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Chanteurs tango

Gardel, l’Uruguayen

gardel3 Editeur : La Salida n°39, juin à septembre 2004

Auteur : Miguel Angel Semino

Gardel, l’Uruguayen

Né en France ou en Uruguay. Pas de dossier complet sur Gardel sans une section consacrée à la controverse sur ses origines. Nous vous proposons ici deux documents : des extraits d’un article de Miguel Angel Semino, ancien ambassadeur d’Uruguay à l’Unesco, publié en 1999 en espagnol, qui défend la thèse des origines uruguayennes du chanteur ; et une présentation du document récemment réalisé par Christiane Bricheteau, qui au contraire a pour but de démontrer, preuves à l’appui, ses origines toulousaines. À vous de juger.

(…) Je me demande si dans quelques années – et non pas dans cinquante ou soixante ans – les gens se souviendront des « idoles » de l’actualité avec la même ferveur quasi religieuse qui nous saisit encore quand nous écoutons la voix de Gardel, cette voix dont toute l’Amérique Latine a pu jouir grâce à ses films du début des années ’30, et qui a fait de lui le plus grand interprète de la chanson populaire en langue espagnole. Phénomène curieux : le public ne comprenait pas toujours complètement le sens des paroles que Gardel chantait – car directement liées au régionalisme du Río de la Plata – et, cependant, les adoptait comme lui étant propres.

C’est que Gardel, le créateur du « tango-chanson », chantait la vie du Río de la Plata en donnant à ce qui nous appartient intimement une dimension universelle. Le tango ne chante pas seulement « la percanta que se piantó del bulín » (la femme qui s’est tirée) en laissant son homme seul et triste – tel qu’un faux stéréotype prétend nous le faire croire – mais aussi les illusions, les tristesses, les joies, les haines et les amours des gens ordinaires. De ses profonds et clairvoyants coups de pinceau, le tango dépeint non seulement les types humains (l’immigrant, le vaniteux, l’avare, le voyou) mais aussi les paysages urbains, les milieux sociaux, les sports (le footbol, le turf) et tout ce qui fait l’environnement physique, moral et spirituel de l’homme du Río de la Plata. Et les Uruguayens, nous appartenons au Río de la Plata, par impératif géographique et par vocation historique.

Gardel chante tout cela avec un sentiment et des accents qu’aucun autre chanteur – et il y en a eu de très bons – n’a jamais encore pu dépasser. Quand nous l’entendons chanter, notre esprit et notre cœur sont gagnés par des émotions, des souvenirs d’une personne, d’un paysage, d’une situation, d’une anecdote faisant partie de notre propre et intransférable vécu. Et c’est la raison pour laquelle nous le sentons si proche de chacun d’entre nous, et que nous manifestons toute notre admiration élogieuse en disant « c’est un Gardel » ou notre refus ou désaccord en disant « Va le chanter à Gardel ». Et cinquante-sept ans après sa mort, nous l’écoutons toujours avec la même dévotion mystique ; il s’agit d’une donnée essentielle de notre identité personnelle et collective. Et je peux affirmer, en empruntant les paroles de quelqu’un d’autre, que Gardel nous gratifie toujours de son illustre monologue à l’heure rituelle où nous buvons notre « mate amargo », sous les auvents, dans l’après-midi, à tous les coins de rue des villes dévotes. Avec le temps qui passe « Gardel chante de mieux en mieux ».

Gardel, urugayen

Quand, le 24 juin 1935, la nouvelle de l’accident qui coûta la vie a notre chanteur a été diffusée, la presse évoquait partout, et non seulement en Uruguay, mais aussi en France, en Argentine et en Colombie, le chanteur uruguayen. C’est en ces termes que s’exprimaient La Prensa, Critica et Noticias Graficas de Buenos Aires, et les télégrammes en provenance de Paris, Toulouse, New York et Medellin. Immédiatement, le gouvernement de mon pays a engagé les procédures de rapatriement du corps et confié cette mission au docteur Eugenio Martinez Thédy, ultérieurement et pendant de nombreuses années, ambassadeur d’Uruguay au Pérou. Et pourquoi cette attitude du gouvernement ? Par caprice politique ? Par délire nationaliste ? Et l’unanimité de la presse, c’était le fruit de la manipulation ? Rien de tout cela.

La réalité était beaucoup plus simple. Il existait depuis toujours la conviction généralisée que Gardel était né en Uruguay. Cette donnée de la vie du chanteur était évidente, étayée par une série de faits tout au long des années et que nous ne présenterons que succintement.

a) Gardel a toujours fait inscrire sur ses pièces d’identité – dont l’authenticité n’a jamais été contestée – qu’il était Uruguayen, né dans le département de Tacuarembó en 1887. Ces documents étaient uruguayens, argentins et même français. Pour donner un exemple, je ferai référence à une carte de naturalisation argentine datant de 1923. À ce moment-là, alors qu’il décide de prende la nationalité argentine, pays où l’on faisait un triomphe à sa carrière, et alors qu’il n’existait aucune raison de mentir, il déclara comme toujours, la vérité : « Uruguayen ».

b) la nationalité de Gardel a été proclamée à de multiples reprises dans ses déclarations à la presse, qui par ailleurs lui a souvent attribué la nationalité uruguayenne sans que le chanteur ne l’ait jamais invalidée ou rectifiée. Je pourrais citer de nombreux autres exemples, mais je m’en tiendrai à deux seulement. Le journal El Tiempo, de Montevideo (dans son édition du 18 juin 1915 – retenez bien l’année -) parle de nos « compatriotes » en évoquant le duo Gardel-Razzano. À la veille de la grande finale du Championnat Mondial de Football de 1930 entre l’Argentine et l’Uruguay, le journal El Imparcial, de Montevideo, publia un entretien avec Gardel et signale comme toujours, qu’il est Uruguayen. Cela soit dit en passant, cet entretien a eu par la suite des conséquences désagréables sur l’activité artistique du chanteur, mais ceci est une autre histoire, que je ne peux développer ici faute d’espace.

c) Lors d’écritures publiques certifiées par notaire et sur témoignage de son fondé de pouvoir, Armando Defino, (ensuite son héritier), il se déclare encore Uruguayen. Ainsi, en octobre 1933, il acheta des terrains dans la localité uruguyenne de Carrasco, près de Montevideo, en vue d’y construire un chalet pour passer ses dernières années (…).

(L’auteur tente ensuite de prouver le caractère apocryphe du testament de Gardel mentionnant ses origines françaises).

Les vraies origines de Gardel

Il est temps maintenant de traiter des vraies origines de Gardel, tout en signalant comme au début de cet article que le lecteur est invité, pour un récit plus détaillé, à se référer aux travaux de mes compatriotes. Notre chanteur est né à Tacuarembó – département du nord de l’Uruguay. Fils naturel du Colonel Carlos Escayola, important militaire et homme politique, l’enfant est remis – pour des raisons assez délicates de famille – à une dame française (Berthe Gardès) qui, immigrée, était venue travailler dans les mines d’or exploitées par son compatriote, M. Victor d’Olivier.

Berthe, qui avait eu des relations avec un employé du journal local (prénommé Romualdo) part avec le petit Carlos vers Montevideo. Là, elle le laisse à la charge d’une autre Française, Anaïs Beaux, et retourne en France, où son vrai fils, le fruit de ses relations avec Romualdo, verra le jour. Et c’est lui le fameux Charles Romuald Gardès de cet extrait de naissance tant invoqué : quelqu’un d’autre que le chanteur, avec qui on a voulu le confondre.

De tels faits, qui ont pu être reconstitués malgré de nombreuses difficultés, ont été – très récemment – confirmés par d’autres membres de la famille Escayola, qui habitent l’Uruguay (…).

Miguel Angle Semino

Traduction de Enrique Lataillade

Pour en savoir plus sur Carlos Gardel et Alfredo Le Pera : /2004/12/10/la-salida-n-39-carlos-gardel/

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