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Entre autoritarisme et chaos

Journal d’un confiné – Vertigineuse spirale

21 avril 2020

La thèse de l’ouvrage que je suis en train de terminer, « La dictature insidieuse – du totalitarisme au chaos », tient au fond en quelque mots : l’Etat français est entraîné dans une vertigineuse spirale destructrice, caractérisée par une montée simultanée de son autoritarisme et de son inefficacité. Deux caractéristiques qui d’ailleurs se nourrissent mutuellement, laissant la société française chaque jour un peu plus dépendante, passive et affaiblie face à cet Etat-Moloch à la fois obèse et incapable.

Je ne me doutais pas, en commençant il y a un peu moins d’un an la rédaction de ce livre, à quel point la crise sanitaire actuelle allait me fournir une sorte de confirmation expérimentale grandeur nature de cette thèse, tout en accélération considérablement le scénario d’émergence de ce totalitarisme chaotique que j’entrevoyais.

Je voudrais donc reprendre ici les séquences de la crise que nous traversons aujourd’hui pour les analyser à la lumière de mes hypothèses.

Précisons d’abord que je ne prétends pas que ce phénomène de dérive des Etats vers un autoritarisme inefficace soit un phénomène propre à la France. Je pense qu’il s’agit au contraire d’une tendance mondiale, alimentée par toutes sortes de tendances profondes liées au progrès des technologies, à la demande de protection croissante exprimé par les sociétés, à la formation de réseaux d’interdépendance toujours plus complexes et fragiles et au caractère massif des investissements qui leur sont associés. A cet égard, l’hypothèse selon laquelle l’origine de la pandémie actuelle serait liée à une défaillance de sécurité dans le laboratoire P4 de Wuhan m’a beaucoup frappé : elle laisse en effet entrevoir le visage d’un Etat chinois désormais doté de moyens technologiques impressionnants, mais qui, par son incapacité à les contrôler, aurait involontairement provoqué la crise mondiale que nous connaissons. Mais passons, ce n’est pas mon sujet d’aujourd’hui.

Mon sujet d’aujourd’hui, c’est la France. Et à cet égard, il me semble que notre pays est allé plus loin que beaucoup de ses voisins dans l’émergence ce monstre autoritaire et incapable qu’est devenu l’Etat. Comme en témoigne, entre mille autres indicateurs, notre peu glorieuse première place au sein des pays de l’OCDE en matière de pression fiscale et de poids des dépenses publiques. Même la Suède et la Chine (si, si…) sont allées moins loin que nous.

Il s’agit d’ailleurs là d’un processus à la fois de très long terme – il a commencé, si l’on va au fond des choses, il y a plus de 1000 ans – et qui dépasse très largement les volontés individuelles. Nous sommes ici confrontés à une très lente dérive pathologique de notre modèle de décision collective. Si l’Etat français est devenu le monstre qu’il est aujourd’hui, c’est très largement parce que la société française et les individus qui la composent ont de facto accepté voire encouragé cette dérive. En ce sens, et pour revenir à l’actualité, faire de nos dirigeants politiques actuels les seuls responsables des défaillances révélées par la crise sanitaire que nous traversons revient à chercher des boucs émissaires faciles pour nous exonérer de notre responsabilité collective. Même si, bien sûr, nos ministres ont eux aussi leur part d’imprévoyance coupable, de réactions trop lentes ou d’erreur de diagnostic.

Mais enfin, on a les dirigeants qu’on mérite, et si ceux-ci ont trop longtemps, en début d’année, sous-estimé la gravité de la crise qui s’annonçait, c’est parce que la société française tout entière, c’est-à-dire chacun d’entre nous, l’a sous-estimée. C’est, je crois, une grande tradition nationale de penser que la ligne Maginot va arrêter le nuage de Tchernobyl parce nos fusils Chassepots sont meilleurs que ceux des prussiens, que nous sommes tout de même plus disciplinés que ces marioles d’Italiens et que notre Etat omnipotent a tout prévu. Et c’est largement dans cette illusion collective, reposant fondamentalement sur une surestimation des capacités d’action et de l’efficacité de notre Etat – et concomitamment sur une forme de passivité de la société civile prête à confier aveuglément son destin à ses fonctionnaires et à ses dirigeants politiques – que s’enracinent certaines des plus grandes crises de notre histoire. Mais revenons à nos moutons confinés.

Commençons par la situation dont nous héritons en début d’année. Nous nous vantons depuis longtemps d’abord l’un des meilleurs systèmes de santé du monde, en tout cas bien meilleurs que celui de ces cow-boys américains incapables de mettre en place une sécurité sociale digne de ce nom, ou même que ces pingres d’allemands qui ont honteusement réduit depuis 20 ans la part des dépenses de santé dans leur PIB alors que nous les avons augmentées. Mais, patatras, la crise révèle soudain que malgré un coût global de leur système de santé inférieur au notre, les allemands sont finalement mieux préparés que nous pour affronter la crise sanitaire, en particulier parce qu’ils ont beaucoup plus d’équipements de réanimation, de masques et de moyens de tests. Bref, elle révèle l’inefficacité de la dépense publique en France, grevée, dans le domaine de la santé comme dans tous les autres, par l’absence d’évaluation des programmes, l’incapacité à réformer des structures obsolètes, la prolifération des bureaucraties, l’existence de rentes de situations alimentant la résistance au changement, le court-termisme des politiques, etc.

Bref, le système de santé français, bien qu’il nous coûte très cher, arrive déjà en mauvais état pour affronter la crise. Celle-ci commence à révéler toute sa gravité en janvier, lorsque les autorités chinoises bouclent complétement la ville de Wuhan. Une gravité qui n’échappe pas, encore une fois aux autorités allemandes qui commencent à compléter les stocks de matériels pour faire face à une crise éventuelle. Pas plus d’ailleurs qu’aux chinois de Paris qui ne ruent, paniqués, sur les stocks de masques des pharmacies de Belleville et du XIIIème arrondissement pour en envoyer à leur famille. Mais la population française – toute entière – continue à se bercer, comme à l’été 1870, comme au printemps 1940, comme en avril 1986, d’une étrange illusion de sécurité collective, alimentée par le discours rassurant de nos dirigeants : « ce n’est pas très grave, rien qu’une mauvaise grippe, ça se passe très loin d’ici et d’ailleurs nous avons tout prévu et nous sommes prêts à agir en cas de problème » (pas comme ces marioles d’italiens, donc).

On ne peut reprocher à nos dirigeants d’avoir été en quelque sorte victime de la même étrange illusion collective de sécurité qui nous affectait alors. Je me souviens à cet égard très bien de la manière dont je me moquais encore début mars de mes amis chinois, qui portaient déjà un masque depuis des semaines et essayaient de me convaincre de la gravité de la crise, alors que je m’esclaffais d’un rire goguenard devant leur ridicule accoutrement chirurgical. Mais par contre, on peut légitimement reprocher à nos dirigeants – ou plutôt à la machine étatique française dans son ensemble – de n’avoir en fait, pendant deux mois, pris aucune mesure préventive sérieuse alors même que les autorités allemandes complétaient activement leur stock de matériel. Signe aveuglant d’un manque de réactivité structurel, lié à un système trop centralisé, trop bureaucratique, percevant toujours avec un temps de retard les signaux de crise et y réagissant ensuite avec un autre temps de retard lié à la lourdeur des chaînes de décision.

Bref, nous arrivons au 15 mars avec un système de santé public affaibli par 40 ans de mauvaise gestion et qui a gaspillé deux précieux mois pour se préparer à la crise. Celle-ci, subitement, se révèle alors dans son ampleur tragique. Et s’enclenche alors, avec une violence et une rapidité que moi-même je n’avais pas anticipé, un effroyable cercle vicieux d’autoritarisme brutal, de ruine et de chaos.

Sans doute le gouvernement n’avait-il d’autre choix, compte tenu des défaillances de l’impréparation que j’ai évoquées plus haut, que de prendre des mesures de confinement extrêmement brutales pour enrayer l’épidémie. Il n’empêche que ces mesures sont train de provoquer dans tous les domaines de la vie sociale des conséquences extrêmement graves. Faillite morale impardonnable lorsque nous abandonnons à une mort solitaire nos aînés dans les Ehpad. Faillite économique lorsqu’un salarié du privé sur deux est mis au chômage technique et que des secteurs entiers d’activité, comme la restauration ou le petit commerce, sont exposés à un risque de disparition pure et simple. Faillite sociale lorsque nous sommes à la fois exposés à l’interdiction de toute relation sociale extérieure et à l’obligation d’un confinement familial restreint, source potentielle de tensions.

L’Etat provoque donc dans un premier temps, par ses décisions arbitraires et brutales, une profonde désorganisation de la société. Une société qu’il est parvenu, d’un coup de baguette magique malfaisante, à subitement appauvrir, isoler, réduire à l’inaction et à l’impuissance, et livrer de ce fait à la peur, à l’angoisse et à des tensions de toutes sortes.

Et, fort de magnifique résultat, pensez-vous qu’il va faire une sorte de retour sur lui-même, s’interrogeant sur les conséquences néfastes d’une utilisation immodérée de son pouvoir ? Non, pas du tout !!! Il va au contraire prendre en quelque sorte prétexte de chacune des crises qu’il a lui-mêmes provoquées pour s’enfoncer tête baissée, dans une fuite en avant d’autoritarisme et d’interventionnisme toujours plus poussé.

10 millions de personnes ont été privées de travail par ses décisions ? Qu’à cela ne tienne, transformons-les en assistés par une généralisation du chômage partiel !!

Les gens comprennent mal qu’on veuille les empêcher de faire une ballade au bord de la plage ou d’aller voir leur maman malade ? Qu’à cela ne tiennent, achetons des centaines de drones pour les surveiller, et déployons 100000 policiers pour les verbaliser !!

Des milliers d’entreprises risquent la faillite parce qu’on les empêche de fonctionner ? Qu’à cela ne tienne, nationalisons les plus grosses et allégeons les charges des autres par un jeu de bonneteau consistant à priver leurs bailleurs des loyers dus – comme si cela ne conduisait pas, simplement, à déplacer le problème d’un cran…

Les gens enfermés les uns sur les autres ont parfois du mal à supporter ce huis-clos imposé ? Quel merveilleux prétexte pour alimenter le discours féministe sur les violences conjugales, justifiant ainsi les appels publics à la délation et les interventions toujours plus nombreuses de la police dans les domiciles privés !!!

Les conséquences de cette fuite en avant frénétique sont simples à anticiper : une terrible régression des libertés publiques et la criminalisation de masse des gens ordinaires ; un interventionniste économique désormais sans limites ; la transformation brutale de la France en une société d’assistés ; et, à court terme, la perspective d’une gigantesque crise économique et financière résultant du caractère intrinsèquement non soutenable de cette situation. Crise qui sans doute, constituera à son tour un merveilleux prétexte à une spoliation généralisée de notre épargne et à une augmentation des impôts, soi-disant pour des raisons de solidarité.

Donc, je résume : l’Etat français a été incapable, malgré ses immenses moyens, d’anticiper correctement la crise sanitaire. Il de ce fait été amené, pour enrayer l’épidémie, à prendre des mesures extrêmement brutales qui ont violemment affecté la société française dans toutes ses dimensions ; pour compenser les conséquences tragiques de ses propres décisions, il augmenté ses dépenses de manière totalement irresponsable ; il sera donc bientôt confronté à une situation d’urgence financière, qui l’amènera, d’une manière ou d’une autre à ruiner et à spolier autoritairement l’épargne des français.

Donc, c’est exactement ce que j’annonce dans mon bouquin : un autoritarisme sans efficacité ; un totalitarisme qui conduit in fine au chaos. Mais cela ce processus, je que voyais comme très progressif, s’est brutalement emballé pour aboutir, beaucoup plus rapidement que prévu, à ses conséquences ultimes. Il faut donc que je termine très vite mon livre, maintenant, parce que sinon il va bientôt être totalement dépassé par les événements !!!

Vous serez donc privées, mesdames, de poèmes d’amour pendant huit jours.

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