d’entreprises comme un frein important à la création d’emploi. Alain Dehaze (Président, Adecco France) cite en matière quelques exemples édifiants : « 15 collectifs budgétaires en 5 ans, 140 mesures fiscales, 20% des articles du code fiscal modifiés chaque année, 40 000 pages d’instructions fiscales, 3305 pages dans le code du travail. »12

Le niveau élevé et croissant des charges sociales est également profondément dissuasif à la création d’emploi, Par exemple, selon l’étude 2016 de PWC réalisée pour la Banque mondiale, La France est aujourd’hui le pays européen ou le poids des charges sociales, rapporté au profit commercial, est le plus élevé : 53 ,5 %, contre par exemple 22 ,2 % en Allemagne13. Comme le souligne Jacques Guers (Président, Xerox Europe)14 : « Il faut avoir en tête que 1€ net dans la poche d’un collaborateur coûte 2€ à l’entreprise. Ce ratio de 1 à 2 est un crime contre l’emploi». De plus, le coût de sortie du travail, à l’occasion par exemple d’opérations de restructuration, est particulièrement élevé et imprévisible en France (3 ans de salaire contre 1 en moyenne en Europe). Ceci pénalise fortement la France dans les décisions d’implantation des grands groupes. « Le coût de sortie du travail est absolument primordial dans la prise de décision d’investissements de compagnies internationales.»

Pour faire simple : au lieu d’exiger des employeurs esclavagistes du tiers-monde qu’ils respectent un minimum de normes sociales pour avoir accès à notre marché, nous multiplions à l’envie les charges et les réglementations pénalisant l’emploi dans notre propre pays. Comment s’étonner alors que nos chefs d’entreprises industrielles, découragés par cette concurrence déséquilibrée, finissent par jeter l’éponge en délocalisant et en fermant leurs usines françaises, quand ils ne sont pas tout simplement mis en faillite ?

1 http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/dessous-chiffres/2015/10/28/29006-20151028ARTFIG00007-emplois-usines-la-vraie-situation-de-l-industrie-francaise.php

2 http://www.lemonde.fr/economie/article/2014/05/22/psa-va-delocaliser-la-production-de-la-c3-en-slovaquie_4424047_3234.html#I3O1c1m8TiBpeGVJ.99

3 http://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/021662452761-renault-arrive-en-chine-avec-une-strategie-anticrise-1196471.php?GTCJkzdIHqVU0tGB.99

4 http://automobile.challenges.fr/actu-auto/20150212.CHA2999/quand-renault-diminue-les-effectifs-malgre-les-annonces-d-embauches.html

5http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?reg_id=0&ref_id=if19&file=IF-Industrie-Manufacturiere.xml

6 http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2010/02/20/04016-20100220ARTFIG00193-l-industrie-francaise-a-perdu-36-de-ses-effectifs-en-30-ans-.php

7 http://www.les7duquebec.com/non-classe/gagnants-et-perdants-de-leuro-surevalue

8 http://m.lesechos.fr/redirect_article.php?id=0203761472452&fw=1

9 https://www.atlantico.fr/decryptage/protectionnisme-marche-interieur-chinois-averait-etre-grande-deception-entreprises-etrangeres-antoine-brunet-2272620.html/page/0/1

10 https://www.atlantico.fr/decryptage/2506916/rana-plaza-le-drame-au-bangladesh-qui-devait-tout-changer–la-verite-sur-la-ou-sont-vraiment-confectionnes-vos-vetements-aujourd-hui

11 https://www.insead.edu/faculty-research/centres

12 /fh-medias/2014/08/les-ef-20131.pdf

13 https://www.pwc.com/gx/en/paying-taxes-2016/paying-taxes-2016.pdf

14 /fh-medias/2014/08/les-ef-20131.pdf

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