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Comment Grenier m’a volé la Croix

grenier1 Ca faisait près de 2 mois que nous attendions ce moment : venger le maréchal Lannes et les 5000 braves qui s’étaient fait envoyer au père Eternel par les autres chiens à la fin Avril. Depuis, nous étions retranchés dans l’île Lobau, préparant soigneusement notre revanche. Et, quand on fait partie du corps de Davout, division Friant, on sait ce que l’exercice et la discipline veulent dire : marches, revues, inspection en détail des armes et du paquetage… Ils ne nous ont vraiment rien épargné, nos officiers.

grenier3 Enfin, il fallait ça pour ça : le soir du 4 juillet, le 33ème de ligne était fin prêt pour le combat. Depuis une semaine, nous avions compris que c’était pour bientôt : les autrichiens se pressaient de plus en plus nombreux sur l’autre rive, dans la plaine d’Aspern ; l’Etat-major de l’Empereur au grand complet était arrivé de Vienne ; les pontonniers préparaient leur matériel, bien en cachette de l’ennemi ; nos officiers multipliaient les exercices et les inspections.

grenier2 Un peu avant minuit, nous entendons tousser le brutal dans nos lignes : c’est le signal que la fête va commencer, sous une pluie battante. Puis nos pontonniers se mettent à l’œuvre, et vers 5 heures du matin, notre régiment avait entièrement débarqué sur la rive gauche, avec le reste de la division. Et là, pas traces d’autrichiens : ni feu de batteries, ni combats d’escarmouche, rien… Dans les rangs, on se demandait s’ils avaient déguerpis de nous voir arriver si déterminés, on bien s’ils nous préparaient un piège… même nos officiers avaient l’air de ne pas trop savoir à quoi s’en tenir.

gre4 Bref, nous avançons vers l’est de la plaine du Marchfeld, vers Probstdorf, où nous attendons les ordres, bientôt rejoints par le reste du corps de Davout vers 10 heures. De combat, que nenni, sauf quelques engagements de cavalerie, sur notre droite. Mais nous voyions bien les autrichiens, avec les habits blancs, regroupés sur les hauteurs du Russbach, autour d’une grosse tour carrée. Pendant toute la journée, nous continuons à avancer ainsi vers eux dans la plaine, plein nord, prenons les villages de Rutzendorf puis de Glinzendorf presque sans coup férir, et attendons de nouveau. Mon régiment, avec le reste de la brigade Gilly, était alors en ligne à la gauche de ce dernier village. Pour nous, la soirée se passa assez tranquillement, tandis que nos camarades de la division Gudin, après avoir sans succès tenté d’emporter le village de Markgrafneusiedl qui est devant nous, sur les hauteurs du plateau, le canonnèrent jusqu’à la nuit.

gren7 On ne peut pas dire que notre bivouac fut du plus grand confort : pensez, 30 000 hommes et plus de 5 000 chevaux à nourrir avec les ressources de 2 petits villages, entre une grande prairie sans beaucoup d’arbres et les étendues boueuses du Russbach ! Inutile de vous dire que les quelques cochons et poulets du coin ont passé un sale quart d’heure. Encore fallait-il trouver un peu de bois sec pour faire cuire proprement le cornant. Bref, beaucoup d’entre nous ont dû, comme trop souvent, se contenter d’un bout de biscuit, arrosé d’une rasade de sauve-la-vie achetée chez la cantinière. Dans notre escouade, nous avons eu un peu plus de chance : notre section était en avant-postes sur les bords du Russbach, et, comme beaucoup d’entre nous venaient du Poitou, nous nous y connaissions, question pèche dans les marais : bref, nous nous sommes rassasiés de carpes et de tanches, malheureusement mal cuites faute de bois. C’était à vrai dire un peu écoeurant, mais nous avions si faim… Et puis, un peu de sommeil, mais pas pour longtemps, car la fête allait bientôt commencer…

baum67 Vers 4 heures du matin, nous sommes réveillés par la générale : ce sont les autrichiens qui nous attaquent sur toute la ligne, alors que le jour n’est pas encore levé. Ils sont plusieurs milliers à se ruer sur Glinzendorf, que nous défendons pied à pied, sous les ordres du brave Colonel Pouchelon. Avec ma section, je m’étais mis en position, bien à l’abri derrière le coin d’une maison, pour fusilier en enfilade les z’à la crème qui essayaient de passer la rue, à 20 toises de là. Nous en avons bien estourbi ainsi une cinquantaine avant qu’il ne nous repèrent et nous attaquent à la fourchette. Mais on les a bien accueilli les fusillant sur trois côtés avant de nous précipiter sur eux en hurlant comme des furieux. Bref, en deux temps trois mouvements, ils étaient en débandade.

baum77 Au bout de 2 heures, l’attaque autrichienne avait échoué sur toute la ligne et les habits blancs étaient retournés sur leur position de départ. Mais je n’en menais pas large : j’avais attrapé au bivouac un flux de ventre et j’étais obligé de m’éloigner tous les quarts d’heure de ma section pour pouvoir m’isoler et faire sans souiller mon pantalon. Ce que voyant, mes hommes, sans vraiment croire ce qu’il disaient d’ailleurs, m’apostrophaient en disant : « eh, sergent, on veut jouer le loin-des-balles aujourd’hui ? Gardez donc votre fumier pour les champs du Poitou !!! » Et autres idioties de ce genre qui me mirent d’une humeur massacrante et ne contribuèrent pas peu à mes faits d’armes pendant le reste de la matinée.

Nous eûmes à ce moment quelques heures de relatif répit qui nous permirent de panser nos plaies, d’amener nos blessés aux ambulances et de regrouper les prisonniers. Notre peloton eut même le temps de préparer un bouilli avec quelques morceaux de viande séchée trouvée dans la cave d’une ferme, cuits à l’aide des meubles de la maison… Si Davout nous avait vu, il aurait été capable de nous faire fusiller. Mais mes hommes avaient si faim que notre capitaine ferma les yeux et que je les laissais faire … Sans toutefois partager leurs agapes pour les raisons que je vous ai dites. Et ce petit réconfort ne leur fut pas inutile, compte tenu de ce qui allait suivre.

balum68 Vers 8 heures, le tambour sonna à nouveau et notre régiment fut mis en disposition de combat. Nous eûmes bientôt, de la boue jusqu’aux genoux, franchi le ruisseau -ou plutôt le marais – du Russbach pour tourner Markgrafneusiedl, pendant que l’artillerie du corps le bombardait copieusement le village. Nous attaquâmes bientôt les retranchements de l’ennemi autour de la tour carrée, complètement en flammes. Ils étaient bien protégés derrière des levées de terres et des barricades, et nous accueillaient par un feu nourri, qui stoppa net notre avance. C’est à ce moment que je décidais de montrer à mes hommes que le sergent Donnet, même avec la chiasse, était un vrai crâne, digne de ses galons gagnés à Iéna.

gren6 La barricade des autrichiens était adossée, au bout de la rue à une maison de deux étages, dont les toits communiquaient avec celle derrière laquelle nous étions retranchés. Il y avait par chance une grande échelle conduisant à la grange d’une ferme voisine. J’avise un peloton de grenadiers, je leur ordonne de prendre avec eux 10 grenades chacun, nous adossons l’échelle sur le mur de la maison, et nous voila, après quelques rétablissements périlleux, à gambader discrètement sur les toits, en file indienne, direction les kayserlicks. Une fois en position au dessus d’eux, nous commençons à les arroser de nos grenades, semant la mort et la confusion dans leurs rangs. Bing !! Bang !!

baum81 Profitant de ce répit, le reste de la demi-compagnie, commandée par le sergent-chef Grenier, se rue sur la barricade qu’elle prend d’assaut à la baïonnette, faisant 50 prisonniers et enlevant deux pièces de 4 que nous retournons immédiatement contre les habits blancs en fuite. Cette action, je le dis sans forfanterie, contribua largement à chasser l’ennemi du village : car bientôt, notre régiment, l’obstacle franchi, put aborder et prendre la fameuse tour.

gren9 Malheureusement pour moi, je n’en tirai pas grand profit pour ma carrière. En effet, en redescendant du toit de la maison d’où nous avions si bien grenadé les autrichiens, je ratais un appui et fis une chute de près de trois mètres de haut qui me brisa net la cheville et m’immobilisa, couvert de sang, pour le reste de la bataille. Cela m’empêcha de suivre l’avancée de mon régiment vers Blocklfless et de participer à la poursuite des autrichiens en retraite.

grenier10 Mais surtout, cela me coûta, au moins pour cette fois, la Croix. En effet, profitant de mon éloignement du champ de bataille, le sergent-chef Grenier, qui avait commandé l’assaut contre la barricade, s’attribuant tout le mérite de l’opération, fut cité à l’ordre du régiment et proposé pour la Croix par le Colonel Pouchelon. Ce qui prouve d’un soldat courageux peut être aussi malhonnête et mauvais camarade. Qu’importe, je me vengeais quelques mois plus tard en le provoquant en duel et en lui fracassant l’épaule d’un coup de pistolet bien ajusté.

Source principale : Dictionnaire des batailles de Napoléon, Alain Pigeard, Editions Tallandier, pages 912 à 925.

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