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Poésie et littérature

Cobian et Cadicamo : affinités électives

Editeur : La Salida n°46, décembre 2005-janvier 2006

Auteur : Fabrice Hatem

Cobian et Cadicamo : affinités électives

La collaboration entre ce deux grands artistes nous a légués quelques-uns des sommets de la chanson tanguera, comme La casita de mis viejos, Nostalgias, Niebla del rachuelo, Los Mareados, ainsi que de nombreux autres titres, comme Gitana, El cantor de Buenos Aires, Shusheta, Dolor milonguero, Piropos, Pico de oro, Hambre, Rubí, Tres esquinas, A pan y agua, Salomé, Viejo bandoneón. Cette fécondité s’explique par des affinités d’ordre artistique, mais également par la profonde amitié qui a uni les deux hommes.

Dans ses mémoires, Cadícamo (photo ci-contre) laisse transparaître la grande affection qu’il portait à Cobián  (photo ci-dessous). Dès leur première rencontre, au début des années 1920, il semble subjugué par cet homme élégant et athlétique, à l’immense talent de virtuose et d’improvisateur, qu’il surnomme « le Chopin du piano ». Très vite, va se développer entre ces deux viveurs impénitents une amitié profonde, tissée au gré des voyages en paquebots transatlantiques et des virées nocturnes dans de belles voitures. Une bohème artistique qu’ils vivent ensemble, au cours des années 1930, de Buenos Aires à Rio de Janeiro et à New York, partageant les mêmes appartements, toujours entourés de jolies femmes, un jour dépensant sans compter, le lendemain raides comme les blés… surtout Cobián. Car le musicien est un séducteur fantasque, instable, buveur impénitent, se pliant difficilement à une discipline professionnelle. Un homme capable d’abandonner, du jour au lendemain la direction d’un orchestre à succès de Buenos Aires pour suivre une amourette aux Etats-Unis. Un cœur d’artichaut se mariant un peu à tord et travers, voire même avant d’avoir divorcé du précédent mariage. Et que Cadícamo a du secourir bien souvent, en lui envoyant quelques subsides ou en lui trouvant du travail. Par exemple au Brésil en 1935 après qu’il ait été chassé de son précédent poste de directeur d’orchestre pour absence au répétitions, ou en Argentine en 1943, quand il lui trouve un poste de directeur d’orchestre à la radio El mundo pour lui permettre de se remettre sur les rails alors qu’il revient, sans un sou, du Mexique.

Mais, au delà de l’amitié, il existe également une profonde affinité esthétique entre la démarche musicale de Cobian et celle, poétique, de Cadicamo : sensibilité au influences européennes, rénovation des thèmes et des formes, recherche d’un langage à la fois raffiné et accessible au grand public. Le résultat est une véritable fusion entre musique et texte, dont la montée progressive de la tension dramatique au début de Niebla del Riachuelo ou le sentiment de désespoir résigné exprimé dans la fin du refrain de Nostalgias, si bien souligné par la descente chromatique de la mélodie, constituent des exemples particulièrement frappants. Comme l’a dit Cátulo Castillo : « dire les noms de Cobián et Cadícamo revient à prononcer la formule d’une identité totale, d’une fusion intégale, quasi biologique ».

Fabrice Hatem

Quatre œuvres, quatre génèses différentes

La casita de mis viejos est la première collaboration entre les deux artistes. Le texte fut écrit en 1931 par Cadícamo, à la demande de Cobián, sur un thème musical déjà existant. Lorsque Cadicamo lui présenta le texte, qui décrit le retour d’un fils prodigue à la maison familiale, Cobián, ému, lui dit que celui-ci semblait avoir été écrit d’après sa propre vie : cela faisait 15 ans qu’il n’avait pas revu ses parents.

La partition de Nostalgias, dont la partition fut initialement composée en 1935 pour la revue El cantor De Buenos aires, il fut refusé par le directeur du théâtre qui trouvait le thème musical trop complexe pour être compris par le public. Elle fut reprise l’année suivante, avec un nouveau texte de Cadícamo – celui que connaissons – à l’occasion de l’ouverture du cabaret Charleston, dont Cobián dirigeait l’orchestre. Il fut ensuite interprété par le chanteur Charlo sur Radio Belgrano, se transformant immédiatement en grand succès populaire.

Niebla del Riachuelo fut écrit en 1937 à la demande du metteur en scène Luis Saslavsky pour être introduit dans le film La Fuga, où il est interprété par la chanteuse Tita Merello.

Los Mareados fut écrit en 1942 par Cadícamo, à la demande de Troilo, sur un thème de Cobián, Los Dopados, composé en 1922 et quelque peu tombé dans l’oubli. Il rencontra immédiatement un grand succès. Cobian, qui se trouvait alors au Mexique après avoir fui les Etats-Unis pour échapper à la conscription, n’avait pas été prévenu. Mais lorsqu’il en revint, complètement désargenté, il fut reconnaissant à ses amis de lui avoir ainsi offert un succès.

Pour en savoir plus sur Cadicamo : /2006/04/23/le-poete-enrique-cadicamo/

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