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Autour d'un tango : poème commenté

Mi Buenos Aires Querido

gardelpera Editeur : La Salida n° 31, Décembre 2002 à janvier 2003

Auteurs : Fabrice Hatem et Michel Marcu

Mi Buenos Aires Querido

La chanson fut composée en 1934, à l’occasion du film « Cuesta abajo », le premier tourné par Gardel aux Etats-Unis. Elle fut enregistrée pour la première fois la même année par le chanteur à New York, accompagné par un orchestre dirigé par Terig Tuci. Malgré de multiples interprétations ultérieures – notamment par les chanteurs Carlos Galán ,Hector Mauré, ou Carlos Fernandez – elle reste indissociablement liée à la voix du « mage ».

C’est par l’image que le photographe Michel Marcu exprime, lui, son amour de Buenos-Aires. Un amour malheureusement teinté de tristesse devant la crise que traverse aujourd’hui son pays. Depuis des années, il arpente, nuit et jour, les rues de la ville, avec son appareil, pour en saisir les contrastes, les vibrations, mais aussi l’actualité, comme le montrent certaines de ses photographies où l’on aperçoit au loin la fumée d’une barricade. Certaines des photos que nous vous proposons furent prises au moment des grandes manifestations d’il y a un an, les fameuses « Cacerolazos ». Mais laissons-le lui-même commenter son travail.

Fabrice Hatem

Un jour tout le monde est parti, par Michel Marcu

Dès mon réveil le silence qui s’étalait sur la ville m’était parvenu aussi consistant que le souvenir du bruit des autobus, des marteaux pilons, des klaxons des voitures.

Une fois dans la rue le silence se fit encore plus pesant pour signaler ce qui était évident: il n’y avait plus personne.

La ville s’était vidée pendant mon sommeil, je commençai à marcher à travers les rues désertes sans me poser de questions, de temps en temps je voyais de loin quelque passant qui m’évitait aussi bien que je le faisais. Ce n’étaient plus que des fantômes, et moi aussi peut être.

Cela devait bien arriver à un moment ou l’autre, certains avaient du se lasser de faire la queue devant les banques jour et nuit, d’autres peut être avaient pris peur, peur du chômage, peur de la famine, peur des bandes qui saccagent, peur de ne plus avoir qui saccager.

Alors, à l’unisson ils avaient décidé de partir et ils étaient partis sur le champ, en laissant tout derrière eux.

Je parcourus Buenos Aires qui désormais m’appartenait, j’allai vers le Sud et repris possession de la Boca mais je ne traversai pas le Riachuelo, la limite de mon domaine.

Je restai longtemps à contempler les dentelles du vieux pont en fer, l’eau stagnante, les maisons qui n’avaient jamais connu le fil à plomb, les rues mal pavées.

A pied je traversai toute ma ville, depuis les rues les plus anodines jusqu’au Rio de la Plata et sur le port j’attendis la nuit.

Pendant des heures j’avais marché à travers cette ville que je connaissais bien et je m’étais dit que j’avais appris à l’aimer, malgré sa banalité, malgré le quadrillage ennuyeux, malgré tout.
Et là dans le calme et la tranquillité, Buenos Aires vidée me proposa de jouir des plus petites choses et j’acceptai, je pris goût à regarder en bas et en haut, à dialoguer avec les statues abîmées, à contempler les façades disparates.

Voilà, demain, quand tout le monde sera revenu, je pourrai peut être leur raconter ce que j’ai vu dans cette ville, ma ville.

Michel Marcu

Retrouvez les très belles photographies de Michel Marcu en cliquant sur : Buenos

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