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Azais, héroïne de l’armée impériale

azais fin3 C’était une belle jument bai. Elle avait quatre ans quand je l’ai montée pour la première fois au manège du régiment, près d’Erfurt, en 1810. Elle était à la fois puissante et attentive à mon guidage. Je l’avais appelée Azaïs. Quand je lui apportais son picotin et que je lustrais son pelage, je sentais venant d’elle une chaleur d’affection animale. Un jour que j’étais tombé en franchissant une barrière, elle était revenue sur ses pas, en penchant sa tête vers moi comme pour s’assurer que je n’étais pas blessé.

azais fin4 Elle n’avait jamais vu le feu quand nous sommes partis ensemble pour la Russie. Dès le début, bien avant les grands froids de novembre, j’avais compris que cet endroit serait un tombeau pour les chevaux de la Grande armée. En juillet, il en était déjà tombé des milliers, morts d’avoir mangé de l’avoine pas assez mûre, les intestins retournés par les vers. Leurs carcasses brûlées par le soleil de l’été empuantissant les pistes qui nous servaient de route. Mais moi, je m’étais promis de la ramener vivante en France, mon Azaïs, et il m’arrivait de marauder avec elle, parfois bien après la nuit tombée, malgré les nuées de cosaques qui entouraient l’armée, pour lui trouver un peu d’avoine fraîche.

azais 5 A la Moskova, près du tiers de mon régiment de dragons était déjà à pied, ou bien montée sur d’affreux petits chevaux russes, dont la taille de mulet donnait une allure ridicule à nos fiers cavaliers. Mais mon Azaïs se portait bien. Elle se revéla même, elle d’habitude si douce avec moi, une redoutable guerrière. Je me souviendrai toujours d’elle, pendant la grande charge de la redoute, arrachant d’un coup de mâchoire le visage d’un canonnier russe qui avait failli me désarçonner.

Elle m’avait sauvé, alors maintenant, entre nous deux, c’était à la vie à la mort. Quand Moscou ne fut plus que cendres, quand il fut clair qu’Alexandre attendait l’hiver pour nous faire mourir de faim dans la ville dévastée, l’Empereur ordonna la retraite. Pour les animaux aussi, ce fut le commencement de l’enfer. Nous seulement ils tombaient, comme les hommes, de faim, de froid, de maladie, mais encore servaient-ils d’ultime nourriture aux soldats.. Combien en ai-je vu, de ces pauvres animaux, dépecés vivants dès qu‘ils s’effondraient d’épuisement, les chairs découpées à vif par les baïonnettes de ces hommes fous de faim et de froid.

Mais, pour mon Azaïs, j’avais pris mes précautions. Pendant que les autres pillaient l’argenterie des palais déserts, je lui avais confectionné une sorte de cape avec un grand rideau vert émeraude, pour la protéger du froid dont je pressentais la venue. Et tous les jours, pendant que les autres soldats s’allongeaient le soir d’épuisement pour ne plus jamais se relever, je partais avec elle à la recherche d’un peu de nourriture pour nous deux. Un jour, nous sommes même aller marauder ensemble jusque dans le camp des cosaques… (1)

azais 6 Croyez-le si vous le voulez, mais nous en avons toujours trouvé, et je pourrais vous conter dix occasions où nous nous sommes mutuellement sauvés la vie, elle en me prévenant d’un hennissement quand les cosaques approchaient en silence, moi en la bichonant et frictionnant ses engelures avec de la neige. Aux autres qui laissaient crever leur bête, je disais « Si je sauve ma jument, elle me sauvera ». Et c’est ce qui s’est produit !!

Pauvre Azaïs !! Elle est morte trois ans plus tard, en chargeant avec moi les carrés anglais sur le Plateau de Mont-Saint-Jean. Entendues sur le flanc, les tripes sorties du ventre, elle me regardait encore avec son grand œil si doux pendant que je caressais son museau en pleurant…

(1) Historique

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