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Reflets du cinéma latino-américain

No habra revolucion sin cancion

Mélanie Brun, Chili, 2012, documentaire, 88 minutes

ImageEntre l’arrivée au pouvoir de Salvador Allende et la chute d’Augusto Pinochet, les chanteurs progressistes chiliens ont joué un rôle important, du fait de leur forte audience populaire, dans les évènements politiques qui ont affecté leur pays. A travers des interviews des principaux protagonistes – Isabel Parra, musiciens des orchestres Inti Illimani ou Los Quilapayuns…-  illustrés par de très nombreuses images d’archives, le documentaire « No habra revolucion sin cancion » fait revivre le rôle et les grands moments de cette « Nueva cancion » chilienne entre 1970 et 2000 : l’espoir qui précéde et accompagne l’élection de Salvador Allende, la participation à une lutte politique de plus en plus âpre pendant le gouvernement d’unité populaire, le déracinement de l’exil après le coup d’Etat militare, la lutte pour le retour à la démocratie…

Sur le plan historique, le film constitue un témoignage de très grande valeur. L’instrumentation de la « Nueva cancion » à des fins de propagande par les partis marxistes (essentiellement le parti communiste) est mise en évidence de manière très claire. Les témoignages des témoins de l’assassinat de Victor Jarra dans le stade de Santiago sont particulièrement bouleversants. La difficulté pour les musiciens de la « Nueva cancion » de retrouver après la chute de Pinochet une inspiration dans un Chili libéré des militaires, mais où désormais l’utopie n’a plus sa place et où de nouveaux courant musicaux comme le Rap expriment avec âpreté le désarroi de la jeunesse, est mise en lumière avec beaucoup de sensibilité.

Ce film invite également à une réflexion sur le rôle de l’artiste engagé en faveur d’utopies politiques au caractère potentiellement totalitaire. Certes, la cause paraît juste, Salvador Allende est un orateur inspiré, son aspiration à une monde meilleur séduit, les foules de gauche qui assistent aux concerts de « Nueva cancion » débordent d’un enthousiasme et d’une juvénilité sympathiques. A l’inverse, Pinochet, avec son casque à l’allemande, ses lunettes aux verres teintés et sa cape à la Dark Vador, paraît taillé sur mesure pour incarner le rôle du méchant. Mais le Chili serait-il aujourd’hui dans une meilleure situation si une dictature marxiste, plus ou moins comparable à celle qui oppresse aujourd’hui Cuba, y avait alors pris le pouvoir, avec le concours de tous ces sympathiques artistes progressistes ? Et ceux-ci auraient-ils alors accepté de chanter les louages de la dictature de gauche, comme ils avaient accepté de vanter, sur ordres du parti communiste, les bienfaits des réformes sociales et économiques engagées par Allende ? Seraient-ils finallement devenus, comme aujourd’hui Silvio Rodriguez à Cuba, les portes-paroles stipendiés d’une propagande anti-impérialiste institutionnalisée ?

Le film déçoit par ailleurs sur le plan musical. En se focalisant sur le rôle de propagande confié à la « Nueva cancion » par les partis de gauche, Il ne nous livre en effet que la partie la moins intéressante musicalement (souvent des quasi-marches militaires), la plus pauvre dans son propos poétique (vanter les mérites d’une réforme agraire ou d’un programme de nationalisation des mines), d’un répertoire par ailleurs d’une immense richesse. J’ai été particulièrement frusté de n’entendre que quelques mesures des merveilleuses chansons de Victor Jarra ou Violetta Parra, évoquant, sur d’évoûtants rythmes traditionnels, la beauté des paysages  chiliens et la vie simple de leurs habitants. Au lieu de cela, nous avons droit pendant dix minutes aux flons-flons grossiers et aux paroles ineptes – ou plus exactement d’une sournoise logique totalitaire – de « El pueblo unido jamas sara vencido ». Malgré ces réserves, le film, monté de manière vivante, originale, et appuyé sur un impressionnant corpus d’archives et d’entretiens, présente un réel intérêt pour les amateurs d’histoire contemporaine.

Fabrice Hatem

Vu au 15ème festial Filmar en America Latina, Genève, Novembre 2013

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