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Reflets du cinéma latino-américain

Amazonia eterna

Belisario Franca, Brésil, 2012, documentaire, 87 minutes

ImageJ’ai été ébloui par ce film qui associe des images sompteuses de la forêt amazonienne à une réflexion intelligente et fouillée sur les moyens de la préserver, tout en évitant le « pathos » habituel sur « les atteintes à l’environnement causées par la recherche du profit immédiat ».

De manière très pédagogique, le réalisateur nous fait comprendre que l’Amazonie d’aujourd’hui est un écosystème à la fois puissant et fragile, à la croisée des chemins entre déforestation destructrice et invention d’un modèle de développement conciliant le progrès économique et la préservation de la nature. En donnant largement la parole aux experts comme aux habitants de la région, tout en nous présentant des expériences de mise en valeur non destructrice des ressources, il trace sans manichéisme les contours d’une stratégie de développement durable de la grande forêt. Les économistes interrogés dans le documentaire insistent à cet égard sur la nécessité de donner une « valeur » au rôle de l’écosystème amazonien dans les équilibres environnementaux mondiaux ou régionaux et dans le bien-être de l’espèce humaine. Il serait alors possible, d’une part, de chiffrer de manière convaincante les pertes énormes liées à sa destruction (déréglement climatique, appauvrissement de la biodiversité, perte de ressources rares, etc.) ; et, d’autre part, d’évaluer les gains potentiels liés à une exploitation durable de ses immenses ressources. Des arguments susceptibles d’influencer non seulement les décisions des politiques, mais aussi les comportements des entrepreneurs et des gros exploitants agricoles, qui ne sont pas tous – le film le montre avec un sens de la mesure qui l’honore – d’affreux profiteurs sans scrupules.

La posture délibérément optimiste et constructive du réalisateur conduit cependant à deux lacunes. D’une part, l’ampleur des dégats déjà causés à la forêt amazonienne et la rapidité actuelle du rythme de sa destuction ne sont pas rappelées, alors qu’il aurait tout de même été souhaitable de disposer de quelques éléments de mesure en la matière. D’autre part, la dimension critique me paraît insuffisament développée dans la présentation des expériences de développement censées contribuer à inverser cette tendance négative.

Apparemment, en effet, tout va bien dans ces nouveaux eden écologiques : les poissons sont revenus dans les lacs ; les gros agriculteurs récitent à la perfection le mantra du développement durable ; la préservation de la biodiversité permet de réaliser des récoltes magnifiques et variés dans une nature débarrassée du joug de la monoculture intensive ; les seringueros organisés en coopérative connaissent pratiquement chaque hévea de leur zone de collecte par son prénom ; les bûcherons sont devenus des spécialistes du bilan carbone et de la gestion durable des ressources arboricoles, etc.

Bref, ces expériences écologiques semblent aboutir à des situations au moins aussi paradisiaques que celles qui régnaient dans les kolkhozes soviétiques des années 1950 –  ou plus exactement dans l’image qu’en donnait à l’époque la propagande stalinienne. On sait aujourd’hui ce qu’il en était réélement.

Sans accuser cet excellent film de volonté délibérée de propagande, on aurait sans doute aimé que la présentation de ces intéressantes expériences laisse davantage la place à une réflexion critique, en évitant de nous laisser penser que le paradis sur terre était désormais à portée de main. Quelle est l’impact réel de ces initiatives ? Ont-elles d’ores et déjà permis d’inverser la tendance négative qui affecte l’écosystème amazonien ? Quelles en ont été les difficultés et les échecs éventuels ? Pourquoi la parole n’est-elle jamais donnée à un interlocuteur exprimant des critiques ou des réserves en la matière ? Toutes ces questions sans réponse m’empêchent d’être totalement convaincu par le séduisant discours du réalisateur. Amazonia Eterna n’en reste pas moins un film magnifique, intelligent et réconfortant, à conseiller pour tous publics.

Fabrice Hatem

Vu au 15ème Festival Filmar en America Latina, Genève, novembre 2013

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