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Le festival international de Tarbes 2003 : une ville ensorcellée, des tangueros heureux

ImageEditeur : La Salida, n°35, octobre-novembre 2003

Auteurs : Gerry Kenny, Martine Peyrot

Le festival international de Tarbes 2003 : une ville ensorcellée, des tangueros heureux

Tarbes à la fin de l’été, ambiance chaleureuse, rues animées, mais qui sont ces drôles de touristes, qui se promènent avec un petit sac à chaussures au bout du bras, sans craindre ce soleil de plomb ? Des tangueros, naturellement, et de toutes les régions de France et de nationalités diverses : Français et Espagnols en tête, allemands, canadiens, italiens et beaucoup d’autres.

Ce fut un grand festival : 3 orchestres, le Sexteto Menor, Sexteto Veritango et Sexteto Andorinha, 6 couples de danseurs dont Gustavo Naveira, Félix Picherna célèbre DJ argentin à la console et animateur d’un stage, stages de musique avec A. Marcussi, animation de la ville, exposition de peintures…. Michel Duhamel de l’association Tangueando d’Ibos, répond à nos questions.

LS : comment est né le Festival de Tarbes ?

: un concours de circonstances ! Je travaillais avec la mairie dans un domaine sportif tout autre, et je dansais déjà le tango. Un de mes collègues me dit : mais pourquoi tu ne nous ferais pas quelque chose pour la ville avec ton tango ? Et voilà : le 1er festival est né en 1997, nous avons profité de la sortie du film de Pablo Véron pour le lancer. Projection du film en avant première, 2 couples de danseurs, dont Léo et Eugénia, moins de cent stagiaires. Dès le 1er festival, nous avons utilisé la halle Marcadieu, cet endroit plaisait beaucoup à Pablo: « Tiene alma » disait-il ; le jeudi, le marché se termine à 14h00, on remballe les fromages, les poissons, les poules, on nettoie à fond et on passe la nuit à installer le Festival qui démarre le lendemain. C’est fou !

LS : comment êtes-vous parvenu au niveau international en si peu d’années ?

Michel : Pour hisser ce festival à ce niveau, l’association a pu s’appuyer sur l’office du tourisme, le Conseil régional, et la Mairie. Ensemble nous poursuivons un même objectif, ouvrir la ville à l’international, l’animer à la fin de l’été, avec la participation des commerçants. Les apéros Tangos aux terrasses des cafés attirent beaucoup de monde…

LS : et dans l’avenir ?

Michel : Toujours plus d’implication de la ville. L’an prochain, nous souhaitons surtout mettre l’accent sur l’initiation, préserver la qualité des cours en ne dépassant pas un certain nombre d’élèves, et offrir un spectacle d’1heure 15 maximum, le vendredi et samedi. Au programme également, refaire la Halle Marcadieu pour qu’elle soit encore plus belle, plus accueillante et encore mieux sonorisée.

Alors, à l’année prochaine, pour une 7ème édition du festival de Tarbes, aussi réussi que cette année et merci pour la qualité de l’accueil de votre ville: Objectifs atteints les tarbais !

Propos recueillis par Martine Peyrot

Attención, attención!

Jeudi 21 août 2003, vers 21 heures, sur la Place de Verdun, à Tarbes. L’homme à la veste blanche, cigarette aux lèvres, qui semble si pris par sa réflexion derrière la console avec les techniciens, c’est Felix Picherna. A 67 ans, il est le disc jockey de tango le plus célèbre du monde, avec une réputation bâtie dans les clubs de Buenos Aires (Almagro, Pavadita, Sunderland, Confiteria Ideal) et maintenant confirmée en Amérique du Nord et en Europe. Et le voici au 6° Festival de Tarbes pour animer trois bals et deux après-midi de stage avec les fadas de la programmation musicale.

La première fois qu’il prend le micro, c’est pour animer l’intermède entre les sets de Veritango, l’orchestre d’Alfredo Marcucci. Ce type de soirée est très difficile à bien mener car le DJ joue un rôle délicat : c’est à lui de trouver le moyen de travailler en harmonie avec l’orchestre sachant très bien que les musiciens vont, de toute façon, jouer des morceaux prévus à l’avance, quelle que soit la réaction des danseurs. Felix, quant à lui, ne peut compter que sur lui-même et sur la musique qu’il a apportée dans sa grande valise – ses fameuses cassettes, aussi étranges pour nous que des 78 tours, mais qu’il va manipuler de façon tout aussi étrangement précise. Comme il dira à ses stagiaires, un tel état de concentration lui impose certaines règles de travail au moment du bal qu’il respecte rigoureusement : il ne danse pas, il ne boit pas d’alcool et il construit sa programmation de façon improvisée en fonction de ce qu’il observe. Fumer est autorisé. Et pour choisir sa musique il puise dans des ressources considérables. Selon Felix Picherna, il existe environ 25 000 tangos enregistrés dont 3000 qui sont, pour lui, « bailables », c’est-à-dire dansables. J’ose à peine imaginer le nombre de morceaux qu’il a dû programmer depuis ses débuts en tant que DJ au Club Viento Norte à Irquiza Villa en … 1958.

Au micro, il se présente aux danseurs, les salue d’une voix chaleureuse, puis passe son premier morceau. Il débute chaque bal par la même introduction : « Felix Picherna, su humilde servidor… », qui promet d’amener les danseurs intensamente jusqu’au bout de la nuit. Questionné sur cette façon qu’il a de parler entre les morceaux, un peu comme à la radio, il avouera avec beaucoup de modestie que c’est le style qu’il a trouvé, que cela correspond à sa personnalité, à sa manière de vivre sa passion, et que chaque DJ doit chercher son propre style. Puis il rajoutera que ceci lui permet de poser quelques marques familières dans un travail par ailleurs improvisé, car il ne sait jamais à l’avance ce qu’il va mettre tout au long d’une soirée, mais tente seulement de proposer dans des instants de bal ce qui correspond à l’ambiance qui règne ou qu’il cherche à créer. Il nous parlera de l’importance de choisir les orchestres en fonction de l’âge des danseurs, surtout au début, avec D’Arienzo et Tanturi pour les publics jeunes, et Pugliese (version années 40) et Di Sarli pour les publics plus âgés, car un DJ doit travailler sur la durée de plusieurs heures de bal et ne doit pas épuiser les danseurs trop vite. Il donnera de nombreux titres de tangos pour préciser les choix possibles, orchestre par orchestre, de mémoire. Il nous dira que, en tango, les années 40 commencent en 1935 pour finir en 1948. Il nous parlera des grands orchestres de cette époque, nous passera des titres, puis nous recommandera d’autres formations dites de « Segunda categoria », mais de grande qualité pour le bal. Il nous dira son admiration pour Pugliese et sa capacité à révolutionner le tango dans le respect de la tradition. Il nous dira son amour pour Gardel. Il nous passera « Libertango », désigné comme le seul tango bailable de Piazzolla, avant de nuancer cet avis face aux interrogations de certains en passant « El Desbande » du même Piazzolla de 1946, nous montrant les prémices de tous les traits de style de la maturité du bandonéoniste lorsqu’il ne ferait plus du tango mais simplement de la música de Buenos Aires .

Sur la Place de Verdun, le premier morceau vient de commencer. Les danseurs hésitent, car ce n’est pas un tango même si l’air est familier. Picherna ne fait rien de plus. Il attend. La musique et l’irrésistible envie de bouger travaillent pour lui. Après cet instant de flottement magique, les couples se mettent au swing lent et élégant que suscite Sidney Bechet et sa « Petite fleur ». A la fin du morceau, les danseurs entendent les remerciements au micro, car Felix Picherna remercie toujours les danseurs, qu’il porte avec pasión et attención, attención… Car, n’en doutez pas un instant, lorsque Picherna met la musique, sa partenaire c’est la milonga toute entière.

Gerry Kenny

Texte publié dans El Zorzal revue de l’association Tangueando de Toulouse en septembre 2003

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