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Tango-tzigane et tango-baroque, Entretien avec Gérard le Cam

Editeur : La Salida n°33, avril-mai 2003

Auteurs : Fabrice Hatem et Francine Piget

Tango-tzigane et tango-baroque, Entretien avec Gérard le Cam

salida33 lecam Pianiste et compositeur argentin installé en France depuis 10 ans, Gérard le Cam explore des voies de recherche originales et variées, associant le tango avec les traditions est-européennes, le jazz, les musiques baroque et contemporaine. Il vient de réaliser la musique de « Charbons Ardents », le nouveau spectacle de Camilla Saraceni, chez laquelle nous sommes allés l’interviewer, et prépare un concert à deux pianos avec Osvaldo Caló.

Pourquoi ce duo à deux pianos, « Fugatango », avec Osvaldo Caló ?

Cette forme instrumentale n’est pas totalement nouvelle dans le tango. On peut citer par exemple le duo Tarantino/Berlinguieri. Mais celui-ci interprétait plutôt du tango traditionnel. L’aventure de Fugatango consiste à rapprocher le tango des formes musicales baroques, comme le prélude et la fugue. J’ai toujours adoré Bach. Je suis intrigué et passionné par la fugue, la polyphonie, cette manière itérative dont un thème revient et se multiplie par effets de miroirs, en alternance avec le prélude, forme étendue et répétitive. Le tango, comme toute musique qui expose un thème sur une armature harmonique très structurée, se prête bien au développement de la forme fuguée. Piazzolla avait commencé à explorer cette voie. Osvaldo et moi menons cette recherche depuis deux ans maintenant.

Qu’est-ce que le groupe Translave ?

J’ai rencontré en France de nombreux musiciens d’Europe de l’est, de tradition slave ou tzigane. J’ai voulu réaliser une fusion entre le tango et cette culture. J’ai créé pour cela le groupe Translave, qui est constitué de musiciens d’origine biélorusse, roumaine, moldave, française et argentine. Mon travail a en grande partie consisté à apprendre de ces musiciens. Cette décantation a influencé mes compositions, qui se sont progressivement transformés d’un style purement « tango » vers l’intégration de ces influences est-européennes.

J’ai notamment cherché à associer la rapidité de la ligne mélodique tzigane avec la force de la rythmique tango. Celle-ci se caractérise par un poids, une lourdeur qui va vers le bas. La musique tzigane, au contraire, possède une luminosité qui part vers le haut, une effervescence. Ce trait mélodique rapide se superpose au rythme de tango qui donne une sensation de profondeur, de puissance. L’étincelle de la mélodie revient en boucle, veut partir, mais est retenue par la lourdeur rythmique du tango.

Le tango et la musique tzigane ont deux caractères différents : le premier est associé à la nostalgie, à l’immigration, à la distance, à la crise. Les tziganes ont un esprit plus festif. Ces deux caractères opposés se sont reflétés dans la musique des deux peuples.

Qu’est ce qui fait l’identité tango d’une musique ?

Je ne me pose pas la question. C’est une musique métissée, avec des origines rythmiques africaines, l’apport des cordes de l’est européen, de la sensibilité italienne, puis du piano qui lui a permis de pénétrer chez les riches. Mais c’est avant tout une musique populaire qui ne doit jamais s’arrêter dans son voyage. C’est le produit d’une évolution constante qui accompagne celle des instruments apportés par les immigrants. Le tango de Troilo ou Salgan n’a rien à voir avec celui des origines. Cette évolution n’est pas destinée à s’achever un jour, mais à se poursuivre. Et les musiciens extérieurs au tango, qu’ils soient classiques ou populaires, peuvent jouer un rôle essentiel pour le faire avancer. J’ai joué avec des musiciens iraniens, tziganes, jazz, et cela a dévié à chaque fois mon regard vers d’autres chemins possibles porteurs de possibilités d’enrichissement.

Vous travaillez actuellement avec Camilla Saraceni ?

J’ai réalisé la partie musicale de son dernier spectacle « Charbons ardents ». J’ai mis en musique des textes de Philippe Léotard, travaillé sur la danse, et réalisé des compositions instrumentales avec des interprètes comme Juanjo Mosalini, pour les influences tango, et Jacob Maciuca pour la sensibilité tzigane. J’ai également collaboré avec Eric Chalan pour écrire des passages très lyriques à la contrebasse, et avec le violoniste Paul Lazar, dont l’apport touche plus particulièrement des improvisations, du rock et la musique électronique. Je préfère associer les interprètes, qu’ils soient musiciens ou danseurs, à un projet plutôt de le leur imposer un texte.

Quelle est dans votre travail de création la part respective de la composition, de l’arrangement et de l’improvisation ?

La composition est pour moi un rapport d’aller et retour avec les interprètes, une matière qui se travaille au cours des répétitions. C’est comme une pâte à modeler, qui peut prendre des formes imprévisibles, emprunter des cheminements que je ne soupçonnais même pas avant ces échanges.Dans mes musiques, il y a beaucoup d’écriture fixe, avec des difficultés techniques, un traitement contrapuntique de la mélodie, mais aussi des improvisations. Le moteur qui guide le choix entre les deux est le plaisir et le désir.

J’ai également fait des arrangements, par exemple pour Sandra Rumolino. La chanson est une forme particulière où la ligne mélodique serait comme la surface de l’eau. Au fond de l’eau, en profondeur, se trouve ce que l’arrangeur peut construire.

Comment concevez-vous votre travail sur l’harmonie ?

Je poursuis au niveau harmonique un chemin assez libre, en laissant des plages à l’improvisation. J’ai fait un travail sur la musique dodécaphonique, dans le cadre d’un système inventé par un des mes professeurs, Mercanti, qui bousculait complètement les harmonies traditionnelles. J’ai aussi été influencé par des compositeurs comme Gismondi et bien sûr Bach. Mais quand je commence à composer, je n’écris pas une ligne harmonique qui va de tel à tel endroit. Ce sont plutôt des pôles d’attraction chaotiques et imprévisibles. Cela dépend du thème dont on est parti, des musiciens que l’on dirige, de la situation qui provoque la composition.

Quel est le rôle de la France dans le renouveau actuel de la musique tango ?

Dans le tango, c’est la distance et l’éloignement qui donnent de la force à la création. En ce sens, être un émigré argentin en France – même si mon père est breton – m’a beaucoup aidé dans ma recherche. De plus, la France connaît aujourd’hui un brassage de cultures assez exceptionnel qui m’a permis de rencontrer des musiciens d’origines très diverses. Enfin, il existe en France une volonté de soutenir la création qui se traduit en termes financiers, ce qui est impossible dans un pays en crise comme l’Argentine, où les musiciens sont souvent réduits à faire de la musique pour touristes pour survivre plutôt que de créer.

Propos recueillis par Fabrice Hatem et Francine Piget

Discographie sélective de Gérard le Cam

« Marinarul » / Translave – sortier en mai 2003 (Label Ouest, l’Autre Distribution)
« Pas à deux » / Darsena Sur – 2001, A.P
« Ulitza » / Translave – 2001 (Label Ouest, L’Autre Distribution)r
« Migraciones » / Aguafuerte – 2000 (A.P)
« Çzardango » / Translave – 1999 (Dékalage)
« Tziganiada » / Translave – 1998 (A.P)
« Musiques tziganes » / Translave – 1997 ( A.P)
« Futurtango » / Cuarteto Jerez – 1994 (A.P)
« Musica de Buenos Aires / Cuarteto Jerez – 1992

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