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Souvenirs et Mémoires

Comment je fus gravement blessé à l’occasion des émeutes de Los Angeles en 1992…

Le 29 Avril 1992, éclatèrent dans les ghettos noirs de Los Angeles de terribles émeutes. Les manifestants entendaient ainsi protester contre l’acquittement de quatre policiers de la Simi Valley, accusés d’avoir, trois mois plus tôt, violement passé à tabac un conducteur noir coupable d’un simple délit de fuite, Rodney King. Les émeutes, qui allaient durer six jours, causèrent officiellement, outre l’incendie de 4000 bâtiments, 53 morts et 2345 blessés.

Mais je peux aujourd’hui témoigner que ces statistiques sont fausses, car il y eu au moins un 2346ème blessé.

Moi.

Je vais vous expliquer comment les choses se passèrent.

J’avais été sélectionné comme lauréat par une Fondation allemande, « The German Marshall Fund of the United States », pour participer à un voyage d’études de 2 mois aux Etats-Unis, destinés à de jeunes européens prometteurs, désignés sous le nom de « Young European Opinion leaders ». Ne me demandez pas pourquoi ils m’avaient choisi, cela fait près de trente ans que je me pose la question et je n’en sais toujours rien. Peut-être m’avaient-ils confondu avec quelqu’un d’autre, ou bien tiré mon nom au hasard dans le bottin.

Mais, bref, j’étais parti vers le 20 avril vers les Etats-Unis pour un tour complet du pays, incluant (dans l’ordre chronologique) des étapes à Boston, Washington, Colombia, Los Angeles, Seattle, Yellowstone Park, Pierre (capitale du Dakota du Sud) et New York.

Je me retrouvai donc, le 30 avril 1992 au matin dans le bâtiment du capitole de Washington, dans les bureaux du sénateur républicain Arlen Specter pour écouter un exposé de son chef de cabinet sur la manière dont était organisé le travail de son équipe. Comme souvent aux Etats-Unis, une télévision, accrochée sur un mur du bureau, était branchée en permanence, diffusant un fil d’actualité entrecoupé de pauses publicitaires.

Petit à petit, notre attention fut distraite de l’exposé par les très étranges images qui défilaient sur l’écran : on y voyait, le long d’une autoroute urbaine vue d’hélicoptère, un alignement de plusieurs dizaines de bâtiments en feu. La scène était entrecoupée par des images, passées en boucle, du très violent passage à tabac d’un conducteur de camion par une bande de voyous déchaînés.

A la fin de l’exposé, tout le monde se rua vers l’écran pour savoir ce qui se passait.

C’étaient les émeutes du « Rodney King Beating » qui venaient de commencer à Los Angeles.

Et notre « tour schedule » prévoyait, justement, que nous devions arriver dans cette ville huit jours plus tard.

Une sueur froide m’envahit aussitôt, pour ne plus me quitter pendant les 10 jours et les 10 nuits suivants.

Avant de poursuivre la narration de mon voyage jusqu’à ma terrible blessure de Los Angeles, je dois ici, pour la bonne compréhension des choses, faire un détour express ma psychologie personnelle, issue de mon vécu familial, et qui explique largement la suite des événements.

J’ai toujours été un garçon extrêmement courageux. Enfin, assez courageux. Enfin, pas très courageux.

Bon, la vérité, c’est que j’ai toujours été une poule mouillée.

Il faut dire que j’avais de sérieuses circonstances atténuantes.
On définit habituellement un juif comme une personne ayant une mère juive, c’est-à-dire adulatrice, dévoratrice, anxieuse, culpabilisante, hyper-protectrice, intrusive et castratrice. Il en résulte chez la victime (surtout si c’est un garçon), une série de névroses graves, caractérisées, entre autres, par une hypertrophie du moi, une immaturité irrécupérable, de fortes inhibitions dans son rapport aux femmes et un certain manque de courage physique. Woody Allen et Philippe Roth, entre autres porteurs de ces pathologies, ont largement décrit ces différents symptômes dans leurs oeuvres respectives.

Il suffit habituellement d’être doté d’une seule mère juive pour développer ces névroses. Mais mon cas personnel était plus grave, puisque j’étais en fait doté de pas moins de quatre mères juives. Et chacune s’était en quelque sorte spécialisée dans un aspect différent du rôle de mère juive.

Ma vraie mère, très anxieuse et protectrice, s’occupait de m’apprendre à avoir peur de tout et à me réfugier dans ses jupes chaque fois que quelque chose n’allait pas dans ma vie.

Ma tante, entichée d’activités artistiques, était convaincue que j’étais un génie en herbe, exprimait son admiration de manière hyperbolique et s’occupait de m’apprendre à être très vaniteux et imbu de moi-même.

Ma grand-mère, très bonne cuisinière, mais spécialisée dans les plats méditerranéens un peu caloriques, s‘occupait de me sur-alimenter, contribuant ainsi à une légère surcharge pondérale qui faisait d’ailleurs craindre à ma vrai mère (voir point n°1) que je ne développe plus tard un diabète ou une maladie cardio-vasculaire. Celle-ci décidait alors, dans une soudaine crise d’autorité, une phase de diète alimentaire qui me laissait affamé pendant 15 jours consécutifs.

La quatrième de mes mères juives était la plus improbable de toutes les mères juives ayant jamais existé. C’était une allemande, née en 1940 à Berlin de parents éditeurs, qui furent condamnés à la libération pour avoir édité Mein Kampf (je n’invente rien, je vous jure sur les têtes de mes mères). Par la suite, étant venue à Paris pour y exercer la profession de mannequin, elle fut séduite par mon brillant salaud de père qui quitta ma mère pour elle quand j’avais 2 ou 3 mois. Comme c’était une femme d’une grande droiture et d’une grande générosité, elle décida que toutes ces circonstances la rendaient redevable d’une dette à mon égard.

Je n’ai jamais très bien compris en quoi le fait d’avoir reçu plein de bombes russes sur la tête à Berlin à l’âge de 4 ans et demi à Berlin en 1945 la rendait coupable de quoi que ce soit vis-à-vis de moi, mais elle semblait considérer qu’il en était ainsi. Elle me dit d’ailleurs un jour, avec une amusante maladresse, qu’elle s’occupait de moi au titre (je cite) « de la réparation des dommages de guerre allemands ».

En fait de dommages de guerre, c’est plutôt l’acharnement affectif de mes quatre mères juives (dont une créée de toutes pièces par la barbarie nazie) qui allait en provoquer d’irréparables dans ma psyché et mon caractère.

Je vous explique par exemple comment se passaient mes maladies pendant ma première enfance, c’est-à-dire jusqu’à l’âge de 35 ans environ. Mes mères juives avaient décidé qu’au-delà de 37°4, une maladie potentiellement grave s’était déclarée, nécessitant un alitement immédiat avec soins intensifs. Elles se réunissaient alors en cellule de crise dans l’appartement : 3 ou 4 mères juives, plus la femme de ménage, plus, après 25 ans, ma vraie femme (car malgré toutes ces conditions hostiles j’avais tout de même réussi à en trouver une – ou plus exactement une jeune femme au nom russo-polonais imprononçable avait décidé que je pourrai peut-être un jour la transformer en mère juive). Elles me prodiguaient alors des soins constants, accourant au moindre gémissement de ma part, changeant mes draps deux fois par jour, me gavant de médicaments, me prodiguant toutes sortes de petites douceurs et vérifiant toutes les deux heures si ma température était retombée à 37°2 (attention, hein, en dessous de 37° c’était dangereux aussi, il y avait risque d’hypo-je-ne-sais-quoi) ou brutalement remontée à 37°6, auquel cas se posait la question de l’hospitalisation en urgence.

Inutile de vous dire que ces traitements avaient laissé chez moi de graves séquelles. J’étais en effet, à l’âge de trente ans passés, à peu près incapable de me livrer à la plupart des activités habituelles d’un homme adulte normal, c’est-à-dire n’ayant pas eu de mère juive. Je ne savais pas conduire une voiture, pas jouer au football, pas danser, pas draguer une fille dans une boite de nuit, j’avais peur de rester tout seul dans le noir, et je couinais comme un porcelet qu’on égorge quand on me faisait une piqure. Certes, j’avais commencé la boxe française, mais j’avais ensuite arrêté rapidement quand j’avais réalisé que c’était un sport de combat où je risquais de prendre un mauvais coup.

La seule chose que je savais à peu près faire dans la vie, c’était décrocher des diplômes et écrire des livres. C’est peut-être pour cela, au fond, que j’avais été identifié comme un « Young European Opinion Leader ».

Et c’est donc cet homononcule qui se trouvait brutalement confronté, le 30 avril 1992, à la perspective d’avoir à affronter, de manière imminente, les gangs noirs déchaînés de South Central, Watts, ou Compton. Et ce, sans la protection de son bataillon de mères juives, dont il était inopportunément séparé par un océan et un continent.

Dans les jours suivants, ma principale préoccupation consista donc à essayer de trouver n’importe quel prétexte pour éviter l’étape de Los Angeles, d’autant que les images provenant de là-bas devenaient chaque jour un peu plus terrifiantes : incendies, lynchages, pillages, agressions de toutes sortes, gens armés circulant dans les rues… Des reportages que l’art consommé des médias américains pour la mise en scène de la violence rendait encore plus effrayants.

Le problème, c’est que je ne pouvais pas dire la vérité – c’est-à-dire que j’avais très très peur – puisque j’étais justement censé être une personne hors du commun, en l‘occurrence un « Young European Opinion Leader », sélectionné sur le volet sur la base de ses exceptionnelles qualités humaines. Il fallait donc trouver un prétexte honorable. J’ai ainsi successivement suggéré la nécessité de rester quelques jours de plus à Colombia pour achever un reportage sur les églises baptistes de Caroline du sud, un intérêt soudain pour la question de l’intégration des immigrants mexicains à San Diego, ou un rendez-vous impromptu avec des dirigeants de Start-up dans la Silicon Valley près de San Francisco. Mais rien n’y fit, et je débarquai, tremblant de peur, à l’aéroport de Los Angeles le soir du 8 mai 1992.

En fait, la ville n’avais jamais été aussi calme. Les émeutiers étaient rentrés se reposer chez eux, dans leurs familles traumatisées par les dommages qu’ils avaient infligés à leur propre quartier. La garde nationale, équipée de véhicules blindés et d’armes lourdes, patrouillait dans toutes les rues de la ville. Pendant le mois qui suivit l’émeute, c’est-à-dire pendant la période correspondant à mon séjour dans la ville, le taux de criminalité et d’homicides plongea à son plus bas niveau depuis 1950. Et de toutes façons, j’étais logé à Beverly Hills, c’est-à-dire dans un quartier ultra-chic où pas un émeutier n’avait mis les pieds, puisqu’ils avaient essentiellement incendié leurs propres ghettos.

Mais j’étais quand même terrifié. Et j’avais raison, puisque finalement je fus blessé moi aussi.

Voici la façon dont les choses se passèrent. Après être rentré un soir dans mon hôtel, je me dirigeai vers la porte de ma chambre, donnant sur un patio avec piscine. Au moment de tourner la clé de ma porte, je crus entendre derrière moi des pas se rapprocher dans l’ombre. J’imaginais alors avec terreur qu’un grand émeutier sanguinaire, les yeux injectés de sang et sous l’emprise du crack, allait m’agresser à coup de battes de base-ball, me laissant à moitié mort et paraplégique à vie, à moins qu’il ne m’achève d’une balle dans la tête. Je me pressai donc de tourner la serrure, de rentrer dans ma chambre, et de claquer la porte le plus vite et le plus fortement possible… en oubliant au passage d’enlever mon pouce de l’embrasure. Douleur atroce, giclement de sang… J’évitai de peu la fracture, mais pas la perte de mon ongle, complètement explosé par le choc.

En fait, j’avais été victime de mon imagination (ou plutôt de celle de mes mères juives), et personne n’avait voulu m’agresser.

Mais je peux quand même dire, sans mentir, que j’ai été blessé à l’occasion des émeutes de Los Angeles.

Mon meilleur côté (celui de l’intello agile d‘esprit) reprenant le dessus, j’en profitai pour écrire un long texte analysant les causes de ces émeutes et leur rôle en tant que révélateur de la crise urbaine que traversaient alors les Etats-Unis.

Bien que datant de 1992, ce texte publié à mon retour de voyage dans la revue Futuribles n’a pas trop vieilli (de toutes manières, c’est aussi un témoignage historique).

Vous pouvez le lire en cliquant sur le lien suivant : lien 

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