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Musique et musiciens d'hier

Canaro : la recherche de la simplicité

canaro1 Editeur : La Salida, n°41, décembre 2004-janvier 2005

Auteur : Fernando Albinarate

Canaro : la recherche de la simplicité

En général, l’aspiration d’un musicien, qu’il soit instrumentiste, chef d’orchestre, arrangeur ou compositeur, est d’atteindre un haut niveau de raffinement technique et expressif, ce qui implique pour lui se se confronter en permanence à des difficultés nouvelles et à des défis renouvelés.

Ceux qui, à l’opposé, choisissent une manière plus facile de faire de la musique sont, bien souvent, des amateurs ou des professionels de niveau moyen, qui essayent de vivre de leur métier, ou qui cherchent, à travers un langage musical simple, à exercer une activité à caractère commercial qui pourra leur apporter un succès économique.

Mais il existe une troisième catégorie de musiciens : ceux qui, bien qu’ayant atteint une haute perfection expressive et technique, choisissent de s’expriment dans un langage simple, clair, direct et sobre. Alors même que Wagner triomphait en Europe, le grand compositeur italien Rossini rappelait avec insistance que l’idéal de la bonne musique était d’avoir un rythme clair et une mélodie simple.

Qu’est-ce qui peut être plus éloigné des richesses rythmiques, contrapuntiques et harmoniques de Piazzolla que le style musical de Francisco Canaro? Nous n’entendons jamais dans ses compositions, ses arrrangements et dans sa manière de diriger son orchestre, quoi que ce soit qui puisse introduire un doute, une incertitude. Tout est clair dans ce style tanguero. Claire, la mesure à quatre temps, marquée sans aucune confusion possible par les basses et par les bandonéons qui accompagnent le chanteur, avec des sudivision caractéristiques du temps (tempo) qui facilitent la ryhmique, dont l’accentuation carrée est parfois altérée par une syncope ou un contretemps, mais reste cependant évidente et familière à l’oreille, Claires, les mélodies pratiquement sans ornements, présentées de telle manière que quiconque pourrait se mettre à les chanter. Clairs, les accompagnements et les harmonies. Simples et nets, les accords avec une configuration bien délimitée de tensions et de repos, les phrasés avec des points d’appui très déterminés. Et toutes les variations que nous pouvons écouter dans un thème composé, arrangé ou dirigé par Canaro, nous ramenent de manière si ostensible à la mélodie principale, que même l’auditeur le moins exercé pourra garde en mémoire cette musique, et se surprendra à la fredonner presque inconsciement.

Il y a un intentionnalité dans ce choix musical de Canaro. Ce n’est pas qu’il ne pouvait pas faire autre chose. Il suffit d’écouter Sentimiento Gaucho, un de ses tangos les plus célèbres, pour se convaincre de ses qualités expressives. Mais il ne veut pas abandoner son style simple et direct pour "faire profond".

Canaro veut être dansé, et dansé par chacun de ceux qui se rapprochent du tango. Bien souvent, sa musique ne cherche pas à s’imposer à l’auditeur, mais se limite à être la base d’une piste inondée de couples qui dansent dans l’intimité. Ses arrangements sont simples, sobres et certains atteignent une telle évidence qu’il pourraient rendre quelque peu triviaux les accents tragiques de la musique et la poésie du texte. Tout son art est au service de la compréhension directe. Ses audaces musicales dans le domaine de la rénovation du genre sont peu nombreuses. L’une des plus caratéristiques consiste à aggréger des instruments totalement étrangers à l’orquesta tipica, par exemple la clarinette ou la trompette soliste, produisant ainsi un jeu de couleurs particulier. Cette inititiative n’aura pas de successeur direct. Seuls quelques rares musiciens, comme Mariano Mores, et inévitablement, Piazzolla.reprendront des années plus tard l’idée d’incorporer d’autres couleurs à l’orchestre. Mores expérimentera par exemple une sorte de symphonie de tango aux accents quelque peu emphatiques).

Canaro veut être prévisible. Il veut que tout le monde, à partir du premier thème, comprenne ce que vont être les suivants. Et c’est pour cela qu’il y en a tant qui le remercient et tant qui le déstestent. La simplicité de son langage est idéale pour introduire un auditeur ou un danseur dans le monde du tango. Celui qui est déjà initié, qui fréquente ce monde, s’interessera peut-être à des univers plus complexes, comme celui de Troilo, ou à des rythmiques plus complexes, comme celles de Pugliese. Et le mélomane avancé ne supportera probalement pas plus d’un thème de Canaro, et courra se réfugier désespérement dans les subtilité de Dino Saluzzi.

Disons enfin que, pour que notre vie musicale soit riche et variée, il est bon de laisser une place à tout ce qui est bien fait. Il y a des moments pour le caviar, des moments pour le foie gras, et des moments pour une pizza savoureuse. Quand il y a du talent dans la réalisation, tous les plats musicaux sont les bienvenus (notez bien que nous ne nous sommes pas aventurés dans le terrain des cheeseburgers, le tango ne se prêtant, grace à Dieu , à ce type de produits).

Il est évident que Canaro ne demande pas à l’auditeur un effort d’écoute considérable. Il se contente de le faire danser, ou chanter. Et cela siginfie beaucoup, pour un bon musicien.

Fernando Albinarate
Traduction de Fabrice Hatem

Pour en savoir plus sur Francisco Canaro : /2006/04/25/le-musicien-francisco-canaro/

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