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Tangueros et tangueras

DJ : metteur en scène d’un soir, entretien avec Luis Tarentino

Editeur : La Salida, n°35, octobre-novembre 2003

Auteur : Philippe Leygue

DJ : metteur en scène d’un soir, entretien avec Luis Tarentino

salida35 tarantino Luis Tarentino est plus qu’un DJ. Journaliste, il écrit dans le seul journal en langue anglaise de Buenos Aires, le « Buenos Aires Herald ». Fondateur et animateur entre 1990 1997 de la première radio de Buenos Aires entièrement consacrée au tango, FM Tango, il a ensuite réalisé de nombreux reportages à partir de 2000 pour son héritière 2 por 4 FM. Cette activité l’a amené, entre autres, à Paris, où il a rencontré en 2001 le directeur du théâtre de Chaillot, Ariel Goldenberg, qui lui a proposé d’assurer l’animation des bals lors du 2ème festival Paris-Buenos Aires.

Quelle est ton activité d’animation à Buenos Aires ?

Elle se fait en partie à travers la radio. Par exemple, en 1992, nous avons organisé avec FM tango une milonga de 2 jours dont j’étais le DJ. J’anime moins de milongas qu’autrefois, compte tenu de mon travail à la radio qui exige de se lever tôt. J’interviens davantage dans des lieux culturels, de rencontre, de concerts, que dans des milongas traditionnelles. J’aime beaucoup et je fréquente ces clubs qui ont plus de 70 ans d’existence, comme Sin Rumbo, Sunderland. Ils sont maintenant relayés par des milongas d’un autre type, comme La Viruta, La Tradienda, la Cathedral. J’aime que la musique se renouvèle tout en respectant la tradition, dans l’esprit de que l’on présente à Chaillot à l’occasion du festival : une essence traditionnelle, une interprétation actuelle. Je pense que la musique et le bal vont évoluer ensemble, sortir des stéréotypes et incorporer de nouveaux éléments.

Peut-on intégrer Piazzolla dans la programmation ?

Le Piazzolla des années 1946, bien sûr ! ! Certains thèmes des années 1970 sont aussi dansables comme Calambre. Dans les milongas, il faut incorporer des musiques nouvelles aux tangos anciens, mais en ménageant les danseurs, en leur donnant un peu de temps pour que leurs yeux et leurs oreilles s’habituent. Sur Piazzolla, la manière de guider est différente, ce n’est pas un guidage binaire comme sur les tangos à 4 temps, mais un guidage sur trois temps suivant le rythme si particulier de Piazzolla en 3-3-2.

Comment organises-tu le « film » des milongas que tu animes ?

Selon moi, un DJ doit proposer une suite construite, un peu comme un film. Et ce film doit être différent chaque soir, sinon les gens s’ennuient. En Europe, dans les milongas où je suis allé, la construction de la musique, l’enchaînement, m’ont paru assez désorganisés.

Je ne prépare rien avant, jamais écrit un programme : ce serait moins de travail le soir, mais cela m’enlèverait de l’adrénaline. Lorsque l’on prépare, on a tendance à toujours passer les mêmes morceaux dans le même ordre, et en tant que danseur cela ne me plaît pas. Grâce à mon travail à la radio, je connais tous les morceaux que je passe. Lorsque j’arrive, je me mets dans l’ambiance et ensuite j’improvise en regardant les danseurs. Et cela donne un résultat à chaque fois différent. Je ne passe par de cortinas pour ne pas couper le bal. De toutes façons, les gens savent à quel moment viennent les valses, le tango, etc. Je m’ajuste en fonction des réactions des danseurs, en passant plus ou moins de morceaux d’un même type. Cependant, je ne dépasse jamais plus de 4 morceaux d’un même genre, sauf si les danseurs m’y invitent. Je peux mélanger des orchestres différents, par exemple Troilo et Di Sarli, à condition qu’ils aillent bien ensemble. Et puis, bien sûr, il y a des classiques qu’il faut systématiquement passer. C’est comme cela que je construis mon « film », à travers un dialogue avec les danseurs.

Propos recueillis par Philippe Leygue

 

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