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The making of Latin London

ImageIssu d’un travail de recherche universitaire, ce livre a pour ambition de défendre une hypothèse théorique relativement complexe. Selon l’auteur, en effet, trois principaux facteurs influent sur la structuration identitaire d’une communauté issue de l’immigration : 1) les rapports de pouvoir liés aux politiques migratoires ; 2) l’existence de lieux où se déroulent des interactions sociales liées aux projections identitaires ; et 3) la manière dont les corps en mouvement vont s’imprégner de ces identités et les exprimer. Pour tester cette hypothèse, l’auteur a la bonne idée de prendre comme sujet d’étude empirique le cas de la Salsa à Londres dans les années 1990.

J’avoue n’avoir pas totalement réussi à comprendre ce point de départ théorique, ni à bien assimiler les très nombreuses références académiques qui sont égrenées au fil des pages, et dont les liens avec la partie empirique de l’ouvrage ne m’ont pas toujours paru évidents. Je n’ai pas non plus été particulièrement intéressé par les chapitres consacrés aux politiques migratoires britanniques, à l’atmosphère des lieux de Salsa ou à l’érotisation des corps dansants, soit parce qu’il agissait de sujets très éloignés de mes propres centres d’intérêt, soit parce que je n’ai pas eu le sentiment d’y avoir appris quelque chose de vraiment nouveau par rapport à ma propre expérience.

Les passages très factuels sur l’histoire et la géographie humaine de la Salsa à Londres ont pas contre vivement attiré mon attention.

Le livre présente en effet une perspective historique très vivante et fouillée sur la construction de la culture populaire latino à Londres. Celle-ci,  alimentée au cours des années 1980 et 1990 par un important flux migratoire, s’est manifestée sous différents aspects : création de radios musicales, de revues et boutiques spécialisées ; formation d’orchestres de Salsa ; multiplication lieux de loisirs nocturnes (peñas, night-clubs..), souvent au départ semi clandestins et fréquentés essentiellement par un public latino aux moyens financiers limités. Puis, avec le boom de la Salsa au cours des années 1990, sont apparus des lieux pérennes destinés à une clientèle autochtones plus aisée, et plus nettement orientés vers une pratique intensive de la danse.

Quant à la partie consacrée à la géographie des lieux de danse,  elle décrit ce que l’auteur appelle les « habitudes » (« routines ») des danseurs londoniens de Salsa à la fin des années 1990. Elle montre ainsi l’existence de plusieurs groupes distincts fréquentant des lieux différents. Une forte opposition existe, en particulier, entre deux catégories d’établissements : d’une part des clubs ayant pignon sur rue, souvent situés dans les quartiers de loisir centraux comme Soho, destinés à une clientèle autochtone « mainstream », et jouissant d’un bail pérenne qui leur permet de créer une décoration spécifique véhiculant une image d’exotisme (Bar Cuba, Bar Rumba, …) ; et, d’autre part, des clubs au statut plus précaire (pas de bail, endroits loués pour l’occasion, statut semi-clandestin…), souvent (mais pas toujours) situés dans des quartiers à forte population immigrée, et s’adressant à une clientèle latino plus modeste (Barco Latino, Copacabana, La gota fria) ; sans oublier également quelques clubs de Latin Jazz aux ambitions culturelles plus affirmées, héritiers des antiques peñas, comme le Club Bahia, ainsi que quelques lieux où se pratique une Salsa plus revendicative, liée à l’affirmation d’une identité ethnique afro, comme le Mambo Inn dans le sud de Londres.

L’ouvrage – et c’est son grand mérite – nous fait ainsi comprendre que la pratique de la Salsa – à Londres comme ailleurs – est le fait de plusieurs groupes très distincts tant par leurs origines socio-ethniques que par leurs habitudes, leurs comportements et leur imaginaire, et fréquentant des lieux différents. Il confirme ainsi l’une des mes intuitions fondamentales, à savoir que, dans chaque grande ville de la planète, il n’existe pas une seule communauté salsera, mais plusieurs sous-groupes qui souvent s’ignorent assez largement entre eux. Un hypothèse encore illustrée à mes yeux par un récent voyage à Madrid, où j’ai pu constater l’existence d’un fossé assez marqué entre les night-clubs branchés du centre-ville, à la clientèle largement autochtone, et certaines soirées de faubourgs majoritairement fréquentées par des latino-américains.

Fabrice Hatem

The making of Latin London, Salsa Music, place and identity, Patria Roman-Velasquez, éd. Ashgate, 167 pages, 1999

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