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Orchestre de tango en révolte, un entretien avec Julián Peralta

fernandez fierro Editeur : La Salida, n°35, octobre-novembre 2003

Auteur : Mariana Bustelo

Orchestre de tango en révolte, un entretien avec Julián Peralta

L’orchestre Fernández Fierro réunit onze musiciens et un chanteur dont le plus âgé a moins de trente ans. En seulement cinq années d’existence, cette formation a su conquérir un public au delà du seul milieu des milongueros. Un entretien avec Julián Peralta, pianiste, arrangeur, compositeur et directeur de cet orchestre décidé à faire bouger les choses.

Comment s’est créé l’orchestre ?

Cela vient d’abord de l’envie de faire, et d’un sentiment de révolte générale face à beaucoup d’aspects du monde du tango. Il y a des choses que nous refusions et d’autres contre lesquelles nous voulions nous battre. D’abord, l’orchestre a pris la forme d’une coopérative, comme cela avait été le cas pour celui de Pugliese. Cela signifie que même s’il y a un directeur, les décisions se prennent par consensus, ce qui parfois nous prend un peu de temps car nous sommes douze. Nous divisons également entre nous le travail, les pertes et les gains. Le fait d’être douze nous facilite le lancement de projets, comme dans le cas de notre premier CD, Envasado en origen, un disque que nous avons nous-même produit, et dont 3000 exemplaires se sont vendus en un an. Les distributeurs et les maisons de disques, voyant que c’était un succès sur le marché argentin, ont commencé à leur tour à nous contacter. Cela nous a donné une forte impulsion, et nous allons bientôt sortir un autre CD, Destrucción masiva. Nous commençons l’enregistrement d’un autre, avec des musiciens invités. Cette forme de travail nous donne de la force, parce que nous pouvons ainsi mieux faire face aux difficultés.

Quelle est la formation des musiciens ?

Elle est très éclectique. La majorité viennent du rock et certains de la musique classique. Par exemple, j’ai été très engagé dans le jazz. Un jour, j’ai écouté un orchestre de tango et j’ai senti que c’est cela que je devais faire, parce que c’étaient mes racines. Le plus important, pour nous, c’est l’écoute des bons orchestres (Troilo, Di Sarli, Piazzolla, Pugliese), et un travail constant de répétition. Quand tu a commencé à jouer dans un grand orchestre, tu ne peux plus t’arrêter, car alors tu sens qu’il te manque quelque chose : les possibilités que te donnent douze musiciens n’ont rien à voir avec celles offertes par un orchestre plus réduit.

Comment étant si jeunes, êtes-vous accueillis dans les milieux du tango ?

D’abord, on nous a regardé avec suspicion, mais nous avons trouvé notre place. Dans certains milieux, nous avons été acceptés un peu de force. Mais imagine qu’à 29 ans, je suis membre de l’Académie nationale du tango, et je donne des cours dans les écoles de tango de Buenos Aires. Même si nous avons entre 19 et 30 ans, nous faisons un travail très sérieux.

Quels sont vos relation avec le milieu milonguero ? Lors de votre concert à la milonga Zapatos Rojos, j’ai eu l’impression que vous aviez votre propre public qui n’est pas forcément celui des danseurs.

Ce qui nous intéresse, c’est de faire quelque chose de populaire, qui parle aux gens d’aujourd’hui : du tango, mais dans la recherche constante de l’évolution. Les milongas ne sont pas des lieux qui nous intéressent particulièrement, parce que nous sentons qu’ils sont régis par des codes obsolètes. Cela nous plaît que les gens dansent, mais pas qu’ils se sentent exclus parce qu’ils savent tel pas et non tel autre. Ils doivent pouvoir se comporter comme ils en ont envie. Cela ne veut pas dire que nous n’aimons pas jouer dans les milongas, mais que nous ne voulons pas nous limiter à cela. L’idée est d’élargir le champ, et pour cela il est fondamental qu’il existe de nouveaux orchestres, de nouveaux arrangements, et surtout de nouveaux thèmes. Si l’on joue toujours les mêmes thèmes, le tango ne se développera pas. Il y a beaucoup de bons tangos traditionnels, mais il faut aussi prendre de vrais risques.

Vous continuez, comme à vos débuts, à jouer dans la rue à San Telmo, près de la plaza Dorrego?

Nous voulons que le tango soit présent partout et que les gens qui en ont envie nous écoutent. Nous avons joué à l’occasion d’événements très divers, comme le Festival de tango de Buenos Aires, l’hommage à Pugliese, dans des lieux importants comme le Centre culturel Torquato Tasso ou au Centre culturel de la cooperación, dans des salles plus petites, .. et dans la rue.

En plus de la musique, vous donnez une grande importance à l’image et à la gestuelle du groupe. Par exemple, vous jouez sans partition.

Les orchestres de Troilo ou Pugliese jouaient eux aussi sans partition. Les musiciens qui lisent leurs partitions sont souvent ceux qui se rencontrent au dernier moment, et font ce qu’ils peuvent sur scène. Notre projet va au-delà de prestations épisodiques et les répétitions nous permettent de bien connaître les thèmes et de jouer librement. Quant à l’aspect visuel dont tu parles, il s’agit d’un effet secondaire, car le plus important c’est la musique. Bien sûr, il y a gens qui sont sensibles aux images, comme lorsque tous les bandonéons de l’orchestre sont super-ouverts en même temps. C’est une chose à laquelle le public n’est pas habitué, mais en fait cela vient de l’effort visant à tirer tout son potentiel sonore de l’instrument. Quant au costume, au début chacun de nous était habillé comme il voulait. Nous avons ensuite adopté une sorte d’uniforme car nous pensions que le public aurait pu ne pas nous prendre au sérieux du fait de notre jeunesse. Mais cela n’a pas duré, parce que, même si c’était un changement dans l’esthétique, cela n’avait rien à voir avec ce que nous étions ni avec ce que nous voulions faire. Nous avons donc récemment renoncé à nos uniformes.

Vous êtes tous des hommes, comme cela est mis en avant sur votre site Web.

A un moment, nous avons pensé incorporer des femmes, mais nous avons préféré rester une formation masculine pour éviter, disons, les problèmes hormonaux. Cela aurait pu compromettre notre travail, surtout lorsque les décisions se prennent, comme dans notre cas, par consensus.

Propos recueillis par Mariana Bustelo

Pour en savoir plus : www.fernandezfierro.com

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