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Poésie et littérature

Naissance et épanouissement du tango-chanson

diego petersenl Editeur : La Salida n°27, Février-Mars 2003

Auteur : Diego Petersen

Naissance et épanouissement du tango-chanson

Diego Petersen, poète et universitaire d’origine argentine, vit en France depuis 1980. il fait revivre dans ce texte les principales étapes historiques du tango chanson, depuis l’invention du genre par Pascual Contursi jusqu’à la grande période des années 1940.

Pascual Contursi et Carlos Gardel inventent le tango chanson

En 1916, Pascual Contursi, en composant les vers de « Mi noche triste » (Ma triste nuit), révolutionne la chanson populaire Argentine, en posant les bases du tango-chanson. L’écrivain et universitaire Saùl Yurkievich, dans le prologue à l’anthologie « Tango », explique en quoi la démarche de Contursi est nouvelle :« Le tango abandonne ses formes simples, répétitives ainsi que les paroles naïves des rimailleurs de banlieue. Il se personnalise, commence à raconter des histoires, met en œuvre l’introspection, véhicule des sentiments plus subtils, diagnostique, fait la morale ou philosophe. L’apologie des voyous est remplacée par un vaste répertoire thématique (Henry Deluy et Saùl Yurkievich, « Tango, une anthologie », P.O.L., Paris, 1988, p.27).

« Mi noche triste », dont l’argument est sentimental, dose finement des mots populaires, ou lunfardos, et des mots cultivés et poétiques, pour décrire de manière élégiaque l’histoire d’un amour brisé par l’abandon, thème souvent traité dans cette Argentine de l’immigration à forte population masculine. La chanson commence de la façon suivante : Percanta que me amuraste / en lo mejor de mi vida, / dejàndome el alma herida / y espinas en el corazòn.

Percanta, dans l’argot de Buenos Aires, le lunfardo, évoque populairement la femme, ou dans une projection plus argotique, la môme. Et le verbe amurar, dans le langage portègne est synonyme d’abandonner, lâcher, planter là. Contursi parle de sa solitude et de tous les objets qui l’entourent et lui rappellent sans cesse l’absence de sa compagne. Même la guitare dans la penderie, dit le deuxième couplet, reste silencieuse, personne n’osant faire vibrer ses cordes.

Dans ces premiers tangos-chansons, la rime est simple et peut rapidement s’adapter à la musique, car, organisés en quatrains, les vers peuvent s’accrocher mélodieusement à un refrain ou à une ritournelle.

Un an plus tard, Carlos Gardel chante « Mi noche triste » au théâtre Esmeralda et inaugure ainsi un nouveau genre : le tango est capable d’exprimer les sentiments de l’époque en racontant ses vicissitudes, ses espoirs, ses malheurs…

Discépolo et la crise mondiale de 1929

C’est dans le contexte de la crise économique et politique que traverse l’Argentine au cours des années 1930 qu’il faut situer l’œuvre du poète et parolier 1930 qu’il faut situer l’œuvre du poète et parolier Enrique Santos Discépolo. Anarchiste et intellectuel, Discépolo part à la recherche de l’adjectif juste, de la parole précise, dans une combinaison d’argot et d’expressions familières. Son titre « Cambalache » (Débarras) est le meilleur exemple de cette décomposition et perte de valeurs. Dans cette Argentine « tout est pareil et rien n’est meilleur : un âne est pareil à un grand professeur… les immoraux nous ont rendu tous égaux ». La critique de Discépolo est acerbe et visionnaire, car aujourd’hui même, comme il l’exprimait précisément dans son tango : « Donde hay un mango, Viejo Gòmez ? » (Où y a-t-il un sou, Vieux Gomez ?), seul compte « mettre en poche beaucoup d’argent, vendre son âme, tirer au sort son cœur… ».

Quelque chose d’une vision légèrement nihiliste du monde, si bien écrite par lui, est restée dans le tempérament actuel des portègnes. Dans les vers de Esta noche me emborracho, il montre aussi que malgré la vie facile, les plaisirs et l’argent, le temps nous rattrape, avec son bagage de décrépitude, de solitude et d’oubli… L’écrivain Ernesto Sàbato, dans un entretien publié récemment dans le Courrier International, dit à ce sujet : « Quelle sagesse que celle de Discépolo ! J’ai souvent écrit sur le tango. C’est une des choses positives de ce pays, avec une langue populaire d’une grande profondeur. Le tango, dans son sens le plus profond, nous parle de la condition humaine. D’autres chants, d’autres danses sont jolies, amusants. Le tango, lui, est métaphysique ».

La floraison des années 1930 et 1940

A partir des années 30, période de développement des grands orchestres, les arrangements deviennent plus complexes. Le vers libre commence à faire son apparition, la composante mélodique exigeant plus d’effort de la part du chanteur. Musique et paroles cherchent ainsi une complémentarité plus étroite. Dans les années quarante, période des grands orchestres, bals, salons, les noms de Homero Manzi, Enrique Cadìcamo et Càtulo Castillo sont à ajouter à la longue liste des paroliers. La poétique du tango devient réflexive, évocatrice, impressionniste. C’est le cas des titres tels que : « Sur, Malena, Garùa » (La bruine), « La ùltima curda » (La dernière cuite), « Los mareados », (Les enivrés), « Silbando » (En sifflotant), « El ùltimo café » (Le dernier café), etc.

Diego Petersen

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