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Vie culturelle

Les jours et les nuits de Mariana B., La Salida n°39 : sur Carlos Gardel

ImageEditeur : La Salida n°39, juin à septembre 2004

Auteur : Mariana Bustelo

Les jours et les nuits de Mariana B.

Le musée Carlos Gardel à l’Abasto

Jusqu’aux débuts du XXème siècle, l’Abasto (les Halles) était un quartier où se rencontraient la ville et la campagne grâce à l’arrivée de producteurs de fruits et de légumes de tout le pays, comme on peut le voir dans le film « Mercado » de Abasto de Lucas Demare. Gardel y reçut l’influence des grands payadores comme José Betinotti et Gabino Ezeiza, il partagea la scène avec José Razzano dans le bar O’Rondeman, et entre 1927 et son départ vers la France en 1933, il habitait une maison modeste qu’il avait avait acheté pour lui et sa mère, et où il composa une grande partie de son œuvre. Depuis un an, cette maison, qui a été réhabilitée en respectant le style de l’époque, abrite un musée Carlos Gardel où sont réunis les disques, partitions et objets personnels du chanteur (documents, vêtements, photos, souvenirs et témoignages de son enfance et de sa carrière artistique) pour récréer l’atmosphère de sa vie. Le musée réalise également des expositions thématiques constamment renouvelées, qui abordent des aspects variés, comme la relation du chanteur avec le Turf, ses débuts jusqu’à la naissance du tango-chanson (jusqu’au 23 juin 2004), l’histoire du duo Razzano-Gardel (à partir du 24 juin). De plus, pour commémorer la mort du Zorzal de Buenos Aires, une milonga aura lieu le 24 juin dans la rue du musée. Museo Casa de Carlos Gardel, Jean Jaurès 735, Buenos Aires. Horaires : de mercredi à lundi de 11 à 18 hs.

Un parcours sur les traces de Gardel

Une fois par mois, l’office du tourisme de la ville de Buenos Aires organise une visite guidée à travers la ville, sur les lieux liés avec la figure du chanteur : la maison/musée Carlos Gardel, le passage Carlos Gardel et le Passage du Tango (où l’on trouve un monument du chanteur qui a été objet de controverses, car certains voisins se plaignaient de ce que le bronze ne ressemblait pas du tout au chanteur), les vestiges du bar O’Rondeman où chanta Gardel, le Luna Park où son corps fut veillé et le mausolée où reposent ses restes au cimetière de la Chacarera, entre autres. Rens : téléphone de Lundi à vendredi de 10 à 16 hrs au 00 54 11 4114-5791 ou http://www.gcba.gov.ar/areas/turismo/datos_utiles/visitas.php?menu_id=249

Un hommage associant différentes perspectives.

Para vos, morocho (Pour toi, le brun) est un livre en forme d’hommage à Carlos Gardel. Les dix articles que rassemble le volume abordent des aspects très variés : sa musique et ses collaborations avec Razzano, son passage à Paris, des anecdotes de sa vie, sa condition de mythe immortel qui le maintient toujours en vie, ou ses passions comme le turf ou les femmes. Parmi les auteurs, où trouvent de véritables connaisseurs du tango, et qu’ont écrit pour beaucoup d’entre eux de livres reconnus, comme Simon Collier (universitaire récemment disparu qui écrivit la première biographie vue à travers un prisme non argentin), Horacio Ferrer et Ana Sebastián. Para vos, morocho, Museo Carlos Gardel. Buenos Aires : Museos de Buenos Aires, Direccion General, 2003.

Histoire ou légende ?

Une grande quantité d’écrits ont été consacrés à la figure de Gardel : biographies, articles, analyses historiques ou socio-culturelles, chansons de tango, romans qui reprennent certains aspects de sa vie… Face à cette prolifération d’écrits, parfois si contradictoires qu’ils induisent une confusion entre histoire et légende, Juan Carlos Esteban, dans son ouvrage Carlos Gardel. Encuadre histórico, se propose d’établir la vérité historique sur certains faits marquants de la vie de Gardel. Tout au long du livre, l’auteur compare les données issues des différentes publications jusqu’aux plus récentes et fournit de nombreux documents (copies de l’acte de naissance de Toulouse, du certificat d’arrivée en Argentine, du certificat de décès, des documents testamentaires, entre autres) pour parvenir à établir les circonstances de sa naissance : Gardel naquit le 10 décembre 1890 à Toulouse bien que sa naissance ait été enregistrée un jour plus tard. Sa mère était Bertha Gardès, et arriva en Argentine en 1893. Bien que rien de tout cela, souligne l’auteur, ne constitue une découverte historique, l’organisation de ce matériau sous forme de livre permet de dissiper des doutes et de diffuser la vérité historique pour que l’erreur ne continue pas à proliférer. Dans le même esprit, on trouve également dans le livre des analyses de certaines légendes qui entourent la vie de Gardel, comme sa possible appartenance au monde des bas-fonds ou l’idée que sa mort aurait pu être due à un assassinat, liée à la présence d’une balle dans le corps du chanteur. Le travail sérieux de Esteban révèle une fascination pour les faits historiques qui par moment conduit à négliger les aspects proprement narratifs et rend plus difficile la lecture. La convaincante « vérité historique » ainsi décrite n’a pas empêché que l’an passé des journaux aient fait état de la possible réalisation d’études sur l’ADN de Gardel afin d’établir définitivement sa filiation. Ce fait, loin de discréditer le sérieux du travail de Esteban, nous conduit à nous interroger sur les raisons de cette difficulté à accepter les circonstances de la naissance de Gardel et de sa vie, car chez Gardel l’histoire et la légende se mêlent indisociablement.

Certains y verront, sans doute, une question d’intérêts. Cependant, la perspective ouverte par Blas Matamoro dans les Actes du Colloque qui s’est tenu à l’Université de Toulouse-Le Mirail, Le Tango, Hommage à Carlos Gardel (1984), se révèle intéressante. Benarós considère que si la biographie de Gardel se redessine constamment, c’est parce qu’il est comme un saint et que les « Saints n’ont pas de biographie ». En d’autres termes, ce qui prédomine en Gardel, c’est le mythe et pas l’homme. Les légendes ne font rien d’autre que construire un personnage hors du temps qui « chaque jour chante un peu mieux ». Juan Carlos Esteban, Carlos Gardel. Encuadre histórico. Buenos Aires, Corregidor, 2003 (Deuxième version corrigée et complétée). Blas Matamoro « San Gardel, comediante y mártir » dans Le Tango : hommage à Carlos Gardel, Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail, 1985.

Mariana Bustelo

Pour en savoir plus sur Carlos Gardel et Alfredo Le Pera : /2004/12/10/la-salida-n-39-carlos-gardel/

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