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Carnet de Voyage 2011 à Cuba

Cuentos de los orichas – Contes des orishas

cuentossite Samedi 11 juin 2011

 

L’écrivain et essayiste cubain Miguel Sabater a vécu ses premières années à La Havane, dans le quartier populaire de Regla, où les legendes afro-cubaines se transmettent encore aujourd’hui a travers une tradition orale tres vivante. Ses rêves d’enfance – qui parfois pouvaient devenir de terrifiants cauchemars – étaient bercés par les légendes des Orishas, que lui racontaient les vieux voisins de sa famille. Plusieurs années plus tard, il décida de publier les plus beaux de ces contes, sous la forme d’un petit ouvrage composés de 12 légendes : Cuentos de los Orichas.

Nous y voyons vivre ces divinités afro-cubaines dont le caractère et la manière d’être reflètent, y compris dans leurs faiblesses très humaines, celle des hommes et des femmes très modestes dont ils emplissent l’imaginaire. Oggun, dieu des forges, est travailleur et intelligent, mais brutal et vindicatif. Chango, Dieu des tambours et de la danse, est un grand séducteur, mais est aussi coléreux, infidèle et un peu gigolo. Ochun, déesse de l’amour, possède l’art d’enjôler les hommes mais a elle-même beaucoup de mal à résister à la vue d’un garçon fort et bien membré. Babalu Aye a un peu trop tendance à fréquenter les femmes de mauvaise vie, qui finissent par lui donner la syphilis. Yemaya, pourtant le modèle même de la femme responsable et de la mère dévouée, perd la tête pour Chango, et est prête à tout pour le conserver près d’elle. Je ne résiste pas au plaisir de vous raconter ce dernier conte.

Yemaya vit un jour arriver chez elle un jeune garçon orphelin du nom de Chango, affamé et épuisé. Elle l’accueillit, le fit dormir dans le lit de ses enfants et le nourrit. Malgré le mauvais caractère de Chango, elle commença à l’aimer, d’abord comme une mère. Elle l’adopta, à la grande colère d’Oggun, fils légitime de Yemaya, qui conçut depuis ce jour une terrible jalousie contre Chango. Mais celui-ci était bagarreur et partit faire la guerre, où il fut blessé. Craignant pour la vie de son fils adoptif, Yemaya le supplia d’arrêter de se battre. Mais Chango lui dit qu’il ne cesserait de se battre que s’il pouvait devenir le maître les tambours sacrés, comme le dieu du destin Elegba le lui avait promis dans un songe.

Prête à tout pour conserver près d’elle Chango, qu’elle aimait maintenant autrement qu’une mère, Yemaya inventa un stratagème. Elle alla voir Oko, maître des récoltes et des troupeaux, auquel Obatala, le père de tous les Orishas, avait confié le secret de la culture du ñame, la nourriture sacrée des Dieux. Elle fit en sorte de séduire cet être très droit, mais peu au fait des choses de l’amour, en l’emmenant visiter le monde magique de l’océan, dont elle est la déesse. Amoureux fou de Yemaya, Oko lui confia son secret. Elle commença alors elle-même à cultiver le ñame en cachette et empoisonna les semences d’Oko. Bientôt, celui-ci s’aperçu qu’il n’arrivait plus à faire pousser le ñame et courut, affolé, prévenir Obalata.

Catastrophe ! Les Orishas se réunirent, inquiets à l’idée qu’ils allaient peut-être mourir de faim. Ils menacèrent Obatala, que le Dieu suprême Olofi avait personnellement chargé de cultiver leñame, d’aller voir ce dernier pour se plaindre de son incompétence. Mais Yemaya alla voir Obatala en cachette et lui dit qu’elle pouvait livrer de grandes quantités de ñame aux Orishas, à condition qu’Obatala lui donne les tambours sacrés. Affolé à l’idée d’avoir à affronter la colère d’Olofin et d’être obligé de lui avouer qu’il avait confié le secret de la culture du ñame à Oko, Obatala accepta le marché et donna les tambours à Yemaya, qui les rapporta triomphalement à Chango.

Quelle belle galerie de caractères, si justement humains dans leur complexité, nous propose ce conte : un enfant des rues très beau mais un peu instable ; une mère qui tombe amoureuse de son fils adoptif, provoquant la colère de son fils légitime ; un dirigeant écrasé de responsabilités qui confie discretement une partie de son travail à un autre ; une femme mure pourtant jusque la très honorable, mais prête à tout, y compris à voler ou à tromper, pour conserver près d’elle le jeune garçon qu’elle aime ; un pauvre paysan un peu benêt manipulé par une femme amoureuse d’un autre…. Personne n’est vraiment mauvais ni vraiment parfait dans cette histoire. Tous ces Dieux sont merveilleusement, chaotiquement humains. C’est pour cela que je les aime, surtout lorsque je vois danser leurs légendes au son des tambours sacrés.

Fabrice Hatem

Miguel Sabatier, Cuentos de los orichas, 61 pages, Ediciones extramuros, 1997 , 61 pages, Ediciones extramuros, 1997

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