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Jano Merry ou la tradition du Be-Bop

Editeur : La Salida, n°34, juin à septembre 2003

Auteur : Martine Peyrot

Jano Merry ou la tradition du Be-Bop

salida34 jano1 Mais qu’est-ce qui fait courir les tangueros chez Jano Merry ? Pour le savoir, vous pourriez interroger Pablo Véron, Victoria Veyra, Chicho, Mercedès, Bibiana, Sébastian et Andréa, Coco Diaz, Jean-Sébastien et Céline, Flavia, Mickaël et Eliane….Incroyable cette passerelle entre le Tango et le Be-Bop de Jano ? Pas tant que çà, pour l’avoir traversée moi-même dans l’autre sens il y a 9 ans ! Jugez plutôt de l’artiste et de son parcours.

Jano Merry, de son vrai nom Jean Mourier, est né le 11 Août 1930 à Montrouge ; il est déjà sur la piste du Lorientais à 15 ans en 1945, pendant les vacances ; c’est l’époque du « swing », venu d’Amérique, sur les rythmes de Glenn Miller, Duke Ellington, Claude Luther, Sydney Bechet, Louis Armstrong, Count Basie …On appelle ces danseurs-là des « zazous », ils ont les cheveux longs et des vestes trop grandes. Ce swing là s’appellera plus tard « Boogie » et deviendra « Be-Bop » en 1948. De l’autre côté de la Manche, on le nomme « Jive » et par delà l’Atlantique, « Jitterburg » ! ! !

C’est Jano qui, le premier, montera un numéro de Be-Bop acrobatique avec sa troupe « les Rats de Cave ». En 1949, ils vont débuter chez « Carrère » aux Champs Elysées et seront à l’affiche de plusieurs programmes parisiens aux côtés des vedettes de l’époque, comme Bourvil, les Compagnons de la Chanson, Yves Montand… Jano fera même danser Mistinguett dans sa revue « Paris s’amuse » à l’A.B.C. C’est la grande époque des caves de Saint-Germain et de l’existentialisme : Jano va côtoyer Boris Vian, Juliette Gréco, Jean-Louis Barrault, Madeleine Renaud… La dénomination de «Rats de Cave » va s‘étendre à tous les danseurs de St-Germain de tous ces fameux cabarets : Le Lorientais (Claude Luter), Le Tabou (le fief des frères Vian), Le Club St-Germain (Jean-Claude Fohrenbach dit »Fofo »), Le Montana, le Jazzland, Le Vieux Colombier et plus tard le Caveau de la Huchette, Le Métro Jazz, Le Chat Qui Pêche, le Blue Note, puis le Slow-Club dans les années 60….

Il a aussi dansé pour le cinéma : en 1947, dans le film « Rendez-vous de Juillet » de Jacques Becker, aux côtés de Daniel Gélin, Nicole Courcel, Jacques Fabri … en 1953, « Le Portrait de son Père » de Jean Berthomieux, avec Jean Richard, Brigitte Bardot et Gilbert Bécaud…

En 1950, il créé une nouvelle troupe, « les Big Ben Ballets », qui va tourner dans le sud de la France et l’Italie – où elle se produira dans la revue d’Ugo Tognazzi « Quel treno che se si chiama Desiderio » («Un tramway nommé désir) – puis en Allemagne, à Londres…

salida34 jano2 En 1955, alors que l’on se met à parler de Bill Haley et du Rock’n Roll, Jano monte un nouveau groupe « Les Jits-Bops » : 4 danseurs, 11 ans de succès, le « Moulin Rouge », l’opérette « Méditerranée », de grandes performances acrobatiques sur des tempos de 55 mesures par minute… de la folie ! ! ! Marathon de la danse à Juan les Pins et rencontre avec Rita Hayworth et Ali Khan.

De 1956 à 1966, il mène une vie d’artiste plus que remplie, des spectacles, des tournées tout autour de la terre, des concours, des prix, le succès… il quitte ensuite la scène pour diriger le spectacle du « Sexy », puis plusieurs discothèques jusqu’en 1981. A partir de 1984, il reprend une activité de professeur de Be-Bop avec Muriel, son épouse et partenaire depuis lors, avec laquelle il a trouvé le temps d’avoir 4 enfants ! ! !

LS : Pourquoi cet engouement des tangueros à venir chez toi apprendre le Be-Bop ?

JM : Ces danses viennent toutes les deux de la rue. A la Libération, on dansait dans les rues de Paris, sur de la musique « New Orléans », le « swing ». Celui-ci ne s’est appelé be-bop que plus tard par analogie avec le rythme be-bop, qui, en fait, est beaucoup trop rapide pour la danse… Mais avec mes danseurs, nous le faisions ! ! !

Lorsque Pablo Véron est venu me voir, la première chose qu’il m’a dite, c’est « toutes tes figures me donnent des idées pour le tango ». Il y a une similitude dans la façon de travailler, dans le style. Ces danses ont en commun un grand raffinement, de l’élégance et du naturel dans les figures : ça passe tout seul, ça coule, sans forcer. Et pourtant, c’est très technique.

Les tangueros à qui j’enseigne le be-bop vivent la danse comme moi, sans concession aucune. La musique sur laquelle j’apprends à danser à mes élèves, c’est du jazz et rien d’autre. J’ai conservé la tradition du be-bop intacte durant 50 années. Le rock a tout déformé : c’est comme si on voulait comparer un plat cuisiné à l’ancienne avec un hamburger ! Tu imagines ! (rires). C’est pour cela que les tangueros viennent à mes cours. Curieusement, je ne vois pas venir de danseurs d’autres origines, comme la salsa, les danses de salon …

Comment se vit la relation à deux dans le be-bop ?

Je crois que cela se passe comme dans le tango ; La complicité du couple doit être totale. L’art du danseur, c’est de prouver à la danseuse qu’elle sait danser, de la mettre en valeur, alors que la plupart des danseurs s’occupent plus d’eux et du public que de leur partenaire …

Et les figures, d’où viennent-elles ?

Mes débuts, en 1948, nous avons créé, avec un petit groupe de danseurs, une vingtaine de figures de base que toute le monde répétait. Aujourd’hui, il en existe des centaines, et je continue à en crée de nouvelles toutes les semaines. C’est sur Johnny Hodges que j’ai toujours eu le plus d’inspiration.

Mais ce n’est pas au nombre de figures compliquées que l’on va juger qu’un danseur est bon ; il ne s’agit pas de faire de l’esbroufe ! Certains vont tenter de « placer » des figures compliquées et danseront comme des pieds, parce qu’ils ne seront jamais en mesure, tandis que d’autres feront juste un petit mouvement et ce sera superbe, parce que bien en place.

Comment conçois-tu l’enseignement ?

J’ai créé ce que j’appelle des « routines ». C’est comme des gammes en musique. La première est très « basique » et leur difficulté croît peu à peu. Dans les dernières, la moindre faute de maintien ou le moindre écart ne pardonne pas, tout doit être bien dans l’axe. Muriel enseigne très bien, et même mieux que moi : elle a tout analysé. C’est pour moi, la meilleure danseuse de be-bop au monde, c’est un régal sur la piste ! ! ! ( ses yeux s’allument…). Il y a une grande liberté dans nos cours ; chacun travaille selon son niveau. Le cours se termine par une danse collective, avec un tempo beaucoup plus elevé quand il y a des danseurs avancés.

Ton souhait, aujourd’hui ?

Un seul ! Danser, danser, danser…

Propos recueillis par Martine Peyrot

 

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