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Carnet de Voyage 2011 à Cuba

Un lieu trop méconnu des touristes : la Casa de las Americas de La Havane

Jeudi 9 juin 2011

Ce sentiment merveilleux m’avait déjà frappé lors de précédents voyages : Cuba est un lieu où le talent artistique surgit, comme par magie, des lieux les plus banals, voire les plus apparemment déshérités.

casamaison J’ai vécu une nouvelle expérience de ce type ce mercredi matin. En me rendant à pied à la Casa de las Americas, sujet de mon reportage d’aujourd’hui, j’ai entendu, à côté de l’imposant hôtel Presidente, une magnifique musique de Son « moderne », sortant d’une grande fenêtre, au rez-de-chaussée d’une villa bleue d’allure modeste, aux volets à demi-clos. La qualité de l’interprétation ne m’a pas laissé douter une seconde qu’il s’agissait du CD d’un orchestre internationalement connu. Adalberto Alvarez ? Elito Revé ? En tout cas, les habitants disposaient, m’étonnais-je, de hauts-parleurs de vraiment bonne qualité, car pas un grésillement ne venait troubler l’écoute de cette belle musique poussée à plein volume.

En m’approchant par curiosité de la fenêtre, je m’aperçus avec stupéfaction qu’il s’agissait en fait d’un véritable orchestre, qui produisait sans aucun amplificateur cette musique majestueuse : peut-être un simple groupe de voisins qui répétaient ensemble, pour le plaisir. Je n’aurais pas dû en rester bouche bée, car j’ai déjà vécu à Cuba de nombreuses expériences similaires. Et cependant, mon cœur, une nouvelle fois, s’est mis à battre très fort pour ce pays où chaque pierre semble cacher un danseur ou un musicien de talent (ici, même tout un orchestre..).

casaext Mais j’en viens à mon sujet du jour. La Casas de las Americas est un projet culturel original remontant aux premiers jours de la révolution cubaine. Il s’agissait, en gros de créer un lieu d’échange où toutes les formes d’expression artistique du nouveau-monde – en fait surtout des Caraïbes et d’Amérique latine – pourraient converger pour mieux se connaître et s’associer en de nouvelles expériences. Autrement dit, « d’unir politiquement et culturellement les peuples d’Amérique latine ». Le projet conçu par Haydée Santa Maria, une des compagnes de la première heure de Fidel et du Che, fut inauguré en juillet 1959, quelques mois seulement après le triomphe de la révolution castriste, dans un bâtiment en ciment situé au bord du Malecon. Celui-ci, tenant à la fois du silo à blé et d’une église d’architecture moderniste, avait auparavant, m’a-t-on dit, abrité des locaux universitaires et une association d’écrivains. Il s’agit du premier des grands centres culturels créés par la Révolution, un peu avant l’ICAIC (Institut du cinéma), l’UNEAC (Union des écrivains) ou le CFN (Conjunto Folklorico Nacional).

L’objet de cet article n’est pas de discuter de la part de la culture et de la politique dans les motivations de ce projet. Mon objet, c’est de dire, simplement, ce que j’ai vu et ressenti à l’occasion d’une visite courte et forcement un peu superficielle.

A mon arrivée dans le grand hall d’entrée – où se trouve également une minuscule mais très intéressante librairie riche en ouvrages de qualité sur la musique et la littérature latino-américaine et cubaine – je fus pris en charge par une charmante vieille dame toute mince et très distinguée, qui se révéla plus tard être la gardienne de la galerie d’exposition. Mon statut d’unique visiteur me permis de bénéficier, comme cela avait été le cas à lors de mon dernier voyage à Cuba à l’occasion de ma visite au musée-temple des Orishas, d’un long cours particulier sur l’histoire et les activités du lieu.

cqsqexp Au premier étage, une très belle salle d’exposition, la galerie latino-américaine, impeccablement tenue, où étaient accrochées 47 gravures d’un vieux et célèbre peintre mexicain, Manuel Felguerez.

Au second étage, une autre exposition, constituée d’œuvres de jeunes artistes de très nombreux pays du monde, consacrées au thème de la Liberté – un sujet, comme vous le savez, important à Cuba, et pas seulement dans les expositions des institutions officielles. Dans plusieurs grandes salles-bureaux, se trouvent également installés à cet étage les équipes des différents départements de la Casa : arts plastiques, musicologie, littérature, etc.

castrov En montant par un ascenseur dont les parois ont été originalement décoré par de jeunes étudiants en arts, on rentre, au troisième étage, dans le sanctus Sanctuorum de la Casa : la salle Che Guevara, un imposant auditorium décoré par deux très beaux tableaux des peintres Roberto Matta (Chili) et Raul Martinez (Cuba). Au fond, derrière l’estrade, une très belle sculpture multicolore de six mètres de haut, L’arbre de la liberté, œuvre du sculpteur mexicain Alfonso Soteno et don du gouvernement mexicain, qui a apparemment beaucoup aidé la Casa de las Americas depuis sa création, alors qu’elle fut longtemps ostracisée par les régimes conservateurs d’Amérique latine. Cette salle a un rapport important et direct avec l’histoire de la musique cubaine. C’est là, en effet, que s’est tenu en 1967 le fameux « Congresso de juventud – festival de la cancion protesta d’Amérique latine », dont allait bientôt naître, sous l’impulsion de jeunes chanteurs-compositeurs comme Silvio Rodriguez et Pablo Milanès, le mouvement dit de la NuevaTrova Cubaine.

Expositions, concerts, conférences, publications : les activités culturelles de la Casa sont assez diverses. Par exemple, cette année 2011 est marquée par une série de manifestations consacrées au thème des afro-descendants et de leur contribution à la culture populaire cubaine. De nombreux concours sont également organisés chaque année pour l’attribution de prix assez prestigieux à de jeunes peintres, musiciens, écrivains ou encore à des chercheurs dans des domaines liés à la culture. La Casa organise également des programmes de formation destinés à des étudiants étrangers (notamment nord-américains), sur la culture cubaine et latino-américaine, ce qui répond au double objectif de mieux faire connaître et aimer Cuba chez le grand voisin et de récolter quelques précieuses devises étrangères.

casbiblo Sans être lui-même un lieu de recherches stricto sensu, la Casa joue le rôle d’une caisse de résonnance et d’un lieu de convergence où les chercheurs cubains en musicologie ou arts plastique peuvent trouver audience et reconnaissance pour leurs travaux. Elle publie une revue bimestrielle, Casa de las Americas, où l’on trouve des ouvrages de vulgarisation d’excellente facture académique. Elle abrite également une bibliothèque fréquentée par les jeunes étudiants en arts et littérature de la Havane.

Le lieu est extrêmement propre, bien tenu. Les œuvres sont très agréablement présentées dans des salles impeccables. Le personnel a l’air compétent, dévoué et enthousiaste. Le fonds d’œuvres graphique – 16600 tableaux et gravures – constitue un témoignage inestimable sur l’art latino-américain contemporain. Les prix octroyés par la Casasont réputés. La revue est excellente et pas chère. La visite est gratuite et extrêmement instructive (je suggère cependant de faire un petit don, ils le méritent et ils en ont besoin). Les conférences, animées par des personnalités éminentes, sont passionnantes,et la Casa a tenu à plusieurs reprises un rôle important dans l’histoire de la culture cubaine et latino-contemporaine contemporaine. De plus, ce projet, internationaliste dans son concept de base, n’a aucun équivalent dans le reste de l’Amérique latine. Mais…

Mais la grande galerie d’exposition, détruite il y a 5 ans par un cyclone, n’a pas été rouverte depuis lors faute de moyens. Mais plusieurs courtes coupures d’électricité se sont produites lors de mon passage. Mais j’étais, au moment de ma venue, pratiquement le seul visiteur de la Casa. Bref, j’ai fugitivement perçu un petit côté « belle au bois dormant intello », qui contrastait étrangement, avec justement, l’incroyable vitalité de « l’art des rues » dans les environs : orchestre de Son dans des maisons particulières, groupe de capoeira sur le gazon de l’avenue des présidents, concerts le soir dans les cafés du Vedado, jeunes dansant (très bien) la rumba avec leurs tambours dans le jardin la maison voisine de la mienne. Il est vrai que le caractère un peu « élitaire » et «engagé » de la démarche de la Casa de las Americas draine plus spontanément un milieu d’érudits, de chercheurs, et d’écrivains « progressistes » que de jeunes danseurs des rues…

En résumé : lors de votre prochain voyage à Cuba, prenez deux heures pour y aller, Cela vaut vraiment la peine, surtout si vous êtes un peu « intello de gauche ». d’autant que l’endroit est vraiment agreable, au bord du Malecon.

Fabrice Hatem

Casa de las Americas 3ra y G
El Vedado , La Habana, 10400, Cuba
Tél : (537) 838 27 06 al 09 – (537) 836 76 01
Site web : www.casadelasamericas.org (lien rompu pour l’instant)

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