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Autour d'un tango : poème commenté

Sur

manzi2 Editeur : La Salida n°14, juin 1999

Auteur : Fabrice Hatem

Sur (Sud), de Homero Manzi

Composé en 1948, Sur constitue l’une des six collaborations entre le poète Homero Manzi et le musicien Anibal Troilo, les cinq autres étant, par ordre chronologique : Barrio de tango (1942), Romance de Barrio (1947), Recordando (1949), Che Bandoneon (1950) Discepolin (1951). On notera qu’aucune milonga ne figure dans cette liste, le poète ayant en ce domaine privilégié une fructueuse collaboration avec Sébastien Piana, (Milonga Sentimental, Milonga triste, Milonga del 900…).

Le thème principal de l’œuvre – les nostalgies mêlées de l’amour de jeunesse et du quartier disparu – se retrouve fréquemment dans la littérature tanguera des années 1930 et 1940. A partir des années 1915, en effet, les chansons de tango perdent le caractère allègre et parfois obscène des origines pour devenir tristes et romantiques. Le tango cesse alors d’être un « reptile de lupanar » pour être accepté dans les salons de la bourgeoisie et dans les classes populaires « honnêtes » tandis que la croissance urbaine, nourrie par le flux migratoire, dévore les vieux faubourgs périphériques où il était né.

Les auteurs de l’époque, sensibles à l’âme d’une narration d’immigrants déracinés, sont par ailleurs très influencés par l’œuvre de poètes non tangueros, comme Evaristo Carriego, qui sut découvrir le premier la poésie simple du faubourg. Ils vont alors multiplier les références nostalgiques aux lieux disparus de leur jeunesse et aux personnages qui les habitaient. Manuel Romero évoque dans Tiempos Viejos (1926) les temps anciens où « les hommes étaient plus hommes qu’aujourd’hui ». Catùlo Castilo se demande dans Tinta Roja (1941) « Qu’est devenu mon vieux quartier ? Qui m’a volé ma jeunesse ? ». Lorsqu’il n’a pas été détruit par l’expansion urbaine, le faubourg peut devenir l’ultime refuge d’anti-héros amers et vaincus par la vie, comme ceux de Las Cuarenta (Fransisco Gorindo, 1937) ou de La casita de mis viejos (Enrique Cadicamo, 1931). Mais son évocation, au milieu des tumultes de l’existence, peut aussi constituer une source de bonheur et de sérénité, comme dans Melodia de arrabal (Mario Battistella/Alfredo le Pera, 1932) ou dans Madeselva (Luis César Amadori, 1931).

On notera qu’un quartier est évoqué avec une fréquence particulière : celui de Boedo. Carlo Liyera écrit par exemple Boedo en 1928, et José Milano, Mi Boedo querido au début des années 1940. ce quartier possédait en effet trois caractéristiques qui le destinaient à figurer en quelque sorte au « hit-parade » des évocations nostalgiques : situé au sud de Buenos-Aires, il constituait le symbole même du « faubourg pauvre », au charme à la fois populaire et semi-rural ; siège d’un important cénacle poétique au cours des années 1930 ou 1940, rassemblant des auteurs aussi connus que Homero Manzi, José Gonzalès Castillo et son fils Catùlo, il fut le berceau d’une poésie de sensibilité plus populaire, plus urbaine, plus sociale que celle du « centre-ville » (Cadicamo,…), à la tonalité plus intimiste et élégiaque. Enfin, il fut tout simplement le lieu où Homero Manzi passa son enfance, et le critique José Gobello a pu établir que les paysages évoqué dans Sur (le terre-plein, la boutique du ferronier) ne sont pas nés de l’imagination du poète, mais ont un caractère réellement autobiographique.

L’œuvre fut étrennée en 1948 par la chanteuse Nelly Omar, puis enregistrée, la même année, par Floreal Ruiz, Julio Sosa et surtout Edmundo Rivero, accompagné par l’orchestre de Anibal Troilo, dans une version qui fera longtemps référence. Parmi les nombreux enregistrements postérieurs, on notera notamment la magnifique interprétation de Roberto Goyeneche, également accompagné par l’orchestre de Troilo, qui date de la fin des années 1950.

Fabrice Hatem

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