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Carnet de Voyage 2011 à Cuba

Santiago versus La Havane : il y a de l’OM-PSG dans l’air

Dimanche 17 juillet 2011

p1040435 Ils sont nombreux, dans le monde, ces cas de rivalités ancestrales, faites de vieilles rancoeurs historiques, de contrastes culturels, linguistiques et parfois ethniques entre deux villes d’un même pays.

D’un côté, la capitale, administrative ou économique, souvent située au nord, fière de sa réussite, de son prestige, et un peu condescendante par rapport à sa rivale moins chanceuse du midi, à laquelle il est régulièrement reproché d’exporter ses populations désoeuvrées et criminogènes.

p1070433 De l’autre, la belle endormie du sud, moins développée, plus sensuelle, plus riche de son histoire passée et de sa culture que de son économie actuelle, et qui ressent avec beaucoup d’amertume sa situation d’abaissement… ainsi que le mépris diffus dont elle est l’objet de la part de sa rivale triomphante du nord. Paris et Marseille, Milan et Naples, et, à un niveau géographique plus large le nord-est et le sud des Etats-Unis, ou encore la France et le Maghreb, constituent quelques exemples de ces « couples infernaux », nés d’une dynamique commune de développement historique, composantes inséparables d’une même identité collective, et pourtant toujours un peu ronchon l’une contre l’autre.

vue santiago Une relation de ce type existe aussi à Cuba, entre Santiago et la Havane. Situées aux deux extrémités – occidentale et orientale – de l’ile, séparées par près de 1000 kilomètres, ces deux villes forment en quelque sorte système, puisque beaucoup de composantes de l’identité cubaine ont eu l’Oriente et Santiago pour berceaux avant de migrer ensuite vers La Havane où elles ont trouvé leur épanouissement. Citons, dans le désordre et sans souci d’exhaustivité ni de détail, la colonisation espagnole, les mouvements indépendantistes de la fin du XIXème siècle, la musique de Son, et bien sûr, la révolution castriste.

sirtifsan2 Et pourtant, que de méfiances et de rancoeurs croisées séparent ces deux populations !! Faites, comme moi, l’expérience de demander à des Santiagueros de vous parler des Havanais, ou bien l’inverse. Ils sont littéralement intarissables, chacun de leur côté, pour dire du mal des autres.

sitisafe4 L’antipathie havanaise se concentre très largement sur l’indolence supposée des Santiagueros. Ceux-ci, si l’on en croît nos amis de l’Occidente, seraient en effet paresseux, portés sur l’alcool, exclusivement préoccupés de faire la fête et extrêmement bruyants. Les femmes auraient une fâcheuse tendance à vivre de leurs charmes et les hommes à vivre de leurs femmes. Comme beaucoup de Santiagueros pauvres sont venus habiter le quartier de Centro-Habana après la révolution castriste, occupant les beaux immeubles abandonnés par la bourgeoisie en fuite, il leur est également reproché par les havanais de souche d’avoir transformé ce quartier autrefois prospère en un grand squatt délabré. En général peu qualifiés, acceptant les emplois les plus modestes, ils sont accusés de posséder un sens de la débrouillardise excessivement développé, qui les conduirait trop souvent à franchir les limites de la légalité. Et, puis disons les choses franchement, les Santiagueros ont en moyenne la peau beaucoup plus noire que les Havanais de souche, et le préjugé racial affleure de manière évidente derrière le discours négatif de ces derniers. Un discours qui oscille de manière permanente entre une satire amusée plutôt sympathique et un racisme beaucoup plus pesant.

sisanf3 Mais les Santiagueros rendent bien leur monnaie de leur pièce aux Havanais en leur reporchant, pele-mele, leur suffisance, leur mauvaise foi et leur manque suppose de courage. Les habitants de l’Oriente se targuent d’avoir été, au prix de leur sang, à l’origine de tous les soulèvements nationalistes et révolutionnaires qui ont forgé l’histoire cubaine contemporaine et dont les Havanais, habiles manœuvriers, n’auraient fait que recueillir les fruits. Ils aiment se vanter, à tort ou à raison de toujours l’emporter sur les habitants de la capitale lorsqu’il leur est donné de se confronter à eux directement, d’homme à homme, comme par exemple à l’occasion des grandes manifestations sportives. Encore faut-il compter avec les tricheries dont les gens de la capitale seraient coutumiers… Tous les Santiagueros se souviennent encore avec colère et mépris de ce match de base-ball, dans le grand stade de la Havane, où, voyant que leur équipe perdait devant les orientaux, les spectateurs envahirent le terrain pour interrompre la partie.

malacon 1 Et puis, les orientaux supportent mal, dans le quotidien, la suprématie administrative et politique de la capitale, qui dans ce pays très centralisé et bureaucratique qu’est Cuba, peut avoir des conséquences absurdes. Par exemple, un Santiaguero désireux de partir en voyage à l’étranger, par exemple pour travailler, doit se déplacer jusqu’à la Havane, parfois plusieurs fois (24 heures de car aller-retour), pour obtenir les visas nécessaires.

vuesantaigo2 Les deux villes ne parlent pas non plus exactement la même langue. C’est d’abord affaire de prononciation. Les Havanais disent des Santiagueros : « Ils ne parlent pas, ils chantent ». Apparemment, il s’agit d’une manière particulière de déplacer l’accent tonique des phrases. Je n’ai pas bien compris les explications qui m’ont été données par mes amis de la capitale, mais j’ai vraiment eu l’impression d’entendre un parisien tenter de m’expliquer l’accent provençal. Quant aux Santiagueros, ils se moquent, devinez de quoi ? De la manière de parler selon eux un peu sèche et cassante des Havanais. J’ai déjà entendu cela quelque part aussi… Mais même les mots sont différents pour désigner les choses les plus simples. Par exemple, le mot robinet se dite pluma à Santiago et pila à La Havane : les sandales, cutara et chancleta ; le seau, cubo et balde ; la colle, repollo et col ; la papaye, papaya et fruta bomba… et il y a beaucoup d’autres exemples…

matamoros1 Cette rivalité trouve aussi des échos dans la chanson cubaine. Prenons l’exemple du Son « Son de la Loma », écrite par un illustre Santiaguero, Miguel Matamoros. On y trouve le vers suivant : « Son de Santiago, Tierra Soberana, Son de La Habana ». Le titre de « terre souveraine », accordé à Santiago, y est donc refusé à la Havane. J’ai recueilli deux explications, différentes mais très complémentaires, à ce choix. Selon la première, le titre de « terre souveraine » constituerait un rappel de la prééminence historique de Santiago de Cuba, première capitale de Cuba et donc « terre souveraine », sur l’usurpatrice La Havane, nouvelle venue auquel ce titre est refusé malgré l’évidence politique. Selon la seconde explication, le terme « terre souveraine » ferait allusion au rôle majeur joué par la courageuse et indomptable Santiago, toujours première à se soulever au cours des guerres d’indépendance. Quelle que soit la véritable explication, c’est toute la rivalité opposant ces deux villes qui nous est ainsi révélée, plus clairement que par un long discours, en seulement deux mots. Magie de la poésie !!

Fabrice Hatem

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