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Cinéma cubain et de salsa

Buena Vista Social Club

Documentaire de Wim Wenders, Cuba, Allemagne, Etats-Unis, 1998, 100 minutesImageEn 1996, Ry Cooder et Juan de Dios Gonzales réunissent à La Havane un groupe de vétérans de la musique cubaine pour enregistrer trois albums, dont le fameux Buena Vista Social Club. Deux années plus tard en 1998, ils se retrouvent pour donner des concerts à Amsterdam et New-York, accompagnés de Wim Wenders qui réalise à cette occasion son film légendaire.

Pourquoi Buena Vista Social Club est-il, de très loin, le meilleur de tous les nombreux documentaires sur la musique latino que j’ai récemment visionnés ?

Le documentaire musical est un art difficile, toujours en équilibre précaire entre des exigences contradictoires. Il faut généreusement montrer la musique, mais sans lasser le spectateur par l’accumulation de séquences trop longues ; il faut raconter une histoire, mais sans que celle-ci paraisse factice ou convenue ; il faut donner la parole aux artistes, mais sans transformer le film en une succession d’interviews autobiographiques standardisés ; il faut faire un travail de recherche pour recueillir et transmettre les information pertinentes, mais sans excès d’érudition ; il faut faire sentir l’atmosphère dans laquelle évoluent les musiciens, mais en évitant les clichés sur la couleur locale ; il faut saisir le caractère et le charme des artistes, sans pour autant tomber dans l’hagiographie complaisante.. Il faut, il faut… En fait, c’est là une tâche presque impossible, que Buena Vista Social Club parvient cependant à accomplir.

Le film tire, il est vrai, son énergie primaire d’une situation dramatique exceptionnellement intense. Pendant près d’un demi-siècle, en effet, la musique cubaine traditionnelle avait disparu corps et biens, balayée par l’irruption du rock et de pop music, encore aggravée par les effets de la révolution castriste. Découragés, vieillis, certains de ses plus talentueux interprètes avaient pris leur retraite ou décidé d’exercer une autre profession. Et voilà qu’un jour de 1996, pratiquement d’un coup de baguette magique, elle renaît subitement de ses cendres, avec sa poésie et son énergie rythmique intacts, et des vieux musiciens inspirés jusqu’au sublime par l’émotion des retrouvailles.

Cette situation exceptionnelle, Wim Wenders sait nous la faire découvrir sans lourdeur didactique, laissant le spectateur reconstituer lui-même, au détour d’une confidence ou d’un souvenir, le fil de cette histoire aux allures de miracle. Comme Ibrahim Ferrer, devenu cireur de chaussures, mais qui, du jour au lendemain, enregistre un inoubliable Candela avec Eliades Ochoa dans les Studios de la Egrem.

Les amoureux de Cuba savent à quel point la musique et la danse imprègnent la vie de ce peuple, semblant littéralement naître de chaque pierre, de chaque coin de rue. Wim Wenders, là aussi, parvient à nous faire saisir intuitivement cette magie, par exemple à travers de subtils fondus-enchaînés entre une scène de rue où l’artiste égrène tranquillement quelques notes devant quelques voisins et un concert dans un lieu prestigieux où le même thème est acclamé par des milliers de spectateurs éblouis.

Les prises de vue rendent compte de manière magistrale de la poésie de la Havane et de l’émotion  dégagée par la musique : Ibrahim Ferrer nous recevant dans son intérieur modeste où trône la statue de son Saint protecteur Babalu Aye, Ruben Gonzales jouant au piano avec ses mains tordues par l’arthrose au milieu d’une volière de gracieuses petites danseuses, Eliades Ochoa grattant sa  guitare dans une gare de triage désaffectée, … Et comment oublier cette image tournante d’Omara Portuondo et d’Ibrahim Ferrer interprétant Dos Gardenias dans un duo d’émotion pure ?

Au cours des entretiens, chacun des artistes nous livre ses confidences à sa manière, sans suivre un plan préétabli. Ruben Gonzales nous parle d’Arsenio Rodriguez, Eliades Ochoa des maisons closes de Santiago où il jouait enfant, Compay Segundo de son amour romantique pour les femmes, et Ibrahim Ferrer de la période sombre où il dut abandonner la musique et exercer toutes sortes d’humbles métiers. Et ce puzzle un peu décousu restitue l’atmosphère et histoire de la musique cubaine de manière beaucoup plus évocatrice que ne l’aurait fait une démarche plus « objectiviste ».

Enfin, le montage, faisait alterner de manière à la fois surprenante et juste, images de rue, d’entretiens, de répétions, de concerts, aspire avec une efficacité irrésistible le spectateur dans l’aventure musicale et humaine du Buena Vista Social Club.

On sort du film le cœur empli de musique et de poésie, en n’ayant qu’une envie : appuyer de nouveau sur la touche « play » pour le revoir tout de suite.

Fabrice Hatem

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