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Reflets du cinéma latino-américain

Susana Baca : Memoria viva

Marc Dixon, Belgique, 2003, documentaire musical, 52 minutes

ImageCe documentaire nous entraîne à la rencontre de la grande chanteuse péruvienne Susana Baca. Il nous offre portait attachant d’une femme pleine de sensibilité, de talent, mais aussi de convictions. Et en particulier d’une volonté farouche de lutter pour la reconnaissance de la culture populaire afro-péruvienne. Un genre où l‘on retrouve à la fois, entremêlés en une synthèse originale, des similitudes avec les polyrythmies afro-cubaines et des échos de la douceur mélodique de la bossa nova brésillienne. Elle en évoque pour nous les origines tout en parcourant différents lieux de mémoire et de transmission : les vignes et les plantations où travaillaient les esclaves, les quartiers populaires de Lima où l’on peut encore entendre les échos de ce genre musical, la ville portuaire de son enfance….

J’avais été ébloui par un précédent documentaire de la télévision espagnole « Musica afroperuana : tras la larga noche » où Susana Baca nous guidait avec talent et émotion dans la découverte de cette musique Afro-péruvienne. Je me suis donc précipité pour voir le documentaire de Marc Dixon, « Memoria Viva ». Un film assez réussi qui cependant laisse un peu de côté l’analyse musicologique pour se focaliser sur la personnalité de Susana Baca.

Le problème avec celle-ci, c’est qu’elle est un peu comme le miel. La première fois, c’est si doux et onctueux qu’on a envie d’en reprendre tout de suite. Mais à la cinquième cuillérée, on commence à être un peu écoeuré. Il est à peu impossible d’être en désaccord avec cette grande artiste dont le discours pourrait servir de bréviaire « politiquement correct » à la gauche alternative latino-américaine modérée. Elle est contre toutes les violences, celle du terrorisme comme celle de l’anti-terrorisme. Elle défend les droits et la culture de tous les pauvres et de tous les opprimés – afro-américains, indiens, femmes, paysans – mais sans désigner aucun coupable à notre vindicte et en soulignant la richesse du métissage avec la culture espagnole dominante. Elle est amie avec tout le monde : avec les Noirs et avec les Blancs, avec les artistes de jazz américains et avec sa femme de ménage, avec les pêcheurs mais aussi avec les oiseaux et les poissons de son port natal. Dotée de glandes lacrymales à la capacité impressionnante, elle semble prête à pleurer à n’importe quelle occasion : l’écoute d’une belle chanson, la rencontre d’un vieil ami, l’évocation des horreurs de l’esclavage, le souvenir de l’attentat des Twin Towers, les bombardements d’Afghanistan…

Au bout d’un moment, tant d’humanité, de « political correctness » et de gentillesse deviennent, à vrai dire, un peu lassants, et l’on est saisi d’une furieuse envie de se plonger dans un répertoire un peu plus âpre et « clivant », susceptible de provoquer la colère, l’antipathie, la controverse : Ferdinand Céline, Yiuko Mishima, Jacques Vergès, Veit Harlan, bref un « salaud de talent » que l’on puisse un petit peu haïr tout en l’admirant.

Mais arrêtons ces critiques malveillantes. Suzana Baca est grand poétesse, une chanteuse au répertoire émouvant que l’on écoute avec plaisir. Elle nous a fait l‘insigne honneur de venir assister à la projection du film de Marc Dixon, le 23 novembre dernier, à l’occasion de son passage à Genève pour un concert exceptionnel (elle était d’ailleurs très émue de revoir ce film, et a essuyé quelques larmes supplémentaires après la séance).

Au cas où vous ne connaîtriez pas encore cette grande artiste, je vous conseille cependant de regarder en priorité le documentaire « Tras la Larga noche », plus complet et riche musicalement, plutôt que « Memoria viva », un peu trop intimiste, complaisant et hagiographique à mon goût.

Fabrice Hatem

 

Vu au 15ème festival Filmar en America Latina, Genève, Novembre 2013

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