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Coup de coeur pour le Sexteto Loca Bohemia

Hommage à Julio de Caro : le Sexteto Loca Bohemia

orchestre3 L’orchestre Sexteto Loca Bohemia a été créé il y deux ans en hommage à deux musiciens fondateurs de la Guardia Nueva : Julio et Francisco de Caro. II recrée la structure du sextet inventé par les deux frères en 1924, composé de deux bandonéons, de deux violons, d’une contrebasse et d’un piano. Son style, sans constituer une simple copie conforme du sextet originel, cherche à en retrouver la sonorité.

Les musiciens ont cherché non seulement à revisiter le répertoire connu de Julio de Caro, mais également à introduire des compositions moins connus et parfois non jouées depuis les années 1930, comme Colombina.

Les concerts ont organisés en tendas de manière à pouvoir animer les milongas. La plupart des musiciens de l’orchestre sont d’ailleurs également danseurs.

J’ai eu le plaisir d’écouter cet orchestre et de danser sur sa musique à l’occasion de leur venue au festival organisé par Le temps du Tango à Prayssac cette année (voir en lien les vidéos de Recuerdo et El Monito). Une expérience qui fut pour moi très agréable, à la fois d’un point de vue musical, visuel et de danse (voir diaporama en lien). J’en ai profité pour poser quelques questions à son fondateur et directeur artistique, Pascal Roche, qui est aussi le contrebassiste du groupe[i].

Pourquoi cette volonté de recréer le style musical de Julio de Caro ?

orcontrebasse Il y a quelques années, le bandonéoniste Fernando Maguna m’a offert un enregistrement de De Caro, le fameux double album des années 1927-1928. J’ai écouté cette musique (voir par exemple l’enregistrement de Color de Rosas) et cela m’a fait du bien. On y trouve de l’humour, du jeu, de la poésie aussi, Par exemple dans El Monito, on demande au singe : « tu veux un Café ? », et il répond : « deux cafés ». C’est par moment une musique à thème, souvent d’une très grande tendresse. Par exemple, dans Boedo, ou peut retrouver l’ambiance d’un quartier populaire. Cela m’a touché et j’ai eu envie de restituer cette musique, qui est intemporelle, comme celle de Mozart ou de Bartok. On peut la réinterpréter en lui restant fidèle.

Cette musique est assez mal connue dans le milieu du tango du tango. Je n’ai jamais entendu un DJ programmer De Caro et je trouve cela dommage, c’est quelque chose qui pourrait se perdre. Et je ne veux pas que cela se perde.

Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontré ?

orchestres2 La principale difficulté, c’est de faire exister une idée utopique de beauté dans un monde mercantile, de faire vivre un petit grand orchestre de six musiciens dans une économie de marché. Nous ne touchons pas de subventions, tout est financé en fonds propres. L’orchestre vit par la générosité et l’implication des musiciens qui payent souvent leurs propres déplacements pour faire vivre cette histoire. C’est pour moi un miracle d’avoir pu réaliser ce rêve et constituer cette équipe.

Sur le plan technique, la sonorisation constitue une difficulté récurrente pour un orchestre acoustique. Le musicien de jazz Winston Marsalis a dit un jour que la sonorisation constituait 50% de la musique. Le public va juger l’orchestre à travers le son, et il est important d’avoir un son impeccable. Ici, à Prayssac, nous avons par exemple eu beaucoup de difficultés le premier soir.

Comment s’est monté l’orchestre ?

orbandos2 Il y a 4 ans, j’avais joué au festival de Tarbes, au stage pour musiciens organisé par l’orchestre Silencio. Parmi les élèves, se trouvait Muriel Varancas au milieu de 10 autres bandonéonistes. Sa manière de jouer m’a interpelé. Je lui ai parlé de mon projet. Au départ, l’idée était seulement de faire un trio. Puis, en réfléchissant, je me suis dit qu’il était dommage qu’il n’y ait pas un violoniste. Mais comment trouver un violoniste atteignant le niveau de justesse, d’expressivité, de De Caro ? Fernando Maguna me parla alors de Raphaël Chetri. Celui-ci a fait un travail stylistique énorme. Il a réappris à utiliser le glissando dans le style vraiment particulier de De Caro, de restituer aussi sa forme d’attaque.

orviolon1 De son côté, Muriel m’a présenté Patrick Bullier, le second bandonéon. Et Raphaël a amené Sylvie Delrieu qu’il avait rencontrée à l’occasion d’un stage de la Tipica Imperial à Toulouse.

Pour le piano, l’enjeu était particulièrement délicat. Francisco de Caro a développé au piano un style très particulier, celui de l’accompagnement harmonique, très syncopé. Avant lui, les pianistes jouaient sur le temps, très sagement, mais Francisco a inclut plein de phrases en syncope, des accords de passage dans l’accompagnement. Patrice Pascal, qui est rentré dans l’orchestre il y a un an et demi, s’est investi dans un travail en profondeur pour restituer ce style. Il a une double culture classique et jazz, ce qui est fondamental pour les pianistes de tango.

Comment faites-vous pour retrouver la musique jouée par De Caro ?

orjulio Ce travail a été long et difficile. A cette époque, on n’écrivait pas la musique des arrangements. J’ai trouvé quelques partitions sur le site de Todo tango, mais elles étaient réduites, avec une harmonisation très succincte. Il a donc fallu reconstituer la musique d’oreille, à partir des enregistrements de l’époque. En 2007, je me suis pratiquement enfermé sept mois chez moi pour faire ce travail de relevé, pour chaque instrument : piano, violon, bandonéon, etc.

Chaque musicien du sextet avait une forte personnalité musicale : El Negro Thompson puis Vicente Sciaretta et Enrique Kraus à la contrebasse ; Luis Petrucelli et Pedro Maffia, Puis Pedro Maffia et Pedro Laurenz, et finalement Pedro Laurenz et Armando Blasko au bandonéon ; Emilio de Caro – qui était aussi compositeur et a écrit La Plegaria et Gigolo – en alternance avec Manlio Francia au second violon. Et, bien sûr, Julio de Caro au premier violon et Francisco de Caro au Piano.

orbando2 Patrick Bullier appelle mon travail un brouillon de luxe. Il faut en effet ensuite le peaufiner, le corriger, pour arriver aux partitions définitive. Les enregistrements des années vingt sont parfois d’audition difficile : ils gratouillent, chatouillent. Il faut aller chercher la voix du second bandonéon, du second violon. Le principal problème est qu’on n’entend presque pas la contrebasse. On ne sait donc pas très bien dans quel style jouait le contrebassiste. Je suis donc toujours en recherche, par exemple pour décider quand il faut utiliser l’archet, ou le pizzicato. Je m’aide aussi pour cela des enregistrements des années 1930 sur lesquels on entend mieux la contrebasse.

Comment faites-vous pour répéter ?

orviolons Muriel et Patrice habitent à Paris, Patrick à Dijon, Sylvie à Salon-de-Provence, Raphaël à Nice, et moi-même à Avignon. Il a fallu trouver du temps pour monter le premier répertoire de 24 morceaux (on en a maintenant 36). On l’a fait en se réunissant pendant 5 jours d’affilés il y a deux ans. Maintenant, chaque fois que nous animons un bal ou un concert, nous cherchons à nous réunir quelques jours avant pour travailler notre répertoire.

Une fois je j’ai fait les partitions, je les envoie à chaque musiciens, qui les travaille de son côté à partir des enregistrements originaux. Enfin on met tout cela en commun à l’occasion des répétitions et on définit les dynamiques nuances, rubatos. etc. Mais six sons d’instruments mis ensemble ne font pas le son du sextet. orchestre1 On effectue un premier travail de déchiffrage pour vérifier si toutes les notes y sont. Puis on écoute ensemble la version originale, dont on essaye de se rapprocher le plus possible, avec don tempo, son phrasé.

Nous commençons à être contents du résultat. L’équipe est devenue une bande d’amis, des « amigos de l’alma » pour reprendre la formule de Miguel Calo. Chacun soutient les autres. Le projet n’aurait pas pu réussir sans cet investisse des musiciens.

Votre orchestre se veut-il une réplique à l’identique ?

orbandos1 Nos partitions sont aussi fidèles que possible. Mais nous ne sommes pas en 1915, même la manière de parler, qui influence le phrasé musical, a changé. Il faut donc aussi y mettre notre personnalité, notre feeling d’aujourd’hui. Par exemple, nous n’avons pas conservé le fameux cornet de de Caro, qui n’existe d’ailleurs pas dans tous les enregistrements. Je préfère que Raphaël produise son propre son plutôt que de mettre une prothèse qui ne fait pas partie de lui, qui fait un peu trop « revival » aussi. Mais, pour la contrebasse, j’utilise un jeu de cordes en boyaux, comme à l’époque.

Par ailleurs, les milongas et les valses n’étaient pas à la mode dans les années 1920 et nous ne disposons que d’une seule valse enregistrée par de Caro : Serenata de Ayer . Nous devons donc enrichir notre répertoire en allant chercher les œuvres d’autres orchestres auxquels nous pouvons ainsi rendre hommage. orpublic Nous avons par exemple dans notre répertoire deux valses de Francisco Canaro, trois de Carlos Di Sarli, une de Osmar Maderna, trois de Lucio Demare. Pour les milongas, je vais piocher dans les choses que j’aime danser : deux milongas de Pedro Laurenz (La vida es una milonga, Milonga de mis amores), une de Lucio Demare, une de Rodolfo Biaggi, une de Franscico Canaro.

Quels sont vos meilleurs souvenirs ?

Le 2 juillet 2009, nous avons joué place du Chapitre, à Nîmes, dans le cadre des Jeudis de Nîmes organisés par Michel Glaize de l’association Tango et Cie. Ce premier concert, très réussi, nous a donné l’impression que l’orchestre commençait à être compris et notre démarche, entendue ; la musique de De Caro, en effet, est difficile, pas très connue dans le milieu du tango. Le 26 mars 2010, lors d’un concert à la Crau, l’organisateur nous a placé un piano demi-queue sur scène, ce qui nous a beaucoup touché. orcordes1 Le festival de Prayssac, organisé par L’association Le temps du tango en juillet 2010, nous a également permis de toucher un vaste public, de faire connaître cette musique importante dans l’histoire du tango.

Quelle suite voyez-vous pour l’orchestre ?

Après trois ans d’efforts, c’est la question qu’on se pose en ce moment. Il y plusieurs voies : celle de la création de compositions originales est tentante, mais suppose de disposer de beaucoup de temps pour pouvoirs complètement s’y immerger. Et il faut vivre… Il a également encore beaucoup d’enregistrements de de Caro la fin des années vingt à recréer -comme Amurado, Filigrana, etc. ainsi que des choses intéressantes dans les orchestres de Maffia.

Propos recueillis par Fabrice Hatem


[i] Pour des renseignements plus précis sur l’orchestre, voir le site http://www.sexteto-locabohemia.com/fr/projart_fr.html

Une réponse sur « Coup de coeur pour le Sexteto Loca Bohemia »

Bonjour.
Je m’appelle Jean GOBINET, je suis musicien, et je cherche à joindre Muriel Varancas. Le plus simple est de passer par mon site où elle pourra me laisser un message si elle le souhaite. Rien de grave ni d’urgent; juste l’envie de reprendre contact. Merci 🙂

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