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Danse et danseurs

Spectacles de tango dansé : petit parcours initiatique

salida51 Editeur : La Salida n°51, Décembre 2006

Auteur : Fabrice Hatem

Titre : spectacles de tango dansé : petit parcours initiatique

Démonstrations de bal, shows destinés au grand public, improvisations de rue, recherches chorégraphiques, opéras, concerts, pièces de théâtre : la « mise en spectacle » du tango dansé a revêtu au cours des 20 dernières années des formes très diverses et en constant renouvellement. Nous vous proposons d’explorer cet univers à travers deux angles d’approche, inévitablement réducteurs : les ambitions plus ou moins affirmées de la mise en scène et la place plus ou moins centrale du tango dans le spectacle.

Des démonstrations de bal au théâtre de tango

Concerts, stages et festivals

Pas de scénario, pas de mise en scène, pas de dialogue. La danse de couple montrée sans apprêts, pour le simple plaisir des yeux, à l’occasion d’une (ou de plusieurs) démonstration(s) de trois minutes. Cette forme « minimale » de spectacle apparaît par exemple lorsqu’un couple de danseurs est invité à se produire sur scène à l’occasion d’un concert, comme ce fut le cas en mars dernier lors des représentations de Tango Orquesta au théâtre Mogador de Paris[1], ou encore de celles Vale Tango au Théâtre de Chaillot en juin[2]. On la retrouve également, dans un esprit très différent, à l’occasion des galas de clôture de grands stages-festivals, comme la CITA (Congrès international de tango Argentin) de Buenos Aires. On y voit alors s’y succéder sur scène 10 à 12 couples de danseurs, dont les démonstrations, souvent magnifiques, ne sont cependant reliées entre elles ni par une trame scénaristique ni par une esthétique commune. Quant aux spectacles organisés en France par Alain de Caro, comme Fascinación de tango, ils constituent déjà un trait d’union avec la catégorie des grands « shows ».

Grands « shows » internationaux

Troupes importantes, budgets considérables, scènes de premier plan, fort impact médiatique : les grands spectacles internationaux ont joué, qu’on le veuille ou non, un rôle fondamental dans le retour en grâce de la culture tango auprès du grand public au cours des 20 dernières années. Leurs caractéristiques communes ? D’importants moyens techniques (décor, costumes, lumières) ; des chorégraphies donnant la priorité à la virtuosité et au spectaculaire ; un scénario construit comme une succession de « tableaux » historiographiques faisant référence aux lieux, personnages et situations archétypaux du genre. Avec bien sur, des nuances selon les cas. Tango argentino, créé en 1983, par Carlos Segovia et Héctor Orrezoli à l’occasion du festival d’automne de Paris, et dont la troupe associait d’authentiques milongueros comme Virulazo avec des danseurs professionnels venus du folklore et de la danse contemporaine (Pablo Verón , Juan Carlos Copes…) eut le mérite de relancer l’intérêt du public mondial pour un genre alors passé de mode. La troupe de Tango Pasión, dont beaucoup de danseurs étaient originellement issus du folklore, renvoie depuis maintenant plus de 15 ans au spectateur l’image attendue d’un tango sensuel, tragico-acrobatique et mal famé. Enfin, Forever tango, crée en 1997 à Broadway par Luis Bravo, associe une troupe composée d’excellents danseurs de la jeune génération argentine à des musiciens issus de la grande tradition Pugliesienne comme Lisandro Adrover, dans un « show » d’un formidable professionnalisme.

Des spectacles à l’esthétique renouvelée

Le succès des grands « shows fondateurs », l’enthousiasme croissant du public, l’apparition d’une nouvelle génération d’artistes de talents ont ouvert la voie, au cours des 10 dernières à la multiplication à travers le monde des spectacles de tango dansé de tous formats – du plus monumental au plus intime. Avec, souvent, une volonté de proposer des œuvres à l’esthétique originale, en rupture avec l’image stéréotypée du tango véhiculée par certains grands « shows ». La troupe Tango por dos, fondée par Milena Plebs et Miguel Angel Zotto en 1988, s’est ainsi attachée à restituer sur scène la saveur d’un tango « authentique » dans la diversité de ses expressions – du tango-milonga au tango de salon en passant par des références cinématographiques – tout en enrichissant l’écriture chorégraphique par l’inclusion d’éléments novateurs (solos, trios, mime et expression corporelle). Claudio Hofmann et Pilar Alvarez, dans Tango Metropolis, nous offrent un voyage dans la mémoire collective de Buenos Aires qui nous permet de voir évoluer les formes de la danse au rythme des transformations urbaines et fournit le prétexte de tableaux originaux (la milonga des téléphones portables, le tango des marteaux-piqueurs, la danse de la course de chevaux…).

Parmi les autres oeuvres récentes s’inscrivant dans cette perspective, on peut citer : le Fleuve aux semelles de vent, créé en 2001 par Carmen Aguiar et Victor Convalia, un conte poétique dansé sur le thème du Rio de la Plata ; les spectacles de la troupe Magui Danni-Anibal Pannunzio (Tangazo, Buenos Aires Tango, etc.), dont les tournées européennes régulières permettent de défendre à l’étranger les mérites d’un tango « made in France » ; Tango Seducción de Gustavo Russo (de passage en France en 2005), qui met en scène la thématique de la passion amoureuse à travers des chorégraphies parfois violentes ; enfin, des spectacles plus locaux et ponctuels, dont on peut donner quelques exemples parisiens : Paradis tango de Delphine Robin et Orlando Dias (2000) ; Taptango de Sophie Moyano, une association réussie de tango, claquettes et humour (2003) ; ou encore Le tango dans tous ses états, spectacle de Luis Rizzo associant musique et de danse, également en 2003. La liste, bien sur, est incomplète…

Théâtre de tango

Construire à partir du matériel expressif du tango une véritable œuvre théâtrale, structurée autour d’une intrigue, mettant en scène de véritables personnages, et alternant danse, musique, chant et textes originaux : suivant la voie novatrice ouverte par l’Opéra María de Buenos Aires, créé en 1969 par Astor Piazzolla et Horacio Ferrer, plusieurs metteurs en scène se sont engagés au cours des années récentes dans la voie de ce que l’on pourrait appeler un « théâtre de tango ». Alfredo Arias fit ainsi du tango l’ossature de son spectacle musical Mortadela en 1992, avec la complicité de Pablo Veron. Plus récemment, Camilla Saraceni a associé danseurs, chanteurs, musiciens et comédiens autour des textes intimistes à l’humour décalé, pour créer des spectacles à l’atmosphère imprégnée de sensibilité tanguera : Pas à Deux en 2001, Charbons Ardents en 2003, Tango, Verduras y otros erbas en 2005.

Des évocations fugitives à la tangobsession

Références théâtrales

Dans la plupart des cas, le tango n’est cependant introduit dans le théâtre que sous la forme d’une référence fugitive. Cette allusion apparaît, notamment pour les metteurs en scène d’origine argentine, comme un moyen d’évoquer le déracinement, la nostalgie du pays d’origine. C’est le cas par exemple lorsque Alfredo Arias fait chanter Haydée Alba dans son Faust argentin, ou que Jorge Lavelli invite le danseur Jorge Rodriguez dans sa mise en scène de L’ombre de Venceslao, de Copi, au théâtre du Rond-Point en 2001.

Le tango comme culture populaire ou alternative

De nombreux spectacles ont pour objet la mise en scène de la culture populaire dans ses innombrables aspects. Le tango peut alors y occuper une place de choix, aux côtés d’autres formes d’expression : carnaval et murga (Macadam tango, téléfilm réalisé par Juan Carlos Caceres pour la télévision canadienne en 2001) ; folklore rural argentin (Pampa argentina y tango, présenté par Ana Gutierrez et Ricardo Daloi à Orléans en 2002) ; danse latino-américaine (Mambo Mistico de Alfredo Arias en 2005 ; danses de salon (spectacles chorégraphiés par Christian Dubar pour le Ballet atlantique en 2005) ; syncrétisme entre les cultures populaires du monde entier (Contes africains de la compagnie Royal de Luxe, en 2002 ; Un tango pas comme les autres de José Castro, qui casse les frontières entre flamenco, classique, folklore tango, hip hop , également créé en 2002).

Accordons dans cette catégorie une mention spéciale au spectacle Plan B, créé en 2005 par Gabriel Angio et Natalia Games, qui associe tango et hip hop. Un parallèle est ainsi établi entre deux formes d’expression populaire, nées à un siècle d’intervalle, du même phénomène de métissage culturel lié à la confluence de masses d’immigrants déracinés dans les faubourgs pauvres des grandes villes.

Culture marginale, éloignée des grands circuits commerciaux le tango se prête par ailleurs à des expérimentations artistiques où la rupture avec les codes habituels du spectacle est consommée, voire revendiquée comme élément d’une « contre-culture » : spectacles de rue improvisés comme Caravane tango créé par Nathalie Clouet en 2001 ; clips bousculant l’esthétique traditionnelle du tango par une forte injection de juvénilité débridée, comme Bajo tango de Alejandro Rumolino, programmé sur Arte en septembre 2004 ; démarches associatives comme le spectacle Flor de fango, réalisé par une troupe associant danseurs amateurs et professionnels sous la direction de Vitor Costa et Margareth Kardosh avec le soutien de Tangueando Tarbes en 2006.

La recherche chorégraphique

De nombreux spectacle de danse, comme ceux d‘Alvin Ailey, proposent aujourd’hui des formes esthétiques mixtes, s’inspirant à la fois de la danse contemporaine et des cultures populaires. Le tango est tout particulièrement concerné par ces démarches syncrétiques, où les recherches de la chorégraphe argentine Ana Maria Stekelman et de sa troupe Tangokinesis sur le relationnel et l’expression du désir ont joué un rôle précurseur (Tango Désir, Opératango, Boca tango présenté à Lyon en 2004). A New York, la compagnie Tango Mujer, composée de 5 femmes, sous la direction de Rebecca Shulman, a mené pendant plusieurs années un intéressant travail sur l’émotion tout en cassant les conventions du tango traditionnel. A Turin, la fondation Tango Nuevo, avec son spectacle Bosko et Admira – une variation moderne sur le thème de Roméo et Juliette – utilise le tango, à coté d’autres formes d’expression, comme une manière d’illustrer par la danse le caractère tragique de très grands textes littéraires (Shakespeare, Cocteau, …). En France, Les spectacles de Catherine Berbessou (A fuego lento en 1997 ; Valser en 1999 ; Fleur de Cactus en 2002) ont utilisé le tango comme une esthétique particulièrement bien adaptée à l’expression du désir et de la violence dans les rapports entre hommes et femmes. Enfin, Marcello Bernardo (Nocturno, Simplemente tango…) ainsi que Judith Elbaz et Christophe Lambert (Une autre paire de Manches, 2006), ont également mené des démarches originales sur l’expression corporelle, la création d’un espace imaginaire, l’association du tango dansé avec des musiques non « conventionnelles » (de Piazzolla au classique).

Voyages dans la planète tango

Enfin, certaines œuvres nous proposent une immersion totale dans l’univers du tango, dans ses dimensions la fois esthétique, historiques et humaines. L’orchestre Color tango nous propose par exemple un « spectacle pédagogique » qui retrace l’évolution des formes d’expression musicales et dansées du tango. Quant à l’univers des documentaires sur la danse, il est immense. Citons, entre autres, et par ordre chronologique : Tango la obsession (1998), de Adam Butcher, sur l’univers des milongas et des danseurs de Buenos Aires ; Dance the gender (2000), de Sophia Börges et Sonja Shultz, sur les tangueros de Berlin, New York et Hambourg ; Tango el abrazo (2001), de Jan Van Den Berg, sur l’itinéraire d’un couple d’amsterdam à Buenos Aires ; Tangueros (2005), documentaire canadien sur le tango de rue ; Encan Tango (2006), de Deborah Blake, sur l’orchestre Tango Rayuela et le travail des danseurs Julio Luque et Veronique Guide ; enfin, El Abrazo, la vie est un tango (2006), d’Alexandre Marc, sur le tango à Buenos Aires.

Pour conclure, évoquons quelques œuvres à mi-chemin entre la fiction et le documentaire, comme Tango mio de Jana Bokova (1986), qui nous fait suivre les pas d’une vieille milonguera possédée par l’esprit du tango ; Tango Baile Nuestro (1987) de Jorge Zanada, mélange de confidence intimiste et d’analyse socio-politique sur l’univers argentin du tango au sortir de la dictature, illustrée par de nombreuses interviews et images d’archives ; enfin, les œuvres d’Edgardo Cozarinski, comme Dans le rouge du couchant (2004) qui reconstitue l’atmosphère du tango de Buenos Aires dans une démarche mêlant rêve et réalité. Mais nous entrons déjà dans l’immense domaine du film de fiction, qui mériterait à lui seul un article, voire un numéro complet de notre revue…

Fabrice Hatem




[1] Avec Jorge Rodriguez & Maria Filali

[2] Avec Esteban & Claudia, Julio & Corinna, les frères Macana

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