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Petites pochades sans importance

Lettre d’un casseur à sa femme

Paris, le 3 décembre 2018

Bonjour Françoise,

Je t’écris en vitesse ce petit mot avant d’être transféré à Fresnes. Je viens d’être condamné à trois mois de prison pour violences contre les forces de l’ordre et pillage. Je suis désespéré.

Quand je suis monté à Paris samedi dernier avec les copains de Vernon, je voulais juste manifester tranquillement pour qu’on arrête d’augmenter nos impôts.

Et puis sur les Champs-Elysées, ll n’y avait personne, les CRS filtraient l’entrée.

Alors, j’ai fait comme tout le monde, j’ai commencé à tourner autour de la place de l’Etoile.

Les gens étaient très calmes. J’ai même parlé gentiment avec un CRS.

Mais un peu plus loin, du côté de l’avenue Kleber, c’était très violent, il y avait de la fumée, des barricades, des voitures en feu, des gens qui envoyaient plein de projectiles sur les CRS.

  Moi, je n’ai rien fait, je suis resté tranquillement avenue Marceau avec les potes.

Et puis, on a essayé d’aller place de l’Etoile avec Pierrot et les autres. Les CRS nous ont laissé passer en nous disant que c’était à nos risques et périls. Ils ne croyaient pas si bien dire !!

Là, sur la place, il y avait toutes sortes de gens, à l’apparence parfois un peu inquiétante. Je ne sais pas si c’étaient des anars ou des fachos, mais ils avaient souvent une sale gueule et l’air très énervés. Ce n’était pas les mêmes gens tranquilles que sur l’avenue Marceau. L’Arc de triomphe était tout tagué, mais ils n’avaient pas touché la flamme du soldat inconnu, quand même.

Ensuite, j’ai perdu les potes et j’ai voulu m’en aller parce que j’en avais assez. J’ai pris l’avenue de la Grande-Armée pour rejoindre la porte Maillot. Au début, il y avait personne, juste un ou deux cordons de CRS. Alors, j’ai marché vers la Porte Maillot, mais à mesure que j’avançais, j’ai vu qu’en face de moi, il y avait une foule très agitée qui remontait vers l’Etoile. Ils essayaient de mettre le feu aux voitures, ils faisaient beaucoup de bruit, ils utilisaient les palissades comme des boucliers pour se protéger des CRS. Il en a même qui commençaient à défoncer les vitrines d’un magasin de scooters et d’un café.

Alors, j’ai commencé à avoir peur et j’ai essayé de rebrousser chemin pour ne pas être pris dans l’émeute.

Et puis tout d’un coup, c’est devenu très violent, il y avait des projectiles qui volaient partout, des grenades lacrymogènes, des pavés.

J’ai eu peur d’être blessé à la tête, et j’ai vu qu’il y avait des casques dans la vitrine défoncée du magasin. Alors j’en ai pris un pour me protéger.

Ensuite, j’ai continué à remonter l’avenue, mais ça devenait de plus en plus difficile de partir de là. Il y avait des voitures qui brûlaient, des casseurs qui jetaient des projectiles sur les flics.

Ensuite les CRS ont chargé, mais ils ont été repoussés.
Comme ils avaient un peu cogné autour de moi, ça m’a énervé, alors j’ai fait comme les autres, j’ai commencé à prendre ce qui traînait par terre pour leur lancer. J’en avais assez de cette violence !!

Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça, c’était sans doute toutes ces humiliations qui me sont remontées d’un coup : les traites qu’on n’arrive pas à payer, les amendes qui pleuvent même quand on n’a rien fait, le boulot de merde à 40 kms de notre pavillon pour un salaire misérable, les flics qui ne se sont même pas déplacés le jour où on a été cambriolés, les enfants qu’on ne peut même pas emmener au restau une fois par mois.. Et maintenant, pour couronner le tout, cette taxe qui va nous coûter un demi-mois de salaire de plus juste pour avoir le droit d’aller se faire exploiter !!! J’ai vraiment pété les plombs en pensant à tout ça !!! Alors, j’ai fait comme les autres, j’ai commencé à jeter des pavés sur les CRS.

Mais à ce moment, les CRS ont chargé de nouveau. Les autres autour de moi devaient avoir l’habitude, ils ont détalé en vitesse pour leur échapper. Mais moi, je suis resté presqu’immobile quelques secondes de trop avec mon pavé dans la main. Alors les CRS se sont précipités vers moi, ils m’ont plaqué au sol et ils m’ont menotté.

Ensuite, ils n’ont interrogé au commissariat. J’ai essayé de leur expliquer que je n’avais pas l’intention de casser ou de voler, mais l’inspecteur m’a dit que j’avais été arrêté avec un casque volé et un pavé dans la main et que donc il allait m’inculper pour une comparution immédiate.

J’ai passé la nuit en garde à vue. La plupart des autres étaient comme moi, ce n’étaient pas des casseurs, ils s’étaient juste laissé entraîner. En fait, les fics avaient surtout arrêté ceux qui étaient faciles à attraper, pas les casseurs professionnels qui avaient de l’expérience et connaissaient les trucs pour s‘enfuir à temps.

 J’ai passé une très mauvaise nuit. Je pensais à toi, aux enfants, et surtout au risque d’être condamné et de perdre mon travail, parce qu’alors adieu le pavillon de nos rêves   !!!

 Bref, on est passés le lendemain devant le juge. Comme on était très nombreux, il n’avait pas beaucoup de temps pour nous écouter. J’ai essayé de raconter mon histoire,   mais il ne m’a pas cru et il m’a lourdement condamné.

Quand même, ça fait drôle : j’ai travaillé honnêtement pendant 15 ans pour nourrir nos enfants et acheter le pavillon, je n’ai jamais eu d’histoire avec personne, et maintenant je me retrouve en taule à cause de cette manif.

S’il te plaît, va au garage pour expliquer ce qui se passe à mon patron et lui demander de ne pas me licencier, parce que sinon c’est la cata absolue et j’aurai plus qu’à me tirer une balle dans la tête en sortant.

Excuse-moi aussi pour tous les tracas que je te cause, mais tu sais bien que si je suis allé manifester, c’était pour toi et les enfants.

Voilà, je t’embrasse. Embrasse aussi Annie et Oscar, et dis-leur que leur papa pense bien à eux.

Dis aussi bonjour de ma part à Pierrot et aux copains. J’espère qu’il ne leur est rien arrivé.

Ton mari qui l’aime,

Paul

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