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La dernière pensée d’un grenadier à pied

(Suite de « La cavalerie impériale meurt à Waterloo »)

pens3 Le maréchal Ney dirige notre attaque. C’est bon signe. Il est comme invulnérable aujourd’hui, Il vient d’avoir son cinquième cheval tué sous lui. Avec lui, on ne peut pas perdre une bataille.

pens10 Je me souviens du jour où il s’est rallié à Napoléon, sur la route de Grenoble.

Nous n’étions qu’une petite troupe autour de l’Empereur. Nous arrivions en bas de la pente. Lui tenait la côte, avec un régiment de ligne et des escadrons de cavalerie. On le reconnaissait à son panache blanc de Maréchal, allant et venant à cheval, au milieu de ses soldats.

pens1 Nous avancions vers eux, en ligne. Ils nous attendaient, immobiles, l’arme au pied. On sentait qu’il aurait suffi de peu de choses pour qu’éclate un combat fratricide. Mais je n’oublierai jamais la scène qui a suivi.

Tout à coup, l’Empereur nous arrête d’un geste, nous fait baisser les armes et se porte devant le premier rang des nôtres. Le voyant avancer ainsi à découvert, les soldats d’en face le mettent en joue. Lui se campe devant eux, à 30 pas, et leur dit : « Soldats, je suis Votre Empereur ; vous me reconnaissez, n’est-ce pas ? Vous étiez avec moi à Austerlitz et à Wagram !! Si vous voulez tirer pour me tuer, vous pouvez le faire maintenant !! ».

pens11 Les soldats hésitent ; un commandement claque : « Feu !! ». Personne ne tire. Un soldat s’évanouit et s’écroule. Tout d’un coup, un cri jaillit : « Vive l’Empereur !! ». Les soldats baissent leurs armes, se précipitent vers lui, Le portent en triomphe. Nous nous jetons dans les bras de nos frères d’armes. Tout le monde s’embrasse dans l’allégresse générale.

pens9 Ney s’avance alors à cheval vers l’Empereur, se penche vers lui et lui remet son épée, poignée tournée vers lui, comme pour se constituer prisonnier. Napoléon prend l’épée, la regarde, puis la lui rend. Ney la reprend et la remet au fourreau. C’est ainsi que s’est passé son ralliement.

pens4 Pour moi, je n’avais jamais abandonné l’Empereur. Depuis mon entrée dans la Garde Consulaire en 1802, j’avais été de presque toutes les batailles. Pour, lui, j’ai combattu les Autrichiens, les Prussiens, les Russes, les Espagnols. J’ai parcouru l’Europe en tous sens, de Boulogne à Vienne, de Vienne à Berlin, de Berlin à Madrid. J’ai vu la Russie, la Pologne, l’Italie, l’Île d’Elbe, et maintenant la Belgique. J’ai pris et défendu des redoutes, escorté et attaqué des convois, gardé des palais et des Etats-Majors, affronté les lances des Uhlans et la mitraille des canons ennemis. A Bautzen, j’ai même pris un drapeau aux prussiens. J’ai été nommé caporal à Austerlitz, sergent à Wagram, adjudant à Bautzen. Napoléon m’a donné de ses mains la croix à Brienne. Si j’avais su lire, j’aurai pu être nommé officier. Mais l’important, pour moi, c’était de servir l’Empereur, de Le voir, de L’entendre. Pour nous, les grenadiers de sa Garde, c’était un surhomme, presque un Dieu.

pens13 Mais c’est qu’elle est bien boueuse, cette pente !!! Et puis, à travers la fumée, on n’y voit pas à vingt pas !!! Bon sang, voilà que leurs canons nous arrosent de mitraille. Les copains du 3emeet du 4ème grenadier tombent de tous côtés. Alors, d’un bon, nous fonçons sur les servants, que nous égorgeons proprement. Aux Foot Guards maintenant ! Ca y est, nous sommes sur eux, nous les perçons de nos baïonnettes, ils plient sous notre poussée, ils s’enfuient en déroute !!

pens8 Mais voila qu’ils contre-attaquent avec des troupes fraîches !! Il y en bien plusieurs milliers, qui se précipitent sur nous en hurlant !!! On est bien obligés de céder du terrain, pied à pied. Bientôt on se retrouve au bas de la pente. Et les autres colonnes, comme nous, on dû refluer aussi. A travers la fumée, on voit les anglais descendre par milliers les pentes du Mont-Saint Jean pour se ruer sur nos lignes. Bon sang, mais on ne va tout de même pas la perdre, cette bataille, si près de la victoire…

pens2 Voila maintenant qu’on bat la grenadière : nous devons aller rejoindre l’un des carrés qui se sont formés, sur la chaussée, entre Belle-Alliance et la Haie-Sainte. C’est celui du 2ème grenadier, je crois. Nous sommes tous regroupés là, protégeant l’Empereur qui s’est réfugié parmi nous au milieu de la débâcle. Car, depuis une demi-heure, l’armée toute entière semble s’être décomposée.

pens6 Il n’y a que quelques carrés de la Garde qui contiennent encore l’ennemi. La cavalerie, l’artillerie, l’infanterie anglaise nous assaillent de tous côtés. C’est un vrai déluge de mort, mais nous tenons bon. Nous reculons pas à pas, tandis que nos rangs de dégarnissent. Le carré est devenu un triangle. Ca y est, je suis touché. Je tombe. Je vois le ciel, la fumée, les jambes de mes camarades. Une lumière chaude et blanche m’entoure. Je m’élève vers le ciel, je survole le champ de bataille, l’Empereur, Wellington. D’autres camarades, des anglais, des prussiens m’accompagnent. Tout est paisible maintenant. La lumière nous attire vers elle, nous réchauffe, nous réconforte. Ma mère se penche près de moi en souriant. Elle est jeune et belle, avec ses boucles dorées. Dans le champ, un poulain joue avec mon frère. La cloche de l’église sonne les vêpres. Que la vie est belle !!!

Source principales : Film « Waterloo », de Sergueï Bondartchouk ; revue "Napoléon 1er", hors série Waterloo, n°7, juin 2007, pages 60 à 64.

 

 

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