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Carnet de voyage 2010 à Cuba

Soirée de bonheur à la Casa de la Trova de Santiago

Lundi 13 septembre 2010, Santiago de Cuba

sitecasasoi (Pour consulter une vidéo de cette soirée, cliquez sur le lien suivant : vidéo)

Epuisé par plus de six heures de cours de Salsa et de danse Afro-cubaine, je ne suis traîné ce lundi soir à la Casa de la Trova, davantage par devoir professionnel – mes reportages – que par réelle envie de danser.

Bien m’en a pris : j’y ai en effet passé l’une de mes meilleures soirées depuis mon arrivée à Cuba. Alors que j’approchais de la Casa de la Trova, je commençais à entendre au loin, depuis la place Cespedès, une musique de salsa d’une incroyable énergie, avec des cuivres aux sonorités éclatantes et un rythme magnifiquement marqué par les percussions.

Je mis un moment à comprendre que cette musique féérique provenait, justement, du lieu où vers lequel je me dirigeais : la grande salle du premier étage de la Casa de la Trova. En levant les yeux, je découvris le balcon de cet établissement où se tenaient de nombreux danseurs aux habits colorées. Il était inondé, comme une terre promise, de la lumière provenant de la salle où l’orchestre Son de Buena Fe était en train de jouer. Assis sur le trottoir, un gamin accompagnait la musique en frappant le rythme de la Clave avec deux bouts de bois.

Je ne savais pas frapper la Clave aussi bien que ce gamin, mais je disposais, contrairement à lui, des trois pesos permettant de payer mon entrée. En montant les marches vers le premier étage, j’avais le cœur battant. J’étais si ému et si pressé d’arriver en haut que je faillis deux fois tomber dans l’escalier. Vite, vite, je m’installais à une table libre en face de l’orchestre, je posais mon sac à dos, sortais ma caméra, pris quelques images et regardai autour de moi pour essayer de repérer une danseuse disponible.

A vrai, dire, j’avais l’embarras du choix. Entre les touristes européennes, les Jineteras à la recherche de quelques CUC, et quelques cubaines venues passer un moment agréable, je n’avais pratiquement qu’à faire un signe pour me retrouver aux bras d’une jolie femme. D’autant que la concurrence masculine était à peu près inexistante, qu’il s’agisse des touristes mâles incapables de faire un pas en mesure ou de Jineteros trop heureux de voir enfin leurs collègues féminines aux bras d’un etranger désireux de danser.

J’éprouvais avec mes partenaires deux formes de plaisir très différentes : avec les européennes, en général très mauvaises danseuses quoiqu’enthousiastes, la fierté de me sentir admiré et de jouer le rôle d’un mentor ; avec les cubaines, la joie de trouver des danseuses généralement de très bon niveau, avec lesquelles il était possible, selon les cas, de jouer ou de rechercher la beauté du mouvement. Au bout d’une heure et demie de ce régime, ma chemise était aussi mouillée que si je m’étais baigné tout habillé. Et je n’avais pas encore épuisé, loin de là, toute la ressource féminine du lieu.

La qualité de la l’orchestre, et plusieurs jolies démonstrations impromptues de Rueda ajouterent encore à la réussite de cette soirée.

Une ombre tout de même sur ce moment de bonheur : la composition du public. Deux principaux groupes étaient en effet présents à la Casa de la Trova ce soir-là : d’une part, des touristes européens (blancs) de passage, plutot jeunes mais qui, pour la plupart, ne savaient pas danser, et sont en général resté cloués sur leur chaise toute la soirée – sauf quelques rares audacieux qui ont tenté quelques pas d’un sorte de rock’n roll a-rythmique qu’il devaient prendre pour de la Salsa – ; et d’autre part, des très bons danseurs (noirs), visiblement issus de milieux très modestes (à en juger notamment par l’état de leur dentition) et dont l’une des principales préoccupations était d’essayer de tirer par tous les moyens possibles quelques CUCs au membres du premier groupe (en se faisant payer un verre, en proposant des cours ou des pratiques de danse, etc.).

Les Jineteras de Santiago présentent, surtout si on les compare à celle de la Havane, plusieurs caractéristiques qui attirent la sympathie. La première, c’est que ce sont vraiment d’excellentes danseuses, plutôt souriante et gaies de surcroît. La seconde, c’est que ce ne sont pas des personnes malhonnêtes, puisqu’elles proposent effectivement un service de valeur (servir de partenaire de danse) en échange d’argent. La troisième c’est qu’elles ont davantage l’air, à en juger notamment par la modicité de leurs prétentions financières, de filles pauvres dans le besoin que d’avides Messalines. Cependant, elles ont un côté agaçant par le caractère un peu répétitif de leurs demandes (modestes) de rétribution et de leurs propositions de services. Au bout du 5èmemojito offert, on en a un peu assez.

Au milieu de ces deux groupes fortement caractérisés, et que pratiquement tout sépare, la soirée manquait désespérément de membres d’un troisième groupe, ceux que j’appellerai les «médiateurs culturels » ; soit des étrangers de passage, mais engagés, comme moi, dans une démarche de découverte de la culture cubaine ; soit des cubains éduqués, appartenant à une classe moyenne ou supérieure, bons danseurs et désireux de nouer des amitiés sur un pied d’égalité avec des européens.

En l’absence de ces « médiateurs », la soirée ne pouvait, malgré la qualité extraordinaire de l’orchestre, véritablement démarrer : chacun restait un peu dans son coin, les européens inhibés assis devant leur bière, les jineteros et jineteras cubains sans clients debout sur le balcon. Aussi, la relative molesse de l’ambiance générale contrastait étrangement avec le caractère particulièrement entraînant de la musique.

Mes amis cubains, à qui je confiais le lendemain mes impressions, m’assurèrent qu’habituellement, les soirées sont cependant plus animées, grâce à la présence de nombreux bons danseurs – cubains ou étrangers – qui ce soir-là faisaient un peu défaut. J’aurai surement la possibilité de le vérifier dans les prochains jours…

Fabrice Hatem

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